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MAGNIFICENCES DE LA NATURE.

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malheur, des hommes qui leur étaient inconnus (1). Après avoir fécondé de ses sueurs nos collines incultes et nos landes stériles, le laborieux bénédictin, retiré dans sa cellule, défrichait le champ non moins aride de notre ancienne histoire et de nos anciennes lois. L'éducation, la chaire, les missions, aucune œuvre utile n'était étrangère au jésuite. Son zèle embrassait tout et suffisait à tout. L'humble capucin parcourait incessamment les campagnes pour aider les pasteurs dans leurs saintes fonctions, descendait au fond des cachots pour y porter des paroles de paix aux victimes de la justice humaine; et, semblable à l'Espérance dont il était le ministre, accompagnant jusqu'à la fin le malheureux qui allait mourir, partageait ses angoisses, ranimait son courage défaillant, et le fortifiait également contre les terreurs du supplice et contre celles du remords. Ses mains compatissantes ne se détachaient, pour ainsi dire, de l'infortuné qu'elles avaient reçu au pied du tribunal inflexible de l'homme qu'après l'avoir déposé au pied du tribunal du Dieu clément.

MAGNIFICENCES DE LA NATURE (2).

Loin des lieux où fermentent et bouillonnent les passions humaines, rarement l'aspect du mal vient troubler la joie pure dont nous pénètre incessamment le spectacle de la création. Que la nature est belle! Que ses secrètes puissances sont fécondes, et ses industries merveilleuses, et ses harmonies ravissantes !...

Sur les pentes des monts, au fond des vallées, le long des fleuves rapides, près des rivages de l'Océan qui se brise contre de noirs rochers, ou glisse sur la plage, partout des bruits vagues, mystérieux, des voix pleines d'émotion, retentissement intime des êtres, des formes tour à tour frappantes de majesté et séduisantes de grâce, des teintes où se fondent et les plus vives et les plus douces couleurs, des contrastes, des mélanges indéfinissables de lumière et d'ombre, des souffles odorants, des effluves aériens saisissent les sens et ravissent l'âme et la pénè

(1) Les missions étrangères continuent de nos jours cette œuvre de civilisation.

(2) Ce fragment est tiré d'Amschaspands et Darvands, ouvrage satirique dans lequel l'auteur s'est servi de fictions fournies par la religion des mages pour voiler ses critiques.

trent, comme une vivante exhalaison de la source infinie où chaque créature désaltère, avec une volupté sainte, la soif du bien que celui qui est le Bien même, le Bien substantiel, illimité, a mise en elle. Des solitudes glacées qu'illumine de ses lueurs changeantes un soleil fantastique aux régions préférées d'Atar (1), une infinie diversité de scènes, d'aspects harmonieusement unis, offre à l'œil fasciné des merveilles sans cesse renaissantes. Ici le calme et le silence, nul mouvement, le sommeil profond de la nature enveloppée de son manteau de neige; là des flots d'une lumière ardente, des nuées fécondes, des forêts, des savanes verdissantes, d'où s'élève, comme un hymne perpétuel, le murmure confus de myriades et de myriades d'êtres, une poussière dont chaque grain s'anime, une vie qui déborde de toutes parts.

Et ce monde si splendide, cette nature si riche et si variée, varie encore suivant les phases de l'astre qui tantôt l'inonde de ses clartés, tantôt en se retirant la couvre d'un voile opaque, dont la vierge des nuits, dans sa course rêveuse, soulève mollement les bords. A mesure que se succèdent Havant, Rapitant, Odiren, Oschen (2), des perspectives diverses se déploient, elles s'étendent ou se rétrécissent, les objets se transforment et créent pour l'œil, pour l'ouïe, pour tous les sens comme pour la pensée, de nouvelles harmonies et des jouissances nouvelles.

AUGUSTIN THIERRY.

Un grand talent et une grande infortune noblement supportée ont rendu populaire le nom d'Augustin Thierry. Né à Blois en 1795, élève de l'École normale en 1811, professeur dans un collége de province en 1813, Augustin Thierry vint s'établir définitivement à Paris en 1814. Vers 1820, il donna quelques études historiques au Censeur européen, au Courrier français, et en 1825 il fit paraître l'un de ses principaux ouvrages, l'Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands. Ce livre, dont il a été fait de nombreuses éditions, eut le plus grand succès, et fit à l'auteur, tout jeune encore, une réputation hors ligne. Mais un travail excessif avait porté à la santé de l'historien une atteinte profonde; il perdit la vue, et fut frappé d'une paralysie générale, qui le réduisit pendant plus de

(1) C'est le génie qui entretient le feu.

(2) Génies qui président au lever du soleil, à l'heure de midi, au coucher du soleil, à l'heure de minuit.

LE CHAMP DE BATAILLE D'HASTINGS.

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trente ans à l'immobilité la plus absolue; sa belle et vaste intelligence survécut pour ainsi dire à la ruine de son corps, et pendant trente ans, jusqu'à l'époque de sa mort, qui arriva en 1856, il ne cessa de se livrer aux plus actives recherches sur nos annales: il publia successivement les Lettres sur l'Histoire de France; les Récits des temps merovingiens; Dix ans d'études historiques; Histoire de la formation et des progrès du tiers état. Vers 1835, il fut chargé par le gouvernement de diriger dans la Collection des documents inédits relatifs à l'Histoire de France un recueil qui devait comprendre les actes les plus importants relatifs aux communes, à l'administration des villes, aux justices municipales, aux corporations industrielles; les trois premiers volumes de cet important recueil ont seuls été publiés.

Au savoir le plus étendu Augustin Thierry joignait une sensibilité vive, une imagination brillante. Grâce à la réunion de ces qualités, il a su donner à ses écrits historiques un relief et une vivacité de coloris qui leur prêtent un charme extrême.

LE CHAMP DE BATAILLE D'HASTINGS (1).

Après avoir, dit un vieil historien, fait pour le pays tout ce qu'ils devaient, les compagnons de Harold se dispersèrent, et beaucoup moururent sur les chemins, de leurs blessures et de la fatigue du combat. Les cavaliers normands les poursuivaient sans relâche, ne faisant quartier à personne. Ils passèrent la nuit sur le champ de bataille, et le lendemain au point du jour, le duc Guillaume rangea ses troupes et fit faire l'appel de tous les hommes qui avaient passé la mer à sa suite, d'après le rôle qu'on avait dressé avant le départ, au port de Saint-Valery. Un grand nombre d'entre eux, morts ou mourants, gisaient à côté des vaincus. Les heureux qui survivaient eurent, pour premier gain de leur victoire, la dépouille des ennemis morts. En retournant les cadavres, on en trouva treize revêtus d'un habit de moine sous leurs armes : c'étaient l'abbé Hida et ses douze compagnons. Le nom de leur monastère fut inscrit le premier sur le livre noir des conquérants.

Les mères et les femmes de ceux qui étaient venus de la contrée voisine combattre et mourir avec leur roi se réunirent pour rechercher ensemble et ensevelir les corps de leurs proches. Celui du roi Harold demeura quelque temps sur le champ de bataille, sans que personne osât le réclamer. Enfin la veuve de Godwin, appelée Githa, surmontant sa douleur, envoya un mes

(1) Cette bataille eut lieu en 1066. Guillaume, duc de Normandie, y remporta, sur Harold, roi d'Angleterre, une victoire complète, à la suite de laquelle il s'empara de l'Angleterre.

sager au duc Guillaume, pour lui demander la permission de rendre à son fils les derniers honneurs. Elle offrait, disent les historiens normands, de donner en or le poids du corps de son fils. Mais le duc refusa durement, et dit que l'homme qui avait menti à sa foi et à sa religion n'aurait d'autre sépulture que le sable du rivage. Il s'adoucit pourtant, si l'on en croit une vieille tradition, en faveur des religieux de Waltham, abbaye que, de son vivant, Harold avait fondée et enrichie. Deux moines saxons, Osgod et Ailrik, députés par l'abbé de Waltham, demandèrent et obtinrent de transporter dans leur église les restes de leur bienfaiteur. Ils allèrent à l'amas des corps dépouillés d'armes et de vêtements, les examinèrent avec soin l'un après l'autre et ne reconnurent point celui qu'ils cherchaient, tant ses blessures l'avaient défiguré. Tristes et désespérant de réussir seuls dans cette recherche, ils s'adressèrent à une femme que Harold avait connue avant d'être roi, et la prièrent de se joindre à eux. Elle s'appelait Edithe, et on la surnommait la belle au cou de cygne. Elle consentit à suivre les deux moines, et fut plus habile qu'eux à découvrir le cadavre de celui qu'elle avait aimé.

Tous ces événements sont racontés par les chroniqueurs de race anglo-saxonne avec un ton d'abattement qu'il est difficile de reproduire. Ils nomment le jour de la bataille un jour amer, un jour de mort, un jour souillé du sang des braves. « Angle« terre, que dirai-je de toi, s'écrie l'historien de l'Eglise d'Ely, « que raconterai-je à nos descendants? Que tu as perdu ton roi << national et que tu es tombée au pouvoir de l'étranger; que « tes fils ont péri misérablement ; que tes conseillers et tes chefs sont vaincus, morts ou déshérités. »

Bien longtemps après le jour de ce fatal combat, la superstition patriotique crut voir encore des traces de sang frais sur le terrain où il avait eu lieu; elles se montraient, disait-on, sur les hauteurs au nord-ouest de Hastings, quand un peu de pluie avait humecté le sol. Aussitôt après sa victoire, Guillaume fit vœu de bâtir en cet endroit un couvent sous l'invocation de la SainteTrinité et de saint Martin, le patron des guerriers de la Gaule. Ce vœu ne tarda pas à être accompli, et le grand autel du nouveau monastère fut élevé au lieu même où l'étendard du roi Harold avait été planté et abattu. L'enceinte des murs extérieurs fut tracée autour de la colline que les plus braves des Anglais avaient couverte de leurs corps, et toute la lieue de terre circonvoisine où s'étaient passées les diverses scènes du combat

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devint la propriété de cette abbaye, qu'on appela, en langue normande, l'Abbaye de la bataille. Des moines du grand couvent de Marmoutiers, près de Tours, vinrent y établir leur domicile, et prièrent pour les âmes de tous les combattants qui étaient morts dans cette journée.

L'ABBÉ LACORDAIRE.

Jean-Baptiste-Henri Lacordaire naquit à Recey-sur-Ource (Côted'Or) le 12 mars 1802. Se destinant d'abord au barreau, il vint à Paris en 1821, pour achever l'étude du droit qu'il avait commencée à Dijon, et entra chez un avocat pour faire son stage. Ses débuts dans cette carrière furent brillants, mais il ne tarda pas à l'abandonner. Doué d'une éloquence naturelle, d'un esprit puissant et enthousiaste, il se trouvait trop resserré au milieu de dossiers de procédure, et il n'attendait qu'une occasion pour déterminer sa vocation et développer ses brillantes qualités. Cette occasion lui fut fournie par la lecture de l'ouvrage de M. de Lamennais De l'indifférence en matière de religion. Sincèrement converti, il résolut de quitter le monde, et se retira au séminaire de Saint-Sulpice. En 1827, il reçut la prêtrise et fut nommé aumônier au collége Henri IV. En 1835, il fut chargé de precher à Notre-Dame, et il commença à cette époque des conférences qui obtinrent le plus éclatant succès. Paris ne fut pas la seule ville où cet illustre orateur se fit entendre. 'Il prêcha à Lyon, Grenoble, Nancy; c'est dans cette dernière ville qu'il prononça l'oraison funèbre du général Drouot, qui est regardée comme un de ses plus beaux morceaux d'éloquence. L'abbé Lacordaire fut reçu membre de l'Académie en 1861; il mourut en 1862, après avoir rétabli en France l'ordre des frères prêcheurs.

LE DIMANCHE.

En est-il un seul parmi vous qui n'ait été quelquefois touché du spectacle que présente une population chrétienne dans le jour consacré à Dieu ? Les voies publiques se couvrent d'une multitude ornée de ses meilleurs habits; tous les âges y paraissent avec leurs espérances et leurs peines, les unes et les autres tempérées par un sentiment plus haut de la vie. Une joie fraternelle anime les yeux qui se rencontrent; le serviteur est plus proche de son maître; le pauvre est moins éloigné du riche; tous, par la communauté du même devoir accompli et par la conscience de la même grâce reçue, se sentent plus étroitement les fils du même Père qui est au ciel. Le silence des travaux serviles, compensé par la voix joyeuse et mesurée des cloches, avertit

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