ALCESTE. Laissez-moi là, vous dis-je ; et courez vous cacher. PHILINTE. Mais on entend les gens au moins sans se fâcher. ALCESTE. Moi, je veux me fàcher, et ne veux point entendre. Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre, Moi, votre ami? Rayez cela de vos papiers. Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus. PHILINTE. Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ALCESTE. Allez, vous devriez mourir de pure honte ; ? Et quand je vous demande après quel est cet homme, plus simple et le plus vrai! La Coquette, la Prude, les PetitsMaitres, Philinte, Oronte servent tous à l'envi à faire sortir le caractère d'Alceste, le plus achevé et le plus singulier, ( dit le P. Rapin) 1 qui ait jamais paru sur le théâtre. Le même P. Rapin écrit à M. le comte de Bussy en 1672: On fait tous les objets plus grands qu'ils ne sont; on fait un Misanthrope plus Misanthrope qu'il n'est.... Le génie du peuple est grossier, il faut de grands traits pour le toucher. On voit que, du tems de Molière, les hommes les plus habiles étoient bient loin de penser qu'il eût affoibli ce caractère. * Comme il se nomme, la plupart auroicut préféré comment. Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant, Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable Que je me fasse un peu grace sur votre arrêt, Que la plaisanterie est de mauvaise grace! PHILINTE. Mais, sérieusement, que voulez-vous qu'on fasse ? ALCESTE. Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode i Et traitent du même air l'honnête homme et le fat. Lorsqu'au premier faquin, il court en faire autant? Un peu bien situće, pour un peu bien placée, a paru impropre. Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ; Et la plus glorieuse a des régals peu chers *, Qui ne fait de mérite aucune différence, Je veux qu'on me distingue, et, pour le trancher net Mais, quand on est du monde, il faut bien que l'on rende ALCESTE. Non vous dis-je, on devroit châtier, sans pitié, Je veux que Il est bien des endroits où la pleine franchise Et, par fois, n'en déplaise à votre austère honneur, Séroit-il à propos, et de la bienséance, De dire à mille tout ce que gens d'eux on pense ? Et, quand on a quelqu'un qu'on hait, ou qui déplaît, Oui. ALCESTE. PHILINTE Quoi, vous iriez dire à la vieille Émilie * A des régals peu chers, mauvaise expression. **Que l'on rende quelques dehors civils, pour dire rendre des politesses extérieures, ne se dit pas. Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie, Sans doute. ALCESTE. PHILINTE. A Dorilas, qu'il est trop importun; Fort bien. ALCESTE. PHILINTE. Vous vous moquez. ALCESTE. Je ne me moque point, Et je vais n'épargner personne sur ce point, Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la ville Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile; Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie; Je n'y puis plus tenir, j'enrage ; et mon dessein PHILINTE. Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage. Et crois voir en nous deux*, sous mêmes soins nourris, Dont.... ALCESTE. Mon Dieu, laissons-là vos comparaisons fades. Non, tout de bon, quittez toutes ces incartades; On supprimoit, du tems de Molière, quatre vers de cette scène, ou notre auteur parle de son Ecole des Maris. Ces vers commencent par Et crois voir en nous deux, etc. quatre Et, puisque la franchise a pour vous tant d'appas, Je vous dirai tout franc que cette maladie, Partout où vous allez, donne la comédie; Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du tems, ALCESTE. Tant mieux, morbleu, tant mieux, c'est ce que je demande; Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande. Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serois faché d'être sage à leurs yeux. PHILINTE. Vous voulez un grand mal a la nature humaine. Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine. Tous les pauvres mortels, sans nulle exception 1 Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes.... Non, elle est générale, et je hais tous les hommes, Au travers de son masque, on voit à plein le traître, Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne, |