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Les repelentants des poissances étrangeres qui forment a Londres le corps diplomatique avaient pour twi, contne afttire et comine societe, beanocap d'importance. Je n'y trouvai pas les deux principaux, le prince Paul Esterhazy et le comte Pozzo di Borgo, ambassadeurs l'un d'Autriche, l'autre de Russie; le premier était en congé à Vienne et le second malade à Paris. Ils étaient remplacés, le prince Esterhazy par un chargé d'affaires, le baron de Neumann, et le comte Pozzo di Borgo par le baron de Brünnow, ministre de Russic à Darmstadt, envoyé à Londres, comme je l'ai déja dit, en mission extraordinaire et spéciale pour les affaires d'Orient. Parmi les grandes puissances continentales, la Prusse seule avait, en ce moment, à Londres un ministre titulaire, le baron de Bülow, homme d'esprit, éclairé, fort au courant des affaires de l'Europe, plus libéral et plus bienveillant pour la France qu'il ne voulait le paraître, mais préoccupé de sa santé avec une inquiétude que tantôt il s'efforçait de cacher, tantôt il affichait tristement; le vent, le brouillard, la pluie, le soleil, le froid, le chaud, le monde, la solitude, tout l'agitait, tout lui faisait mal; il était évidemment dans un état nerveux pénible qui menaçait de devenir et qui, plus tard, lorsqu'il fut ministre des affaires etrangères à Berlin, devint en effet très-grave. Dès mon arrivee à Londres, il vint me voir souvent, bientôt

presque amical et prenant plaisir à parler d'histoire, de philosophie, de littérature aussi bien que de politique, avec une étendue de connaissances et d'idées qui ne manquaient ni de précision ni de finesse. Le baron de Neumann était un serviteur confidentiel du prince de Metternich, intelligent, prudent, discret avec solennité, évitant surtout de compromettre sa cour et lui-même, et portant, je crois, bien autant de goût à mon cuisinier qu'à ma conversation. La relation du baron de Brünnow avec moi était plus significative et plus compliquée : seul dans le corps diplomatique et contre l'usage, il ne vint pas me voir pendant près de six semaines après mon arrivée; nous nous rencontrions dans le monde; il se fit présenter à moi chez lord Clarendon, et le 17 mars, au lever de la reine, il me présenta lui-même le fils du comte de Nesselrode; nous échangions quelques paroles, mais toujours point de visite. Je rendais froideur pour froideur, impolitesse pour impolitesse; un soir, chez lady Palmerston, je passai, à plusieurs reprises, devant M. de Brünnow sans le voir. Vers la fin de mars, il commença à s'excuser, auprès de nos amis communs, de n'être pas encore venu chez moi, donnant pour prétexte, dit-il au baron de Bülow et à M. de Bourqueney, qu'il n'avait à Londres point de caractère bien déterminé; il était toujours ministre de Russie à Darmstadt; il regrettait l'embarras que cette circonstance avait mis dans nos rapports; mais dès qu'il aurait présenté ses lettres de créance à la reine Victoria, il viendrait me faire visite. Il me l'annonça lui-même

le 8 avril, dans le salon d'attente du palais de SaintJames, et il vint en effet le lendemain s'acquitter, envers moi, d'une politesse officielle que sans doute les instructions de son maître lui avaient jusque-là interdite. Frivole marque de l'humeur impériale.

Les représentants des autres puissances continentales, le général Alava, ministre d'Espagne, M. Van de Weyer, ministre de Belgique, M. Dedel, ministre de Hollande, le comte de Bjornstierna, ministre de Suède, le baron de Blome, ministre de Danemark, le comte Pollon, ministre de Sardaigne, me témoignèrent, dès les premiers jours, un empressement amical ou curieux, et prirent bientôt l'habitude de venir souvent s'entretenir chez moi. Les représentants des grandes puissances tiennent en général trop peu de compte de la diplomatie de second ordre, et des informations comme de l'appui qu'ils en pourraient recevoir. Peu engagés directement dans les grandes questions du jour, et exposés à en subir les conséquences plutôt qu'à y prendre une part active, les agents des puissances secondaires sont des spectateurs à la fois intéressés et impartiaux, attentifs à observer les faits et libres d'esprit dans les jugements qu'ils en portent. Le général Alava était un loyal Espagnol, aimé en Angleterre et point hostile ni méfiant envers la France; M. Van de Weyer était un interprète spirituel, discret et bien placé dans la société anglaise, du roi Léopold et de sa pensée politique sur les affaires européennes; M. Dedel représentait avec une franchise et une convenance parfaites la vieille aristocratie répu

blicaine de la Hollande, toujours habile et digne, même depuis qu'elle a cessé d'être puissante en Europe; le comte de Pollon était un gentilhomme éclairé et d'un esprit très-cultivé, libéral avec modestie. J'eus constamment à me louer, pendant mon ambassade, de mes rapports avec ces diplomates tranquilles, et leur commerce m'éclaira plus d'une fois sans me compromettre jamais.

J'informais avec soin mon gouvernement de tout ce qui se passait dans ce foyer anglais de la politique européenne; je rendais à M. Thiers, et dans mes dépêches officielles et dans mes lettres particulières, un compte exact de mes observations, de mes conversations, de mon attitude, de l'état des esprits, soit dans le cabinet, soit dans le public, et des craintes comme des espérances que je ressentais. Dès le 12 mars, quinze jours après mon arrivée à Londres, en lui racontant mes premiers entretiens avec lord Palmerston, je lui écrivis : « Je suis maintenant convaincu que lord Palmerston n'a aucun dessein de rien faire ni de rien décider avant l'arrivée du plénipotentiaire turc; nous avons donc du temps. Mais je dois faire observer dès aujourd'hui à Votre Excellence que cet avantage deviendrait peut-être un danger si nous nous laissions aller à supposer que, parce qu'il ne se fait rien à présent, il ne se fera rien plus tard, et que nous serons définitivement dispensés de prendre une résolution parce que nous n'en sommes pas pressés immédiatement. Plus j'observe, plus je me persuade que le cabinet britannique croit les circon

stances favorables pour régler les affaires d'Orient, et veut sérieusement en profiter. Il aime beaucoup mieux agir de concert avec nous; il est disposé à nous faire des concessions pour établir ce concert. Cependant, si, de notre côté, nous n'arrivions à rien de positif, si nous paraissions ne vouloir qu'ajourner toujours et convertir toutes les difficultés en impossibilités, un moment viendrait, je pense, où, par quelque résolution soudaine, le cabinet britannique agirait sans nous et avec d'autres, plutôt que de ne rien faire. Le temps peut nous servir beaucoup pour amener ce cabinet au plan de conduite et aux arrangements qui nous paraissent sages et praticables; mais si nous n'employions pas le temps à marcher effectivement vers un tel résultat, je craindrais fort, je l'avoue, qu'en définitive il ne tournat contre nous. »

Quatre jours après, le 16 mars, au sortir d'un long entretien avec lord Palmerston qui m'avait annoncé le consentement de la Russie à l'admission du plénipotentiaire ture dans la négociation et la prochaine arrivée de ce plénipotentiaire, je dis à M. Thiers: « Ce sont là deux faits graves, dont l'origine, est bien antérieure à mon arrivée à Londres et qui modifient l'état de l'affaire. Il se peut que ces deux faits soient entravés ou annulés par quelque incident nouveau, et nous nous retrouverons alors dans la situation d'attente où nous étions naguère. Mais s'ils se réalisaient, comme lord Palmerston me l'a dit, il pourrait arriver qu'au lieu de négociations prolongées, nous nous vissions bientôt en face de la solu

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