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Il faut lire la relation de l'entrevue de l'empereur et du daïro à Méaco'. Le nombre de ceux qui y furent étouffés ou tués par des garnements fut incroyable. On enleva les jeunes filles et les garçons; on les retrouvoit tous les jours exposés dans des lieux publics, à des heures indues, tout nus, cousus dans des sacs de toile, afin qu'ils ne connussent pas les lieux par où ils avoient passé; on vola tout ce qu'on voulut; on fendit le ventre à des chevaux pour faire tomber ceux qui les montoient; on renversa des voitures pour dépouiller les dames. Les Hollandais, à qui l'on dit qu'ils ne pouvoient passer la nuit sur des échafauds sans être assassinés, en descendirent, etc.

Je passerai vite sur un autre trait. L'empereur, adonné à des plaisirs infames, ne se marioit point: il couroit risque de mourir sans successeur. Le daïro lui envoya deux filles très belles: il en épousa une par respect, mais il n'eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de l'empire; tout étoit inutile. La fille d'un armurier étonna son goût 2; il se détermina : il en eut un fils. Les dames de la cour, indignées de ce qu'il leur avoit préféré une personne d'une si basse naissance, étouffèrent l'enfant. Ce crime fut caché

1

Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, tom. v, pag. 2.

2 Ibid.

à l'empereur : il auroit versé un torrent de sang. L'atrocité des lois en empêche donc l'exécution. Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l'impunité.

CHAPITRE XIV.

De l'esprit du sénat de Rome.

Sous le consulat d'Acilius Glabrio et de Pison, on fit la loi Acilia 1 pour arrêter les brigues. Dion dit que le sénat engagea les consuls à la les consuls à la proposer, parce que le tribun C. Cornelius avoit résolu de faire établir des peines terribles contre ce crime, à quoi le peuple étoit fort porté. Le sénat pensoit que des peines immodérées jetteroient bien la terreur dans les esprits, mais qu'elles auroient cet effet, qu'on ne trouveroit plus personne pour accuser ni pour condamner; au lieu qu'en proposant des peines modiques, on auroit des juges et des

accusateurs.

-Les coupables étoient condamnés à une amende; ils ne pouvoient plus être admis dans l'ordre des sénateurs et nommés à aucune magistrature. Dion, liv. xxxvI.

2 Ibid.

CHAPITRE XV.

Des lois des Romains à l'égard des peines.

Je me trouve fort dans mes maximes lorsque j'ai pour moi les Romains; et je crois que les peines tiennent à la nature du gouvernement, lorsque je vois ce grand peuple changer à cet égard de lois "civiles à mesure qu'il changeoit de lois politiques.

Les lois royales, faites pour un peuple composé de fugitifs, d'esclaves et de brigands, furent très sévères. L'esprit de la république auroit demandé que les décemvirs n'eussent pas mis ces lois dans leurs Douze-Tables; mais des gens qui aspiroient à la tyrannie n'avoient garde de suivre l'esprit de la république.

Tite-Live 'dit, sur le supplice de Metius Suffetius, dictateur d'Albe, qui fut condamné par Tullus Hostilius à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier et le dernier supplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité. Il se trompe: la loi des Douze-Tables est pleine de dispositions très cruelles 2.

1.

Celle qui découvre le mieux le dessein des dé

I Liv. I..

On y trouve le supplice du feu, des peines presque toujours capitales, le vol puni de mort, etc.

cemvirs est la peine capitale prononcée contre les auteurs des libelles et les poëtes. Cela n'est guère du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés : mais des gens qui vouloient renverser la liberté craignoient des écrits qui pouvoient rappeler l'esprit de la liberté 1.

Après l'expulsion des décemvirs, presque toutes les lois qui avoient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément; mais, la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application.

2

Voilà le temps auquel on peut rappeler ce que Tite-Live dit des Romains, que jamais peuple n'a plus aimé la modération des peines.

Que si l'on ajoute à la douceur des peines le droit qu'avoit un accusé de se retirer avant le jugement, on verra bien que les Romains avoient suivi cet esprit que j'ai dit être naturel à la république.

Sylla, qui confondit la tyrannie, l'anarchie et la liberté, fit les lois cornéliennes. Il sembla ne faire des règlements que pour établir des crimes. Ainsi, qualifiant une infinité d'actions du nom de meurtre, il trouva partout des meurtriers; et, par une pratique qui ne fut que trop suivie, il tendit des piéges,

■ Sylla, animé du même esprit que les décemvirs, augmenta comme eux les peines contre les écrivains satiriques.

a Liv. I.

sema des épines, ouvrit des abîmes sur le chemin de tous les citoyens.

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Presque toutes les lois de Sylla ne portoient que l'interdiction de l'eau et du feu. César y ajouta la confiscation des biens', parce que les riches gardant dans l'exil leur patrimoine, ils étoient plus hardis à commettre des crimes.

Les empereurs ayant établi un gouvernement militaire, ils sentirent bientôt qu'il n'étoit pas moins terrible contre eux que contre les sujets ; ils cherchèrent à le tempérer; ils crurent avoir besoin des dignités, et du respect qu'on avoit pour elles.

On s'approcha un peu de la monarchie, et l'on divisa les peines en trois classes : celles qui regardoient les premières personnes de l'état 3, et qui étoient assez douces ; celles qu'on infligeoit aux personnes d'un rang inférieur 4, et qui étoient plus sévères; enfin celles qui ne concernoient que les conditions basses 5, et qui furent les plus rigoureuses.

Le féroce et insensé Maximin irrita pour ainsi dire le gouvernement militaire, qu'il auroit fallu

Pœnas facinorum auxit; cum locupletes eo facilius scelere se obligarent, quod integris patrimoniis exulabant. Sueton, in Julio

Cæsare.

2

Voyez la loi 3, § legis, ad leg. Cornel. de sicariis, et un très grand nombre d'autres, au Digeste et au Code.

3 Sublimiores.

4 Medios.

5 Infimos. Leg. 111, § legis, ad leg. Cornel. de sicariis.

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