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pendant on peut avec succès faire des lois pour encourager les mariages, quand, malgré la corruption, il reste encore des ressorts dans le peuple qui l'attachent à sa patrie. Rien n'est plus beau que les lois d'Auguste pour favoriser la propagation de l'espèce. Par malheur il fit ces lois dans la décadence ou plutôt dans la chute de la république; et les citoyens découragés devoient prévoir qu'ils ne mettroient plus au monde que des esclaves : aussi l'exécution de ces lois fut-elle bien foible durant tout le temps des empereurs païens. Constantin enfin les abolit en se faisant chrétien: comme si le christianisme avoit pour but de dépeupler la société, en conseillant à un petit nombre la perfection du célibat!

L'établissement des hôpitaux, selon l'esprit dans lequel il est fait, peut nuire à la population, ou la favoriser. Il peut et il doit même y avoir des hôpitaux dans un état dont la plupart des citoyens n'ont que leur industrie pour ressource, parce que cette industrie peut quelquefois être malheureuse; mais les secours que ces hôpitaux donnent ne doivent être que passagers, pour ne point encourager la mendicité et la fainéantise. Il faut commencer par rendre le peuple riche, et bâtir ensuite des hôpitaux pour les besoins imprévus et pressants. Malheureux les pays où la multitude des hôpitaux et des monastères, qui ne sont que des hôpitaux perpétuels, fait que tout le monde est à son aise, excepté ceux qui travaillent!

M. de Montesquieu n'a encore parlé que des lois humaines. Il passe maintenant à celles de la religion,

qui, dans presque tous les états, font un objet si essentiel du gouvernement. Partout il fait l'éloge du christianisme; il en montre les avantages et la grandeur; il cherche à le faire aimer; il soutient qu'il n'est pas impossible, comme Bayle l'a prétendu, qu'une société de parfaits chrétiens forme un état subsistant et durable mais il s'est cru permis aussi d'examiner ce que les différentes religions (humainement parlant) peuvent avoir de conforme ou de contraire au génie et à la situation des peuples qui les professent. C'est dans ce point de vue qu'il faut lire tout ce qu'il a écrit sur cette matière, et qui a été l'objet de tant de déclamations injustes. Il est surprenant surtout que, dans un siècle qui en appelle tant d'autres barbares, on lui ait fait un crime de ce qu'il dit de la tolérance; comme si c'étoit approuver une religion que de la tolérer; comme si enfin l'Évangile même ne proscrivoit pas tout autre moyen de la répandre que la douceur et la persuasion. Ceux en qui la superstition n'a pas tout sentiment de compassion et de justice ne pourront lire sans être attendris la remontrance aux inquisiteurs, ce tribunal odieux qui outrage la religion en paroissant la venger.

éteint

Enfin, après avoir traité en particulier des différentes espèces de lois que les hommes peuvent avoir, il ne reste plus qu'à les comparer toutes ensemble, et à les examiner dans leur rapport avec les choses sur lesquelles elles statuent. Les hommes sont gouvernés par différentes espèces de lois; par le droit naturel, commun à chaque individu; par le droit divin, qui

est celui de la religion; par le droit ecclésiastique, qui est celui de la police de la religion; par le droit civil, qui est celui des membres d'une même société; par le droit politique, qui est celui du gouvernement de cette société; par le droit des gens, qui est celui des sociétés les unes par rapport aux autres. Ces droits ont chacun leurs objets distingués, qu'il faut bien se garder de confondre. On ne doit jamais régler par l'un ce qui appartient à l'autre, pour ne point mettre de désordre ni d'injustice dans les principes qui gouvernent les hommes. Il faut enfin que les principes qui prescrivent le genre des lois, et qui en circonscrivent l'objet, règnent aussi dans la manière de les composer. L'esprit de modération doit, autant qu'il est possible, en dicter toutes les dispositions. Des lois bien faites seront conformes à l'esprit du législateur, même en paroissant s'y opposer. Telle étoit la fameuse loi de Solon par laquelle tous ceux qui ne prenoient point de part dans les séditions étoient déclarés infames. Elle prévenoit les séditions, ou les rendoit utiles, en forçant tous les membres de la république à s'occuper de ses vrais intérêts. L'ostracisme même étoit une très bonne loi; car, d'un côté, elle étoit honorable au citoyen qui en étoit l'objet, et prévenoit, de l'autre, les effets de l'ambition: il falloit d'ailleurs un très grand nombre de suffrages, et on ne pouvoit bannir que tous les cinq ans. Souvent les lois qui paroissent les mêmes n'ont ni le même motif, ni le même effet, ni la même équité; la forme du gouvernement, les conjonctures, et le génie du peuple, changent tout. Enfin

peuvent

le style des lois doit être simple et grave. Elles se dispenser de motiver, parce que le motif est supposé exister dans l'esprit du législateur; mais, quand elles motivent, ce doit être sur des principes évidents. Elles ne doivent pas ressembler à cette loi qui, défendant aux aveugles de plaider, apporte pour raison qu'ils ne peuvent pas voir les ornements de la magistrature.

M. de Montesquieu, pour montrer par des exemples l'application de ses principes, a choisi deux différents peuples, les plus célèbres de la terre, et ceux dont l'histoire nous intéresse le plus, les Romains et les François. Il ne s'attache qu'à une partie de la jurispru dence du premier, celle qui regarde les successions. A l'égard des François, il entre dans le plus grand détail sur l'origine et les révolutions de leurs lois civiles, et sur les différents usages, abolis ou subsistants, qui en ont été la suite. Il s'étend principalement sur les lois féodales, cette espèce de gouvernement inconnu à toute l'antiquité, qui le sera peut-être pour toujours aux siècles futurs, et qui a fait tant de biens et tant de maux. Il discute surtout ces lois dans le rapport qu'elles ont avec l'établissement et les révolutions de la monarchie françoise. Il prouve, contre M. l'abbé du Bos, que les Francs sont réellement entrés en conquérants dans les Gaules, et qu'il n'est vrai, comme cet auteur le prétend, qu'ils aient été appelés par les peuples pour succéder aux droits des empereurs romains qui les opprimoient. Détail profond, exact et curieux, mais dans lequel il nous est impossible de le suivre.

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Telle est l'analyse générale, mais très informe et très imparfaite, de l'ouvrage de M. de Montesquieu. Nous l'avons séparée du reste de son éloge1, pour ne pas trop interrompre la suite de notre récit.

1

L'Éloge de Montesquieu, par d'Alembert, se trouve en tête des Lettres persanes.

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