Images de page
PDF
ePub

vinrent une partie superflue du temps des consuls; le peuple put les abaisser sans se détruire luimême, et changer la constitution sans la corrompre.

Quand Servius Tullius eut avili les patriciens, Rome dut tomber des mains des rois dans celles du peuple; mais le peuple, en abaissant les patriciens, ne dut point craindre de retomber dans celles des rois.

Un état peut changer de deux manières; ou parce que la constitution se corrige, ou parce qu'elle se corrompt. S'il a conservé ses principes, et que la constitution change, c'est qu'elle se corrige: s'il a perdu ses principes quand la constitution vient à changer, c'est qu'elle se corrompt.

Rome, après l'expulsion des rois, devoit être une démocratie. Le peuple avoit déja la puissance législative : c'étoit son suffrage unanime qui avoit chassé les rois; et s'il ne persistoit pas dans cette volonté, les Tarquins pouvoient à tous les instants revenir. Prétendre qu'il eût voulu les chasser pour tomber dans l'esclavage de quelques familles, cela n'étoit pas raisonnable. La situation des choses demandoit donc que Rome fût une démocratie, et cependant elle ne l'étoit pas. Il fallut tempérer le pouvoir des principaux, et que les lois inclinassent vers la démocratie.

Souvent les états fleurissent plus dans le passage

insensible d'une constitution à une autre, qu'ils ne le faisoient dans l'une ou l'autre de ces constitutions. C'est pour lors que tous les ressorts du gouvernement sont tendus; que tous les citoyens ont des prétentions; qu'on s'attaque ou qu'on se caresse, et qu'il y a une noble émulation entre ceux qui défendent la constitution qui décline, et ceux qui mettent en avant celle qui prévaut.

CHAPITRE XIV.

m

Comment la distribution des trois pouvoirs commença à changer après l'expulsion des rois.

Quatre choses choquoient principalement la liberté de Rome. Les patriciens obtenoient seuls tous les emplois sacrés, politiques, civils et militaires on avoit attaché au consulat un pouvoir exorbitant: on faisoit des outrages au peuple : enfin on ne lui laissoit presque aucune influence dans les suffrages. Ce furent ces quatre abus que le peuple corrigea.

1° Il fit établir qu'il y auroit des magistratures où les plébéiens pourroient prétendre, et il obtint peu à peu qu'il auroit part à toutes, excepté à celle d'entre-roi.

2o On décomposa le consulat, et on en forma plusieurs magistratures. On créa des préteurs ',

[blocks in formation]

I

à qui on donna la puissance de juger les affaires privées; on nomma des questeurs pour faire juger les crimes publics; on établit des édiles, à qui on donna la police; on fit des trésoriers 2, qui eurent l'administration des deniers publics; enfin, par la création des censeurs, on ôta aux consuls cette partie de la puissance législative qui règle les mœurs des citoyens et la police momentanée des divers corps de l'état. Les principales prérogatives qui leur restèrent furent de présider aux grands 3 états du peuple, d'assembler le sénat, et de commander les armées.

3

3o Les lois sacrées établirent des tribuns, qui pouvoient à tous les instants arrêter les entreprises des patriciens, et n'empêchoient pas seulement les injures particulières, mais encore les générales.

4° Enfin, les plébéiens augmentèrent leur influence dans les décisions publiques. Le peuple romain étoit divisé de trois manières, par centuries, par curies et par tribus ; et quand il donnoit son suffrage, il étoit assemblé et formé d'une de ces trois manières.

Dans la première, les patriciens, les principaux, les gens riches, le sénat, ce qui étoit à peu près

Quæstores parricidii. Pomponius, leg. 11, § 23, de Orig. jur.
Plutarque, Vie de Publicola.

3 Comitiis centuriatis.

la même chose, avoient presque toute l'autorité; dans la seconde, ils en avoient moins dans la troisième, encore moins.

La division par centuries étoit plutôt une division de cens et de moyens qu'une division de personnes. Tout le peuple étoit partagé en cent quatrevingt-treize centuries', qui avoient chacune une voix. Les patriciens et les principaux formoient les quatre-vingt-dix-huit premières centuries; le reste des citoyens étoit répandu dans les quatre-vingtquinze autres. Les patriciens étoient donc dans cette division les maîtres des suffrages.

Dans la division par 'curies, les patriciens n'avoient pas les mêmes avantages: ils en avoient pourtant. Il falloit consulter les auspices, dont les patriciens étoient les maîtres; on n'y pouvoit faire de proposition au peuple qui n'eût été auparavant portée au sénat, et approuvée par un sénatus-consulte; mais dans la division par tribus, il n'étoit question ni d'auspices ni de sénatus-consulte, et les patriciens n'y étoient pas admis.

Or le peuple chercha toujours à faire par curies les assemblées qu'on avoit coutume de faire par centuries, et à faire par tribus les assemblées qui se faisoient par curies; ce qui fit passer les affaires

1 Voyez là dessus Tite-Live, liv. 1; et Denys d'Halicarnasse, liv. Iv

[blocks in formation]

des mains des patriciens dans celles des plébéiens.

Ainsi, quand les plébéiens eurent obtenu le droit de juger les patriciens, ce qui commença lors de l'affaire de Coriolan 1, les plébéiens voulurent les juger assemblés par tribus 2, et non par centuries; et lorsqu'on établit en faveur du peuple les nouvelles magistratures 3 de tribuns et d'édiles, le peuple obtint qu'il s'assembleroit par curies pour les nommer; et quand sa puissance fut affermie, il obtint qu'ils seroient nommés dans une assemblée par tribus.

CHAPITRE XV.

Comment, dans l'état florissant de la république, Rome perdit tout à coup sa liberté.

Dans le feu des disputes entre les patriciens et les plébéiens, ceux-ci demandèrent que l'on donnât des lois fixes, afin que les jugements ne fussent plus l'effet d'une volonté capricieuse ou d'un pouvoir arbitraire. Après bien des résistances, le sénat y acquiesça. Pour composer ces lois on nomma des décemvirs. On crut qu'on devoit leur accorder

[ocr errors][merged small]

1 Contre l'ancien usage, comme on le voit dans Denys d'Halicarnasse, liv. v, pag. 320.

3 Liv. vi, pag. 410 et 411.

4 Liv. Ix, pag. 605.

« PrécédentContinuer »