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c'est de ne les point croire. On ne peut y faire d'attention que dans les cas qui ne sauroient souffrir les lenteurs de la justice ordinaire, et où il s'agit du salut du prince. Pour lors, on peut croire que celui qui accuse a fait un effort qui a délié sa langue et l'a fait parler; mais dans les autres cas, il faut dire avec l'empereur Constance : « Nous ne << saurions soupçonner celui à qui il a manqué un << accusateur, lorsqu'il ne lui manquoit pas un << ennemi 1. >>>

CHAPITRE XXV.

De la manière de gouverner dans la monarchie.

L'autorité royale est un grand ressort qui doit se mouvoir aisément et sans bruit. Les Chinois vantent un de leurs empereurs, qui gouverna, disent-ils, comme le ciel, c'est-à-dire par son exemple.

Il y a des cas où la puissance doit agir dans toute son étendue : il y en a où elle doit agir par ses limites. Le sublime de l'administration est de bien connoître quelle est la partie du pouvoir, grande ou petite, que l'on doit employer dans les diverses circonstances.

Dans une monarchie, toute la félicité consiste

Leg. vr, cod. Theod. de famos. Libellis.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. I.

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dans l'opinion que le peuple a de la douceur du gouvernement. Un ministre malhabile veut toujours vous avertir que vous êtes esclaves. Mais si cela étoit, il devroit chercher à le faire ignorer. Il ne sait vous dire ou vous écrire, si ce n'est que le prince est fàché; qu'il est surpris; qu'il mettra ordre. Il y a une certaine facilité dans le commandement : il faut que le prince encourage, et que ce soient les lois qui menacent 1.

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CHAPITRE XXVI.

Que dans la monarchie le prince doit être accessible.

Cela se sentira beaucoup mieux par les contrastes. « Le czar Pierre I, dit le sieur Perry 2, a « fait une nouvelle ordonnance qui défend de lui présenter de requête qu'après en avoir présenté << deux à ses officiers. On peut, en cas de déni de justice, lui présenter la troisième : mais celui « qui a tort doit perdre la vie. Personne depuis << n'a adressé de requête au czar. »

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Nerva, dit Tacite, augmenta la facilité de l'empire.

2 État de la Grande Russie, pag. 173, édit. de Paris, 1717.

CHAPITRE XXVII.

Des mœurs du monarque.

Les mœurs du prince contribuent autant à la liberté que les lois : il peut, comme elles, faire des hommes des bêtes, et des bêtes faire des hommes. S'il aime les ames libres, il aura des sujets; s'il aime les ames basses, il aura des esclaves. Veutil savoir le grand art de régner? qu'il approche de lui l'honneur et la vertu, qu'il appelle le mérite personnel. Il peut même jeter quelquefois les yeux sur les talents. Qu'il ne craigne point ses rivaux qu'on appelle les hommes de mérite; il est leur égal dès qu'il les aime. Qu'il gagne le cœur, mais qu'il ne captive point l'esprit. Qu'il se rende populaire. Il doit être flatté de l'amour du moindre de ses sujets; ce sont toujours des hommes. Le peuple demande si peu d'égards, qu'il est juste de les lui accorder : l'infinie distance qui est entre le souverain et lui empêche bien qu'il ne le gêne. Qu'exorable à la prière, il soit ferme contre les demandes, et qu'il sache que son peuple jouit de son refus, et ses courtisans de ses graces.

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CHAPITRE XXVIII.

Des égards que les monarques doivent à leurs sujets.

Il faut qu'ils soient extrêmement retenus sur la raillerie. Elle flatte lorsqu'elle est modérée, parce qu'elle donne les moyens d'entrer dans la familiarité mais une raillerie piquante leur est bien moins permise qu'au dernier de leurs sujets, parce qu'ils sont les seuls qui blessent toujours mortellement.

Encore moins doivent-ils faire à un de leurs sujets une insulte marquée : ils sont établis pour pardonner, pour punir; jamais pour insulter.

Lorsqu'ils insultent leurs sujets, ils les traitent bien plus cruellement que ne traite les siens le Turc ou le Moscovite. Quand ces derniers insultent, ils humilient et ne déshonorent point; mais, pour eux, ils humilient et déshonorent.

Tel est le préjugé des Asiatiques, qu'ils regardent un affront fait par le prince comme l'effet d'une bonté paternelle; et telle est notre manière de penser, que nous joignons au cruel sentiment de l'affront le désespoir de ne pouvoir nous en laver jamais.

Ils doivent être charmés d'avoir des sujets à qui l'honneur est plus cher que la vie, et n'est pas moins un motif de fidélité que de courage.

On peut se souvenir des malheurs arrivés aux princes pour avoir insulté leurs sujets; des vengeances de Chéréas, de l'eunuque Narsès, et du comte Julien; enfin de la duchesse de Montpensier, qui, outrée contre Henri III, qui avoit révélé quelqu'un de ses défauts secrets, le troubla pendant toute sa vie.

CHAPITRE XXIX.

Des lois civiles propres à mettre un peu de liberté dans le gouvernement despotique.

Quoique le gouvernement despotique, dans sa nature, soit partout le même, cependant des circonstances, une opinion de religion, un préjugé, des exemples reçus, un tour d'esprit, des manières, des mœurs, peuvent y mettre des différences considérables.

Il est bon que de certaines idées s'y soient établies. Ainsi, à la Chine, le prince est regardé comme le père du peuple; et, dans les commencements de l'empire des Arabes, le prince en étoit le prédicateur 1.

Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'Alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le Védam

Les califes.

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