Images de page
PDF
ePub

beauté demande l'empire, la raison le fait refuser; quand la raison pourroit l'obtenir, la beauté n'est plus. Les femmes doivent être dans la dépendance, car la raison ne peut leur procurer dans leur vieillesse un empire que la beauté ne leur avoit pas donné dans la jeunesse même. Il est donc très simple qu'un homme, lorsque la religion ne s'y oppose pas, quitte sa femme pour en prendre une autre, et que la polygamie s'introduise.

Dans les pays tempérés, où les agréments des femmes se conservent mieux, où elles sont plus tard nubiles, et où elles ont des enfants dans un âge plus avancé, la vieillesse de leur mari suit en quelque façon la leur; et comme elles y ont plus de raison et de connoissance quand elles se marient, ne fût-ce que parce qu'elles ont plus long-temps vécu, il a dû naturellement s'introduire une espèce d'égalité dans les deux sexes, et par conséquent la loi d'une seule femme.

Dans les pays froids, l'usage presque nécessaire des boissons fortes établit l'intempérance parmi les hommes. Les femmes, qui ont à cet égard une retenue naturelle, parce qu'elles ont toujours à se défendre, ont donc encore l'avantage de la

raison sur eux.

à huit ans, et accouchent l'année d'après. Prideaux, Vie de Mahomet. On voit des femmes, dans les royaumes d'Alger, enfanter à neuf, dix et onze ans. Laugier de Tassis, Histoire du royaumed' Alger, p. 61.

La nature, qui a distingué les hommes par la force et par la raison, n'a mis à leur pouvoir de terme que celui de cette force et de cette raison; elle a donné aux femmes les agréments, et a voulu que leur ascendant finît avec ces agréments; mais dans les pays chauds ils ne se trouvent que dans les commencements, et jamais dans le cours de leur vie.

Ainsi la loi qui ne permet qu'une femme se rapporte plus au physique du climat de l'Europe qu'au physique du climat de l'Asie. C'est une des raisons qui ont fait que le mahométisme a trouvé tant de facilité à s'établir en Asie, et tant de difficulté à s'étendre en Europe; que le christianisme s'est maintenu en Europe, et a été détruit en Asie; et qu'enfin les mahométans font tant de progrès à la Chine, et les chrétiens si peu. Les raisons humaines sont toujours subordonnées à cette cause suprême, qui fait tout ce qu'elle veut, et se sert de tout ce qu'elle veut.

Quelques raisons particulières à Valentinien1 lui firent permettre la polygamie dans l'empire; cette loi violente pour nos climats fut ôtée par Théodose, Arcadius et Honorius.

1 Voyez Jornandès, de regno et tempor. succes. et les historiens ecclésiastiques.

* Voyez la loi vir, au Code, de Judæis et cœlicolis; et la nov. XVIII, chap. v.

CHAPITRE III.

Que la pluralité des femmes dépend beaucoup de leur entretien.

Quoique dans les pays où la polygamie est une fois établie le grand nombre des femmes dépende beaucoup des richesses du mari, cependant on ne peut pas dire que ce soient les richesses qui fassent établir dans un état la polygamie : la pauvreté peut faire le même effet, comme je le dirai en parlant des sauvages.

La polygamie est moins un luxe que l'occasion d'un grand luxe chez des nations puissantes. Dans les climats chauds on a moins de besoins 1; il en coûte moins pour entretenir une femme et des enfants on y peut donc avoir un plus grand nombre de femmes.

A Ceylan, un homme vit pour dix sous par mois : on n'y mange que du riz et du poisson. Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, tom. II, part. II.

CHAPITRE IV.

De la polygamie; ses diverses circonstances.

Suivant les calculs que l'on a faits en divers endroits de l'Europe, il y naît plus de garçons que de filles ; au contraire, les relations de l'Asie 2 et de l'Afrique 3 nous disent qu'il y naît beaucoup plus de filles que de garçons. La loi d'une seule femme en Europe, et celle qui en permet plusieurs en Asie et en Afrique, ont donc un certain rapport au climat.

Dans les climats froids de l'Asie il naît comme en Europe plus de garçons que de filles. C'est, disent les lamas ", la raison de la loi qui chez eux permet à une femme d'avoir plusieurs maris 5.

Mais je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de pays où la disproportion soit assez grande pour qu'elle

M. Arbutnot trouve qu'en Angleterre le nombre des garçons excède celui des filles: on a eu tort d'en conclure que ce fût la même chose dans tous les climats.

Voyez Kempfer, qui nous rapporte un dénombrement de Méaco, où l'on trouve 182,072 mâles, et 223,573 femelles.

3 Voyez le Voyage de Guinée, de M. Smith, part. II, sur le pays d'Anté.

4 Du Halde, Mémoires de la Chine, tom. 1v, pag. 46.

5 Albuzéir-el-hassen, un des deux mahométans arabes qui allèrent aux Indes et à la Chine au neuvième siècle, prend cet usage pour une prostitution. C'est que rien ne choquoit tant les idées mahomé

tanes.

exige qu'on y introduise la loi de plusieurs femmes ou la loi de plusieurs maris. Cela veut dire seulement que la pluralité des femmes, ou même la pluralité des hommes, s'éloigne moins de la nature dans de certains pays que dans d'autres.

J'avoue que si ce que les relations nous disent étoit vrai, qu'à Bantam il I y a dix femmes pour un homme, ce seroit un cas bien particulier de la polygamie.

Dans tout ceci je ne justifie pas les usages, mais j'en rends les raisons.

CHAPITRE V.

Raison d'une loi du Malabar.

Sur la côte du Malabar, dans la caste des naïres", les hommes ne peuvent avoir qu'une femme, et une femme au contraire peut avoir plusieurs maris. Je crois qu'on peut découvrir l'origine de cette coutume. Les naïres sont la caste des nobles, qui sont les soldats de toutes ces nations. En Europe

▾ Recueil des Voyages qui ont servi à l'établissement de la Compagnie des Indes, tom. I.

Voyages de François Pyrard, chap. xxvII. Lettres édifiantes, troisième et dixième recueils sur le Malléami, dans la côte du Malabar. Cela est regardé comme un abus de la profession militaire: et, comme dit Pyrard, une femme de la caste des bramines n'épouseroit jamais plusieurs maris.

« PrécédentContinuer »