Images de page
PDF
ePub

liques sur le grand autel, au lieu le plus haut et le plus éminent, pour les faire adorer plus authentiquement. Voilà donc comme la folle curiosité qu'on a eue du commencement à faire trésor de reliques est venue en ceste abomination tout ouverte, que non seulement on s'est détourné du tout de Dieu, pour s'amuser à choses corruptibles et vaines, mais que, par sacrilége exécrable, on a adoré les créatures mortes et insensibles, au lieu du Dieu vivant. » Ce passage est le moins amer d'un long pamphlet sur les reliques, où Calvin triomphe avec une joie cruelle de toutes les méprises de la crédulité naïve et du zèle ignorant qui avaient multiplié outre mesure des témoignages contradictoires. Il va même jusqu'à des plaisanteries qui semblent dérobées à Rabelais; témoin celle-ci, prise entre mille autres : « Mais le joyau le plus férial est des douze peignes des Apostres qu'on montre à Nostre-Dame de l'Isle, sus Lyon. Je pense bien qu'ils ont esté du commencement mis là pour faire accroire qu'ils estoient aux douze pairs de France; mais depuis, leur dignité s'est accrue et sont devenus apostoliques. »

Il est inutile d'apporter de nouvelles preuves qui démontreraient surabondamment à quel point Calvin est étranger à la mesure et à la douceur de l'esprit évangélique; mais la souffrance morale qu'on éprouve en lisant ces écrits violents et sarcastiques ne doit pas nous faire méconnaître la prodigieuse activité et la puissance de ce génie infatigable qui a fondé une doctrine et un Etat, qui a laissé dans les idées et les mœurs de Genève une empreinte ineffaçable, dont la parole était toujours prête pour l'enseignement, la plume toujours armée pour le combat. On se lasserait à supputer ce qu'il a dit, ce qu'il a écrit; la volumineuse collection de ses œuvres n'en donne qu'une faible idée; ses leçons théologiques, ses pamphlets, ses sermons, sa correspondance, très-incomplétement recueillis, ne représentent qu'un côté de cette vie si souvent appliquée au soin des affaires publiques. Calvin est donc une des intelligences les plus fortement douées qui aient paru en ce

monde. Le caractère de son esprit est la rigueur impitoyable des déductions, la netteté des conceptions, la vigueur logique qui s'est animée jusqu'à la passion; tel est aussi le principe des qualités de son style qui l'ont placé au premier rang comme écrivain. Si l'on compare Calvin aux plus habiles des prosateurs de son temps, à Rabelais lui-même, on sera frappé de la nouveauté de son langage. Jusqu'alors rien de semblable n'avait paru. Avant Calvin, la prose, lorsqu'elle essayait de devenir périodique, se traînait, s'enchevêtrait le plus souvent, et ne parvenait guère qu'à devenir obscure et diffuse. Calvin lui donne une allure fière et noble, de la clarté et du nombre; avec lui elle cesse de bégayer, elle touche à la virilité, elle atteint presque à la hauteur de la prose latine qui lui a servi de modèle. Et, en effet, ce langage de Calvin que nos grands écrivains n'ont fait que tremper plus fortement, qu'ils ont encore assoupli et coloré, doit surtout sa vigoureuse croissance à la connaissance approfondie du latin, que le chef des réformateurs écrivait et parlait avec autant de pureté que de force. Son mérite est d'avoir su, dans ce croisement, maintenir le génie de la langue moderne qu'il enrichissait.

Marot, Rabelais et Calvin sont, à des titres divers, de grands écrivains. Marot doit peu de chose aux anciens, qu'il avait étudiés négligemment. Seulement, par le mélange de la finesse acérée de Martial et de la naïveté gauloise, il a donné à l'épigramme, dont il est le premier maître en France et dont il est resté le modèle, le tour qui lui est propre et le caractère qu'elle a conservé. Pour le reste il se rattache au courant de l'esprit national qu'il a épuré : dans son premier essai, le Temple de Cupido, il était encore un disciple, mais passé maître, de Guillaume de Lorris; il achevait avec un goût d'élégance nouvelle, cette poésie sophistiquée du roman de la Rose, qui n'avait jamais eu qu'une grâce artificielle; dès lors, suivant d'un pas assuré et d'une allure toute personnelle les traces de Jean de Meung et de Villon, il tirera son originalité et un intérêt durable de la franchise de ses saillies et de la vérité de ses

émotions. Rabelais est aussi de race gauloise; il sait tout ce que la malice des conteurs satiriques du moyen âge a publié à la charge de la moinerie, et il enrichira encore ce répertoire d'insolentes gausseries; mais il est en même temps le savant disciple des anciens : il ne connaît pas seulement son Hippocrate, qu'il édite, mais Aristophane, mais Lucien, mais Platon; il y puise à toutes mains, il introduit dans sa langue les hardiesses de la flexible syntaxe des Grecs et les richesses de leur vocabulaire, sans oublier les Latins, que Calvin, de son côté, met si heureusement à contribution.

Nous avons essayé de faire connaître ces trois éminents personnages, et pour leur laisser une place convenable nous les avons dégagés de leur entourage. Cependant il faut les replacer, par la pensée, dans le cadre où ils ont vécu, et rendre au roi François Ier, protecteur des lettres, promoteur actif de la renaissance, et à sa sœur Marguerite, la part qui leur revient dans le développement et l'essor du génie contemporain. Marot et Rabelais acceptent leur patronage, dont ils profitent, et Calvin invoque l'appui du roi dans cette langue française, enfin émancipée, après une longue et injurieuse minorité, par un acte de la volonté royale. C'est encore à François Ier, qui dans sa prison de Madrid avait lu l'Amadis espagnol, qu'il faut rapporter la recrudescence chevaleresque dont la traduction d'Herberay des Essarts fut le signal. Ce retour vers des mœurs d'un autre âge ne fut guère qu'un mouvement d'imagination, mais il fut vif, brillant et contagieux. Les Amadis, qui étaient sans doute des Lancelots et des Tristans espagnolisés, reparurent avec éclat sur la terre natale. Leur introducteur était un habile écrivain, et un critique distingué de nos jours n'a pas hésité à lui assigner une part considérable dans la constitution de la prose française : « Le nombre de la période, dit M. Chasles, et même le choix des mots doivent beaucoup à d'Herberay des Essarts: il a su reproduire dans sa traduction quelque chose de cette harmonie pompeuse qui caractérise la langue espagnole, et l'on pour

rait sans trop de hardiesse le nommer le Balzac de son temps. » A ce titre nous lui devions une place dans cette revue rapide. Il ne faut pas oublier non plus qu'à côté de Marot brillèrent quelques beaux esprits qui ne sont pas à mépriser, tels que le jeune Brodeau, enlevé prématurément et qui rivalisait avec son maître, et surtout Mellin de Saint-Gelais, fils d'un autre poëte, Octavien de Saint-Gelais, dont on ne peut guère citer que le nom, car ses meilleures épigrammes sont plus spirituelles qu'édifiantes. Abbé et même aumônier du dauphin, il fut plus que Marot le modèle de J. B. Rousseau pour des pièces de même genre qui contrastent scandaleusement avec les odes sacrées de notre poëte lyrique. N'est-ce pas lui qui, par un profane mélange, lançait l'excommunication au nom du fils de Vénus:

Si du parti de celles voulez être
Par qui Vénus de la cour est bannie,
Moi, de son fils ambassadeur et prêtre,
Savoir vous fais qu'il vous excommunie.

La faveur dont jouissait Saint-Gelais, la considération qui
l'entourait au milieu des fêtes d'une cour voluptueuse dont il
était l'ordonnateur, annoncent ce que la morale publique
doit aux Valois. Signalons encore, dans le voisinage de Ra-
belais et à côté de la reine de Navarre Marguerite, son valet
de chambre Bonaventure des Perriers, auteur des Joyeux
Devis et de cet énigmatique Cymbalum mundi, écrivain
élégant, conteur ingénieux, novateur téméraire, qui finit
tragiquement une vie vouée au double libertinage des sens
et de l'esprit. Enfin rappelons au moins le nom du disciple
fidèle, de l'infatigable auxiliaire de Calvin, Théodore de
Bèze, historien fécond et partial, controversiste habile,
orateur qui ne manque ni de force ni de dignité, bel esprit
fertile en vers français et latins, et qui devrait nous arrêter
longtemps s'il avait consacré par le style quelques-unes des
pages innombrables qu'il a composées.

રા

[ocr errors]
[ocr errors]

CHAPITRE II.

Réforme littéraire.- Manifeste des réformateurs. -Joachim du Bellay. Ses poésies. Ronsard. Épopée. — Odes pindariques. — Son- Pièces anacréontiques. Essais dramatiques. Jodelle. Amadis Jamyn, Remy Belleau, Baïf. - Excès et affaiblissement de l'école de Ronsard. - Du Bartas.

nets.

Desportes.

Bertaut.

Ce n'était pas en vain qu'à la fin du quinzième siècle, et pendant la première moitié du seizième, l'érudition avait exhumé les trésors de l'antiquité, et que les expéditions guerrières contre l'Italie avaient fait connaître à la France une littérature illustrée par Dante, Pétrarque et Boccace. Le contre-coup de ces études devait se faire sentir un jour; il était impossible que l'érudition ne réagît pas sur la poésie. L'impulsion de cet inévitable mouvement fut donnée par de jeunes disciples nourris sous la forte discipline des études classiques; leur maître fut Jean Daurat, et suivant l'expression de Duverdier, on vit de son école une troupe de poëtes s'élancer comme du cheval troyen. Ayant savouré à loisir le goût et le parfum des vieux poëtes, l'élévation de leur langage, la noblesse de leurs idées, ils prirent en pitié ces riens gracieux que les poëtes prodiguaient sous le nom de virelais, triolets et rondeaux ; à ces grâces quelquefois naïves, souvent maniérées, ils voulurent substituer de mâles beautés, et remplacer le modeste hautbois par la trompette héroïque.

L'Illustration de la langue françoise, publiée ou plutôt lancée en 1549 par du Bellay, nous donne la date historique de ce mouvement littéraire qui se prolongea, pendant près d'un demi-siècle, sous les auspices de Ronsard. Voici ce que disait du Bellay pour donner du cœur à ses compagnons : « Condamner une langue comme frappée d'impuissance, c'est prononcer avec arrogance et témérité comme font certains de notre nation, qui, n'étant rien moins que Grecs et Latins, déprisent et rejettent d'un sourcil plus que stoïque toutes les choses écrites en fran

« PrécédentContinuer »