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en même temps vous mettez tout votre fort à montrer, que le P. Ma- VH. CL. lebranche parle plus correctement que I. Arnauld, & qu'ainfi on a No. XI. eu tort de le critiquer. I refte donc à faire voir que ce que vous dites fur cela pour juftifier le langage du P. Malebranche, n'eft fondé que fur des fuppofitions arbitraires, que vous jugerez vous-même qui n'ont aucune vraisemblance, quand vous les aurez confidérées avec plus d'attention.

S. III.

Suppofitions de M. Bayle, pour juftifier que le P. Malebranche n'a point dû être repris, pour avoir dit que les Plaifirs des Sens nous rendent heureux.

Premiere fuppofition. Que le mot de bonheur a deux notions; l'une de
Morale, & l'autre de Phyfique ou de Métaphysique.

Il faut bien que vous fuppofiez cela, puifque vous dites en un endroit, que les uns jugent de cette propofition, les Plaisirs des Sens nous rendent Replique, heureux, felon le tour de morale que l'on donne ordinairement à cette doc- P.17 & 18. trine, & les autres felon la vérité littérale d'un dogme métaphyfique. Et en

un autre, que le peuple, qui en toute autre chofe a befoin d'être redressé par page 28. ceux qui parlent exactement, eft fort littéral & fort PHYSICIEN, en difant que les plaifirs font un bonheur. Par où vous voulez faire entendre, qu'il parle fort bien du bonheur, quand il l'attribue aux Plaifirs des Sens parce qu'il en parle comme on en doit parler, quand on confidere le bonheur en Phyficien.

Cette fuppofition eft fort nouvelle, & on ne voit pas bien comment vous avez pu croire qu'on vous la pafferoit fans contredit. Car il me femble que jufques-ici, tout le monde a cru, que les mots de bonheur & de malheur, auffi-bien que ceux de vertu & de vice, de jufte & d'injufte, d'honnête & de déshonnête, de louable & de blamable, de permis & de défendu, étoient des mots de Morale, & non de Phyfique ou de Métaphyfique c'est-à-dire, que c'étoit de la Morale & non de la Physique, ou de la Métaphyfique, qu'on en devoit apprendre les véritables notions. Je doute, Monfieur, que vous ofiez dire le contraire. C'est donc en vain que vous nous renvoyez à la Phyfique ou à la Métaphyfique, pour avoir le fens d'aucun de ces mots, qui ne font point du reffort de ces sciences, où l'on ne fait pas profeffion d'enfeigner ce qui rend l'homme heureux ou malheureux, ou ce qui eft jufte ou injufte. Quoique cela Philofophie. Tome XL.

D

VII. CL. foit très - clair: quelques exemples y pourront donner encore plus de N°. XI. lumiere.

Réflex.

Phil. &c.
Livre I.

C'eft à la Phyfique à rechercher ce que c'est que le vin, quels en font les effets, & quelle eft la caufe de ces différents effets d'où vient qu'étant bu fobrement, il réveille l'efprit; & qu'étant bu avec excès, il l'abrutit & le trouble? Le Phyficien en demeure là, & il ne s'avisera jamais, à moins qu'il ne voulût joindre à la Phyfique des digreffions de Morale, de demander, fi c'eft un vice ou une vertu de fe provoquer à le boire fans bornes & fans mefure, & de prendre pour un fujet de louange, d'avoir pu le faire plus que pas un autre? Il s'avifera encore moins de mettre en question, fi un yvrogne eft heureux, tandis qu'il boit de fort bon vin? C'eft ce qu'il laiffe à difcuter aux Philofophes moraux. Lifez toutes les Phyfiques bien faites, & vous trouverez que je dis vrai.

La Métaphyfique a été plus avant, depuis quelques années, fur la nature des Plaifirs des Sens. Elle a découvert que ces plaifirs ne font pas des modifications du corps, mais des modifications de l'ame, & elle -prétend que c'eft Dieu qui les forme en elle, à l'occafion de ce qui fe passe dans le corps auquel elle eft unie, pour lui être une courte preuve de ce qui eft propre à le conferver.

Vous avez vu dans le vingt-unieme Chapitre de M. Arnauld, ce que le P. Malebranche dit fur cela dans fa dixieme Méditation. Tu as un corps, ton ame y eft unie.... Tu veux & tu dois le conferver. Tu dois donc travailler à la recherche de deux fortes de biens... Et tu dois avoir deux marques différentes pour difcerner ces deux fortes de bien. L'ordre veut que le bien de Pefprit foit aimé par raifon, & le bien du corps par l'inftinct du plaifir: Que le bien de l'efprit foit recherché avec application, & le bien du corps difcerné fans peine.... L'ordre veut donc que tu fois averti, par la preuve courte inconteftable du fentiment, de ce que tu dois faire pour conferver ta vie.

Voilà tout ce que la Métaphyfique peut enfeigner. Elle en demeure-là ; & elle laiffe à la Morale à rechercher, s'il s'enfuit de-là, que les Plaifirs des Sens rendent heureux ceux qui en jouiffent. Et ainfi je ne fais comment Vous vous êtes pu imaginer, que cette propofition, les Plaifirs des Sens nous rendent beureux, étoit la vérité littérale d'un dogme métaphyfique. Affurément, vous vous êtes trompé faute d'application, & vous avez pris pour la vérité littérale d'un dogme métaphyfique, la conclufion morale que vous avez cru que. l'on pouvoit & que l'on devoit tirer de ce dogme métaphysique. Et ce qui eft de plus fâcheux, eft, que vous ne vous êtes pas apperçu, que pour bien raisonner, vous en deviez tirer une toute contraire.

Car ce dogme métaphyfique, comme je l'ai déja remarqué, ne dit point VII. Ct. du tout, fi ces Plaifirs des Sens, font ou ne font pas le bonheur de l'homi- N°. XI. me mais il en dit trois chofes, dont le Philofophe moral, à qui il appartient de déterminer ce qui peut être notre bonheur, doit conclure néceffairement que ces plaifirs ne le fauroient être. Ces trois chofes, font. La premiere, que ces plaifirs préviennent la raison, & qu'on en eft touché, foit qu'on le veuille, ou qu'on ne le veuille pas. Or l'homme étant ce qu'il eft par fa raison & fa volonté, ce n'eft auffi que par fa raison & par, fa volonté qu'il peut être heureux. La feconde eft, que ces plaisirs ne font que des moyens pour conferver les corps. Or les moyens n'étant, pas defirables pour eux-mêmes, ne peuvent être ce qui nous rend heureux. La troifieme eft, que ces plaifirs ne font que pour le bien de notre corps. Or le bien de notre corps n'eft pas notre bien, comme l'avoue le P. Malebranche; & par conféquent ce qui n'eft qu'un moyen pour nous procurer ce qui n'est pas notre bien, ne peut être notre bonheur.

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Souffrez donc, Monfieur, que je vous dife, que c'eft avoir abandonné votre client, que d'avouer comme vous faites, que ceux qui prendront le mot de bonheur, comme on le prend dans la Morale, feront du fentiment de M. Arnauld; car c'eft à la Morale feule, ou humaine ou chrétienne, à décider ce différent. La Phyfique & la Métaphyfique n'y ont que faire. Elles nous apprennent feulement quelle eft la nature de ces plaifirs: mais ce qu'elles nous en apprennent, loin de nous porter à croire qu'ils nous doivent rendre heureux, nous doit, au contraire, perfuader qu'ils ne fauroient être notre bonheur.

S. I V.

Seconde fuppofition. Que le P. Malebranche a fuffisamment déclaré, qu'il prenoit le mot de bonheur, felon les idées populaires.

&c.

Vous fuppofez que le P. Malebranche a fuffifamment déclaré, qu'il Replique, prenoit le mot de bonheur felon les idées populaires, & non felon les p. 20, 21, idées philofophiques, & que l'on peut prendre pour chicanerie de lui avoit imputé le contraire. Et pour le prouver vous alléguez un endroit de ce Pere, cité par M. Arnauld, que vous prétendez qui le dit formellement. C'est de fon Traité, Difc. 3. n. 4.

"Le mot de bien eft équivoque: il peut fignifier ou le plaifir qui rend formellement heureux, ou la cause du plaifir vraie ou apparente. Dans » ce difcours, je prendrai toujours le mot de bien dans le fecond-fens..... Comme il n'y a que Dieu qui faffe fentir du plaifir à l'ame, il n'y a

VII. CL. » que Dieu qui lui foit véritablement bien. J'appelle néanmoins du nom N°. XI. „, de bien, les créatures qui font caufes apparentes des plaifirs que nous fentons à leur occafion: car je ne veux point m'éloigner de l'ufage or

دو

» dinaire de parler, qu'autant que cela est néceffaire pour m'expliquer clai

دو

"rement".

Vous trouvez, Monfieur, que ce paffage eft convaincant contre M. Arnauld; & moi je trouve que s'il prouve quelque chofe, ce doit être

contre vous.

Il eft bien certain qu'il ne fait rien contre M. Arnauld. Car ces trois dernieres lignes, car je ne veux pas m'éloigner, &c. que vous avez miles en capitales, comme étant décifives, ne regardent point du tout le mot de bonheur, qu'il attribue aux Plaifirs des Sens; mais le mot de bien, qu'il attribue à la caufe réelle ou apparente de ces plaifirs. Il eft donc clair, que cela ne prouve nullement ce que vous prétendez, que le P. Malebranche a déclaré formellement dans ce paffage; que, lorfqu'il dit que les Plaifirs des Sens, nous rendent heureux, il prenoit le mot de bonheur felon les idées populaires.

Mais s'il étoit vrai que ce qu'il dit du mot de bien, il l'ait voulu dire auffi de celui de bonheur, cela feroit encore davantage contre vous. Car ce qu'il dit, qu'il appellera bien ce qui eft la cause apparente du plaifir, parce qu'il ne veut point s'éloigner de l'ufage ordinaire de parler, qu'autant que cela lui eft nécessaire pour s'expliquer clairement, n'empêche pas qu'il ne déclare immédiatement après: Que les créatures, quoique bonnes en elles-mêmes....... ne font point un bien à notre égard, parce qu'elles ne font point la véritable caufe de notre plaisir ou de notre bonheur ; & qu'il n'ait dit dans la Recherche de la Vérité, page 587, que les richesses & les bonneurs ne font point des biens à notre égard, quoique l'Ecriture les appelle des biens en parlant felon le langage ordinaire. Il en feroit de même du bonheur, fi c'étoit tant à l'égard du mot de bonheur, qu'à l'égard du mot de bien, qu'il eût déclaré qu'il s'éloigne le moins qu'il peut de l'ufage ordinaire de parler. Car cela voudroit dire, qu'à l'égard de l'un & de l'autre, il auroit parlé comme le peuple; & qu'ainfi, comme il avoit appellé bien, ce qu'il ne croyoit pas être notre bien, il avoit auffi appellé bonbeur, ce qu'il ne croyoit pas être notre bonheur.

J'ai eu donc raifon, Monfieur, de vous dire deux chofes fur ce paffage, que vous avez mis en lettres capitales pour le faire mieux remarquer l'une, qu'il ne prouve rien du tout contre M. Arnauld. Car il n'eft pas vrai, que le P. Malebranche y ait déclaré, que ç'avoit été pour s'accommoder au langage du peuple, qu'il avoit appellé bonheur la jouiffance des Plaifirs des Sens. L'autre, que s'il l'avoit dit, comme il l'a dit

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du bien, cela feroit entiérement contre vous, ainfi que je viens de le VII. CL
faire voir.
No. XI.

S. V.

Troifieme fuppofition. Qu'on n'a pas eu raifon de dire, que le P. Ma-
lebranche a dû prendre le mot de bonheur autrement que le peuple.

Nous venons de prouver qu'il n'eft pas vrai, que le P. Malebranche ait déclaré, qu'en difant que les Plaifirs des Sens nous rendent heureux, il prenoit le mot de bonheur dans le fens du peuple. Or ne pouvant plus vous prévaloir de cette déclaration, parce qu'elle n'eft pas véritable, voyons fi vous avez pu fuppofer d'ailleurs que cela étoit ainfi, & que, M. Arnauld a mal prouvé le contraire, lorfqu'il a dit: Que ce feroit une étrange confufion dans la Morale, lorfqu'on la traite en Philofophe dans des livres dogmatiques, de prendre les termes de BONHEUR ou de ce qui rend heureux, dans des fens éloignés, dans lefquels aucun Philofophe ne les auroit jamais pris.

Vous faites trois réponses à cela; mais la troifieme ne fait rien du tout à notre fujet : car elle confifte à dire, que par cela même que l'Auteur faifoit profeffion de parler exactement, & en bon Philofophe dogmatique, il a du parler du bonheur felon les idées populaires, & non pas Selon le fens des Philofophes. C'eft fuppofer ce qui eft en queftion, & ce que nous ferons voir en fon lieu n'avoir pas la moindre apparence de vérité.

La feconde réponse vient d'être ruinée. C'eft qu'encore, dites-vous, qu'un livre fuit fort dogmatique, & compofé par un Philofophe, nous n'avons pas droit d'en prendre les termes en un fens éloigné du populaire, lorfque l'Auteur nous avertit, qu'il ne veut point s'éloigner du commun ufage. Vous fuppofez donc que le P. Malebranche nous a avertis, qu'il prenoit le mot de bonheur dans le fens populaire, ne voulant pas s'éloigner du commun ufage. Et c'eft ce qui n'eft pas vrai, comme on l'a montré dans le §. précédent.

Il ne reste donc plus que la premiere réponse, à laquelle néanmoins
vous nous permettez de ne nous point attacher; mais ne pouvant nous
attacher à d'autre, il faut bien que nous examinions celle-là.

- Cette réponse confifte à dire: Qu'il n'y a rien de plus ordinaire que
de voir dans les Livres dogmatiques des Philofophes, plufieurs façons de
parler prifes felon l'idée du Peuple. Qu'il n'y a point, par exemple, de Car-
téfien qui ne dife mille fois, qu'un corps en pouse un autre, que nous
remuons nos mains, que les animaux font attirés par l'odeur des viandes,

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