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SECOND EXEMPLE.

VIII. C L.

Par la même raifon, cet argument, qui paroît de la feconde figure, & conforme aux regles de cette figure, ne vaut rien.

Nous devons croire l'Ecriture:

La Tradition n'est point l'Ecriture:

Donc nous ne devons point croire la Tradition.

Çar il fe doit réduire à la premiere figure, comme s'il y avoit :

L'Ecriture doit être crue:

La Tradition n'eft pas l'Ecriture:

Donc la Tradition ne doit pas être crue.

Or l'on ne peut rien conclure dans la premiere figure d'une mineure négative.

TROISIEME EXEMPLE.

Il y a d'autres arguments qui paroiffent de pures affirmatives dans la
Teconde figure, & qui ne laiffent pas d'être fort bons, comme :
Tout bon Pafteur eft prêt de donner sa vie pour ses brebis?

Or il y a peu aujourd'hui de Pafteurs qui foient prêts de donner leur vie pour leurs brebis:

Donc il y a peu aujourd'hui de bons Pasteurs.

Mais ce qui fait que ce raifonnement eft bon, c'eft qu'on n'y conclut affirmativement qu'en apparence. Car la mineure eft une propofition exclufive, qui contient dans le fens cette négative: Plufieurs des Pafteurs d'aujourd'hui ne font pas prêts à donner leur vie pour leurs brebis. Et la conclufion auffi fe réduit à cette négative: Plufieurs des Pafteurs d'aujourd'hui ne font pas de bons Pafteurs.

QUATRIE ME EXEMPLE.

[Voici encore un argument, qui, étant de la premiere figure, paroît avoir la mineure négative, & qui néanmoins eft fort bon.

Tous ceux à qui on ne peut ravir ce qu'ils aiment, font hors d'atteinte à leurs ennemis :

Or quand un homme n'aime que Dieu, on ne lui peut ravir ce qu'il aime: Donc tous ceux qui n'aiment que Dieu font hors d'atteinte à leurs ennemis. Ce qui fait que cet argument eft fort bon, c'eft que la mineure n'eft négative qu'en apparence, & eft en effet affirmative.

Car le fujet de la majeure, qui doit être attribut dans la mineure, n'eft pas ceux à qui on peut ravir ce qu'ils aiment; mais c'eft, au con

No. III.

VIII. C. traire, ceux à qui on ne peut le ravir. Or c'est ce qu'on affirme de ceux N°. III. qui n'aiment que Dieu; de forte que le fens de la mineure est:

Or tous ceux qui n'aiment que Dieu font du nombre de ceux à qui on ne peut ravir ce qu'ils aiment. Ce qui eft vifiblement une propofition affirmative.

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C'est ce qui arrive encore, quand la majeure eft une propofition exclufive, comme:

Les feuls amis de Dieu font heureux :

Or il y a des riches qui ne font pas amis de Dieu :

Donc il y a des riches qui ne font pas heureux.

Car la particule feuls, fait que la premiere propofition de ce fyllogifme vaut ces deux ici: Les amis de Dieu font heureux: Et, tous les autres hommes, qui ne font point amis de Dieu, ne font point heureux.

Or comme c'eft de cette feconde propofition que dépend la force de ce raisonnement, la mineure, qui fembloit négative, devient affirmative; parce que le fujet de la majeure, qui doit être attribut dans la mineure, n'eft pas amis de Dieu, mais ceux qui ne font pas amis de Dieu; de forte que tout l'argument fe doit prendre ainfi :

Tous ceux qui ne font point amis de Dieu ne font point heureux :
Or il y a des riches qui font du nombre de ceux qui ne font point amis de
Dieu:

Donc il y a des riches qui ne font point heureux.

Mais ce qui fait qu'il n'eft point néceffaire d'exprimer la mineure de cette forte, & que l'on lui laiffe l'apparence d'une propofition négative, c'est que c'est la même chofe, de dire négativement, qu'un homme n'eft pas ami de Dieu, & de dire affirmativement, qu'il est non ami de Dieu; c'est-à-dire, du nombre de ceux qui ne font pas amis de Dieu. ]

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Il y a beaucoup d'arguments femblables, dont toutes les propofitions paroiffent négatives, & qui néanmoins font très-bons, parce qu'il y en a une qui n'eft négative qu'en apparence, & qui eft affirmative en effet, comme nous venons de le faire voir, & comme on verra encore par cet exemple:

Ce qui n'a point de parties ne peut périr par la dissolution de fes parties :
Notre ame n'a point de parties:

Donc notre ame ne peut périr par la diffolution de fes parties.

Il y a des perfonnes qui apportent ces fortes de fyllogifmes pour mon

trer

trer que l'on ne doit pas prétendre que cet axiome de Logique, On ne VIII. CL. conclut rien de pures négatives, foit vrai généralement & fans distinction. No. III. Mais ils n'ont pas pris garde que dans le fens, la mineure de ce fyllogifme & autres femblables eft affirmative, parce que le milieu, qui est le fujet de la majeure, en eft l'attribut. Or le fujet de la majeure n'est pas, ce qui a des parties, mais ce qui n'a point de parties. Et ainfi le fens de la mineure eft: Notre ame eft une chofe qui n'a point de parties, ce qui est une proposition affirmative d'un attribut négatif.

Ces mêmes perfonnes prouvent encore, que les arguments négatifs font quelquefois concluants, par ces exemples: Jean n'est point raisonnable: Donc il n'eft point homme. Nul animal ne voit: Donc nul homme ne voit. Mais ils devoient confidérer que ces exemples ne font que des enthymêmes, & que nul enthymême ne conclut qu'en vertu d'une propofition sous-entendue, & qui, par conféquent, doit être dans l'efprit, quoiqu'elle ne foit pas exprimée. Or dans l'un & l'autre de ces exemples, la propofition fous-entendue eft néceffairement affirmative. Dans le premier, celle-ci : Tout homme eft raisonnable: Jean n'eft point raisonnable: Donc Jean n'eft point homme. Et dans l'autre : Tout homme eft animal: Nul animal ne voit : Donc nul homme ne voit. Or on ne peut pas dire que ces fyllogifmes foient de pures négatives. Et par conféquent les enthymêmes, qui ne concluent que parce qu'ils enferment ces fyllogifines entiers dans l'efprit de celui qui les fait, ne peuvent être apportés en exemple, pour faire voir qu'il y a quelquefois des arguments de pures négatives qui concluent.

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Principe général, par lequel, fans aucune réduction aux figures & aux modes, on peut juger de la bonté ou du défaut de tout fyllogifme.

N

Ous avons vu comme on peut juger fi les arguments complexes. font concluants ou vicieux, en les réduisant à la forme des arguments plus communs, pour en juger enfuite par les regles communes. Mais comme il n'y a point d'apparence que notre efprit ait befoin de cette réduction pour faire ce jugement, cela a fait penfer qu'il falloit qu'il y eût des regles plus générales, fur lefquelles même les communes fuffent appuyées, par où l'on reconnût plus facilement la bonté ou le défaut de toute forte de fyllogifmes. Et voici ce qui en eft venu dans l'efprit. Belles Lettres. Tome XLI.

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N n

VIII. C L.

Lorfqu'on veut prouver une propofition dont la vérité ne paroft pas No. III. évidemment, il femble que tout ce qu'on a à faire foit, de trouver une propofition plus connue, qui confirme celle-là, laquelle pour cette raifon on peut appeller la propofition contenante. Mais parce qu'elle ne la peut pas contenir expreffément & dans les mêmes termes, puifque fi cela étoit elle n'en feroit point différente, & ainfi elle ne ferviroit de rien pour la rendre plus claire, il eft néceffaire qu'il y ait encore une autre proprofition, qui faffe voir que celle que nous avons appellée contenante, contient en effet celle que l'on veut prouver. Et celle-là fe peut appeller applicative.

Dans les fyllogifines affirmatifs, il eft fouvent indifférent laquelle des deux on appelle contenante, parce qu'elles contiennent toutes deux en quelque forte la conclufion, & qu'elles fervent mutuellement à faire voir que l'autre la contient.

Par exemple, fi je doute fi un homme vicieux eft malheureux, & que je raifonne ainfi :

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Quelque propofition que vous preniez, vous pourrez dire qu'elle contient la conclufion, & que l'autre le fait voir. "Car la majeure la contient, parce qu'esclave de fes paffions contient fous foi vicieux; c'est-àdire, que vicieux eft enfermé dans fon étendue, & eft un de fes fujets, comme la mineure le fait voir. Et la mineure la contient auffi, parce qu'efclave de fes paffions comprend dans fon idée celle de malheureux, comme la majeure le fait voir.

Néanmoins, comme la majeure eft prefque toujours plus générale, on la regarde d'ordinaire comme la propofition contenante, & la mineure comme applicative.

Pour les fyllogifmes négatifs, comme il n'y a qu'une propofition négative, & que la négation n'est proprement enfermée que dans la négation, il femble qu'on doive toujours prendre la propofition négative pour la contenante, & l'affirmative pour l'applicative feulement; foit que la négative foit la majeure: comme en Celarent Ferio Cefare, Feftino; foit que ce foit la mineure, comme en Cameftres & Baroco.

Car fi je prouve par cet argument que nul avare n'est heureux :

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Il est plus naturel de dire que la mineure, qui eft négative, contient

la conclufion, qui est auffi négative, & que la majeure eft pour montrer VIII. CL. qu'elle la contient. Car cette mineure, nul avare n'est content, féparant N°. III. totalement content d'avec avare, en fépare auffi heureux; puifque felon la majeure, heureux eft totalement enfermé dans l'étendue de content.

Il n'eft pas difficile de montrer, que toutes les regles que nous avons données ne fervent qu'à faire voir, que la conclufion eft contenue dans P'une des premieres propofitions, & que l'autre le fait voir; & que les arguments ne font vicieux que quand on manque à obferver cela, & qu'ils font toujours bons quand on l'obferve. Car toutes ces regles fe réduisent à deux principales, qui font le fondement des autres. L'une, que nul terme ne peut être plus général dans la conclufion que dans les prémiffes. Or cela dépend vifiblement de ce principe général, que les prémiffes doivent contenir la conclufion. Ce qui ne pourroit pas être, fi le même terme étant dans les prémiffes & dans la conclufion, il avoit moins d'étendue dans les prémiffes que dans la conclufion. Car le moins général ne contient pas le plus général, quelque homme ne contient pas tout homme.

L'autre regle générale eft, que le moyen doit être pris au moins une fois univerfellement. Ce qui dépend encore de ce principe, que la conclufion doit être contenue dans les prémisses. Car fuppofons que nous ayions à prouver que quelque ami de Dieu eft pauvre, & que nous nous fervions pour cela de cette propofition, quelque faint eft pauvre; je dis qu'on ne verra jamais évidemment que cette propofition contient la conclufion, que par une autre propofition, où le moyen, qui eft faint, foit pris univerfellement. Car il eft vifible qu'afin que cette propofition, quelque faint eft pauvre, contienne la conclufion, quelque ami de Dieu eft pauvre; il faut & il fuffit que le terme quelque faint contienne le terme quelque ami de Dieu, puifque pour l'autre elles l'ont commun. Or un terme particulier n'a point d'étendue déterminée, & il ne contient certainement que ce qu'il enferme dans fa compréhenfion & dans fon idée.

Et par conféquent, afin que le terme quelque faint contienne le ter me quelque ami de Dieu, il faut qu'ami de Dieu foit contenu dans la compréhenfion de l'idée de faint.

Or tout ce qui eft contenu dans la compréhenfion d'une idée en peut être univerfellement affirmé : tout ce qui eft enfermé dans la compréhenfion de l'idée de triangle, peut être affirmé de tout triangle: tout ce qui eft enfermé dans l'idée d'homme, peut être affirmé de tout homme. Et par conféquent, afin qu'ami de Dieu foit enfermé dans l'idée de faint, il faut que tout faint foit ami de Dieu. D'où il s'enfuit que cette conclufion, quelque ami de Dieu eft pauvre, ne peut être contenue dans cette

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