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VII. CL. parce qu'il fe contente d'établir, dans le Chapitre où il traite de la caufe N°. XI. du mouvement, que Dieu est le moteur immédiat de tous les corps, & après cela il parle comme les autres.

On demeure d'accord de tout cela. Mais cet exemple, loin de vous fervir, vous est tout-à-fait contraire.

Car jamais perfonne n'a trouvé mauvais, que les Philofophes les plus dogmatiques fe fervent des façons de parler du peuple, quoiqu'ils ne les prennent pas dans le fens du peuple; c'eft-à-dire, qu'ils parlent comme le peuple, quoiqu'ils ne penfent pas comme le peuple. Il a bien fallu que cela fût ainfi car les Philofophes n'ayant pas une langue qui leur foit particuliere, ils ne fe peuvent pas difpenfer, à l'égard de la plupart des chofes dont ils ont à parler, d'employer les mêmes mots que le peuple: mais parce que le peuple n'en a fouvent que des idées fort confufes, & quelquefois même trèsfauffes, ce que font les Philofophes, eft, qu'ils joignent aux mêmes mots, dont le peuple fe fert auffi-bien qu'eux, d'autres idées que le peuple, ou au moins de plus nettes & de plus diftinctes. Et cela étant, Monfieur, comme on n'en peut douter, n'eft-il pas clair que c'eft une regle du bon fens, qu'en lifant les livres dogmatiques des Philofophes, & furtout de ceux qui font profeffion de ne fe point laiffer emporter aux préjugés populaires, on doit prendre les mots & les façons de parler qui font communes au peuple & aux Philofophes, non Telon que les prend le peuple, mais felon que les Philofophes ont accoutumé de les prendre, à moins que ceux qui voudroient être entendus autrement n'en avertiffent leurs lecteurs? Et c'eft d'où M. Arnauld à eu certainement droit de conclure, que le P. Malebranche n'ayant point averti qu'il prenoit le mot de bonheur, qui eft un des plus importants termes de la Morale, dans un autre fens que les Philofophes ne le prenoient ordinairement, on ne pouvoit fuppofer, fans lui faire tort, qu'il l'eût pris dans le fens du peuple, & non dans celui des Philofophes.

Votre exemple des Cartéfiens non feulement n'infirme pas cette regle ; mais ne peut fervir qu'à la confirmer. Car il ne s'agit pas de favoir ( & c'est en quoi vous prenez le change) fi les Cartéfiens fe fervent des fa çons de parler populaires, comme de dire, qu'une boule en pouffe une autré ? Qui en doute? Mais fi ces façons de parler ont le même fens dans leurs livres, que dans la bouche du peuple ou des autres Philofophes qui ne font pas Cartéfiens. Or il faut bien que vous avouiez', qu'ils n'ont pas le même fens dans les livres dogmatiques des Cartéliens. A quoi donc vous peut fervir cela, pour réfuter ce que vous rapportez de M. Arnauld: Que ce feroit une étrange confufion dans la Morale, lorsqu'on la traite en Philofophe dans les livres dogmatiques, de prendre les termes de

bonheur, & de ce qui rend heureux, dans des fens éloignés, dans lesquels VII. CL. aucun Philofophe ne les auroit jamais pris.

Mais vous avez laiffé fans réponse, ce que M. Arnauld ajoute, & qui me paroît convaincant. C'eft que le P. Malebranche ayant affez maltraité les Stoïciens fur ce fujet, il faut bien qu'il ait pris ce qu'ils difoient, que les Plaisirs des Sens ne pouvoient rendre heureux, dans le même fens qu'ils le prenoient; puifqu'autrement le procès qu'il leur fait avec affez de chaleur, n'auroit été qu'une difpute de mot, & n'auroit rien eu de folide.

S. VI.

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Quatrieme fuppofition. Que tout Plaifir, par cela même que c'est un Plaifir, eft un bonheur.

Cette fuppofition-ci eft la principale de toutes, & qui ferviroit le plus à vous tirer d'affaires, fi elle étoit bien établie. Mais fi elle ne l'eft pas, fi elle eft purement arbitraire & fans aucun fondement, vous pouvez voir, Monfieur, ce que dit M. Arnauld dans fa Défenfe, contre ces fortes de fuppofitions forgées à plaifir, que l'on veut forcer les autres de recevoir, telle qu'étoit celle du P. Malebranche, quand il traitoit d'ignorants ceux qui ne vouloient pas demeurer d'accord, que notre ame fe fent, mais qu'elle ne fe connoit pas.

Pardonnez-moi donc, fi je vous dis, que la fuppofition dont il s'agit ici n'est pas meilleure. Elle confifte à prétendre, qu'avoir des fentiments agréables, & être heureux, font la même chofe; que ces termes font convertibles, , que les hommes en font convenus. Toute votre réponse eft pleine de cette fuppofition. En voici quelques endroits.

No. XI.

L'Auteur (c'est-à-dire, le P. Malebranche) fuppofe, que le bonheur de page 10, notre ame, formellement pris, confifte dans un fentiment agréable.

Toute forte de plaifir, par cela même que c'est un plaifir, eft un bonheur. Ibid. C'est parler très-exactement que de dire, que les plaisirs font un bonheur; page 28. parce que c'eft attribuer au fujet de la propofition une qualité qui lui eft immédiatement propre, & qui émane de fon être : de forte que c'est une de ces dénominations qu'on nomme en Philofophie intrinfeques.

Suppofons que les bommes font convenus que l'on eft riche, lorsqu'on page 30. poffede cent mille francs: un homme feroit vraiment riche qui les poffederoit quoiqu'il les dut perdre huit jours après....... Il en eft de même du plaifir. Par un établissement ou arbitraire ou abfolument néceffaire de la nature, il eft le bonheur de l'ame. Ainfi tout homme qui fent du plaisir, eft beureux pour le temps où il goute ce plaifir.

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mettre la générale, fans admettre la particuliere, ni combattre la parti- VII. CL. culiere, fans conrbattre la générale. N. XI

Il s'agit donc de l'une & de l'autre, dans la dispute entre le P. Malebranche & M. Arnauld, touchant les Plaifirs des Sens. Le premier foutient, qu'ils rendent heureux : le fecond le nie, & ne le nie pas feulement, mais il appuye ce qu'il en dit par de très-bonnes preuves. Vous avez pris parti pour le P. Malebranche contre M. Arnauld, & dans vos Nouvelles & dans cette Réponse. Vous vous êtes donc engagé à prouver que M. Arnauld a tort, & que le P. Malebranche a raifon. Et comment le prouvez-vous? En difant & redifant fans ceffe, que tout plaifir eft un bonheur; c'est-à-dire, en fuppofant vingt & trente fois ce qui est en question, fans le prouver une feule fois.

Je ne vois que deux réponses que vous pourriez faire à cela. L'une, que l'on ne prouve point les définitions, parce qu'elles font arbitraires, & que tout ce que vous avez voulu dire eft, que dans le Dictionnaire du P. Malebranche, bonheur & fentiment agréable font la même chose; fans que, ni vous ni lui, ayiez été obligés de vous mettre en peine fi ce font différentes chofes dans le Dictionnaire des autres.

L'autre réponse feroit, qu'on n'a pas besoin de prouver ce qui est conftant, & dont les hommes font convenus: & qu'ainfi vous n'avez pas dû prouver que tout plaifir, dès-là qu'il eft plaifir, eft un bonheur; parce que les hommes en font convenus, & que s'ils parlent quelquefois autrement, ce n'eft qu'en parlant improprement & d'une maniere figurée.

Je réserve au §. fuivant à examiner cette feconde réponse, & je ne parlerai dans celui-ci, que de la premiere.

Je ne pense pas que vous vouluffiez vous y arrêter, à caufe des raisons fuivantes, qui ne manqueroient pas de vous venir dans l'esprit.

1o. Il ne faut pas abuser de cette maxime, que les définitions des mots font arbitraires. Car cela ne donne pas droit de changer à sa fantaisie, les idées communes des mots ordinaires, & fur-tout dans la Morale; comme qui voudroit foutenir, que la difpofition de fe battre en duel à tout venant, eft une vertu, parce qu'il auroit pris pour vertu toute forte de valeur & de courage, qui met l'ame au-deffus de la crainte de la mort.

2o. Il n'est point permis de fe faire un Dictionnaire particulier fans en avertir le monde: car ce feroit tromper fes Lecteurs. Or le P. Malebranche, qui dit fi fouvent, que c'eft un bonheur de jouir des Plaisirs des Sens. n'a jamais averti qu'il prenoit le mot de bonheur dans un fens qui lui étoit particulier. On n'a donc pas de droit de le supposer.

3°. Quand nous donnons un fens particulier à quelque terme, nous re devons pas nous imaginer que les autres s'aftreindront à le prendre Philofophie. Tome LX.

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VII. CL. dans ce même fens, ni par conféquent dire qu'une propofition n'eft pas N°. XI. vraie, qui feroit vraie felon la fignification ordinaire de ce terme, parce

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qu'elle ne feroit pas vraie felon un fens qui nous feroit particulier. Pourquoi donc le P. Malebranche nous donneroit-il férieufement cet avis: il ne faut pas dire aux voluptueux, qu'on n'en eft pas plus heureux pour jouir des Plaifirs des Sens car cela n'eft pas vrai. Cela peut n'être pas vrai, lui répondra-t-on, en prenant le mot de bonheur dans le fens bizarre que vous vous êtes avifé de lui donner. Mais fi cela eft vrai dans le fens que donnent au mot de bonheur tous les Philofophes raifonna›bles, qui ont toujours cru qu'une propriété effentielle du bonheur étoit, d'être defirable par foi-même, ce que ne font pas les Plaifirs des-Sens, pourquoi ne dirions-nous pas aux voluptueux, qu'ils fe trompent, quand ils crbient trouver leur bonheur dans la jouiffance des Plaifirs des Sens ?

4. Enfin, Monfieur, vous n'avez garde de dire, que ce n'eft que dans le Dictionnaire du P. Malebranche que vous avez adopté, que tout Plaifir eft notre bonheur, puifque, fuppofant que c'eft le langage du peuple, vous ajoutez: Que quoiqu'en toutes autres chofes il ait befoin d'étre redreffé par ceux qui parlent exactement, il n'a pas befoin de l'étre en celle-ci; parce qu'en difant que les Plaifirs des Sens font un bonheur, il attribue au sujet de la propofition, une qualité qui lui eft immédiatement propre, & qui émane de fon être.

Vous voyez donc, Monfieur, que, pour vous difculper de ce qu'on appelle pétition de principe, qui confifte à fuppofer ce qui eft en question fans le prouver, vous ne pouvez pas vous fervir de cette premiere réponse, qu'on n'a pas besoin de prouver les définitions de mots, parce qu'elles font arbitraires, & que votre deffein n'a été que de parler felon le Dictionnaire du P. Malebranche. Il faudroit donc que vous euffiez recours à la feconde: mais peut-être qu'elle ne fe trouvera pas meilleure que l'autre.

S. VII.

Cinquième fuppofition. Que les hommes font convenus de regarder comme un bonheur toutes fortes de Plaifirs.

Cette feconde réponse feroit, qu'on n'a pas befoin de prouver ce qui eft conftant,& dont tous les hommes font convenus, comme on n'a pas befoin de prouver que les Plaifirs des Sens, font des fentiments agréa bles , parce qu'on fait affez que les hommes font convenus, de n'appeller Plaisirs que des fentiments agréables. Il ne vous reite donc qu'à dire; que les hommes font convenus d'appeller bonheur, tout Plaifir ou fentiment

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