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VII. CL. vient la raifon & la volonté, & qu'elle n'en dépend point. Car qu'on No. XI. le veuille, ou qu'on ne le veuille pas, on ne fauroit manger du fucre qu'on n'ait le fentiment de ce plaifir qu'on appelle prévenant. Mais que s'enfuit-il de-là? Que nous ne faurions être heureux, ni d'un vrai ni d'un faux bonheur, à caufe de ce plaifir, tant qu'il demeure prévenant; puifqu'il eft clair qu'afin que notre ame foit dans un état de bonheur ou véritable ou apparent, il faut qu'elle le connoiffe, & qu'elle en soit fatisfaite ce qui ne fauroit être fans un acte de la volonté.

Mais voici ce qui arrive enfuite. Cette modification,. qu'on appelle plaifir prévenant, ayant été communiquée à notre ame fans aucune connoiffance, ni aucune volonté qui l'ait précédée, il y a une connoiffance qui la fuit auffi-tôt. Notre efprit s'appercevant, par une connoiffance de réflexion, de ce qui fe paffe dans cette plus baffe région de notre ame qui eft plus appliquée à notre corps, ce n'eft qu'enfuite de cette connoiffance que notre volonté fe porte vers ce plaifir. Mais elle s'y porte différemment dans les tempérants & dans les intempérants, au nombre defquels je mets tous ceux en qui regne cette partie de notre corruption naturelle, que S. Jean appelle la concupifcence de la chair.

Dans les tempérants, qui fe font accoutumés à regarder ces plaifirs comme n'étant point notre vrai bien ni notre fin, ou par le feul inftinct de la grace, ou parce qu'ils favent de plus qu'ils ne font donnés de Dieu que pour la confervation de notre corps, l'efprit les repréfentant comme tels à la volonté, elle ne s'y porte point par cet acte d'amour qu'on appelle de jouiffance, qui n'eft que pour les objets auxquels elle s'attache comme à fa fin; & ainfi elle n'a garde de fe croire heureufe d'aucune forte de bonheur, ni vrai, ni apparent.

Mais dans les intempérants, au contraire, qui, par leur corruption naturelle, , que la grace n'a point corrigée, ou par une habitude vicieuse, ajoutée à cette corruption, fe font accoutumés à regarder les fentiments agréables de ces plaisirs prévenants, comme leur vrai bien & comme leur fin, aufli-tôt que leur efprit les apperçoit, il les repréfente à la volonté felon cette fauffe idée, & la volonté s'y porte & s'y attache avec un grand amour, comme elle fait naturellement à tout ce qui lui eft repréfenté comme capable de la rendre heureufe. Et elle croit l'être par-là ;. mais elle ne l'eft que d'un faux bonheur, parce que ce qu'elle embrasse comme étant fon vrai bien & fa fin, ne l'eft point, mais tout au plus le bien de fon corps, & un moyen pour le conserver.

On voit la même chofe dans deux Marchands, dont l'un feroit fans piété & fort avare, & l'autre fort pieux & fort détaché de l'amour du bien. Ils reçoivent en même temps la nouvelle d'un gain très-considé

rable. Quel effet cela fera-t-il dans l'un & dans l'autre ? Dans l'avare qui a VII. CL. l'efprit & le cœur corrompu par fon avarice, que S. Paul appelle comme je N°. XI. l'ai déja remarqué, une idolatrie, parce que l'avare fait un Dieu de fon argent, cette nouvelle le rendra heureux, mais d'un faux bonheur; parce qu'elle réveillera dans fon efprit l'idée d'une chofe que fa volonté, trompée par la paffion qui la domine, embraffera comme fon vrai bien. Mais dans le Marchand pieux, à qui la foi fait confidérer les richeffes, non comme la fin où le coeur doit fe repofer, mais comme un moyen de faire de bonnes oeuvres, cette nouvelle n'excitera point dans fa volonté un mouvement d'amour vers ce gain, comme on en a pour ce qui nous doit rendre heureux, mais feulement un deffein de s'en fervir felon les devoirs de la piété chrétienne.

S. XIII.

Dixieme fuppofition. Que le fommeil rend heureux celui qui dort.

Cette fuppofition eft bien différente des précédentes. Car au lieu que je vous ai avoué que les précédentes étoient des fuites néceffaires de votre fuppofition, que plaifir & bonheur font des termes convertibles, il en est tout au contraire de celle dont je vas parler.

J'entends par-là ce que vous dites en la page 53: Que l'on ne peut nier, fi ce n'eft en prenant le mot de bonheur dans un faux fens, que le Sommeil ne rende beureux celui qui dort. Au reste, me dites-vous, quand vous niez que le fommeil rend heureux celui qui dort, vous tombez encore dans le faux fens que je vous ai repréfenté, & qui confifte à ne point faire de différence entre être heureux & jouir du fouverain bien. Je vous l'ai déja dit, Monfieur, le fouverain bien mérite par excellence la qualité de bonheur, comme Dieu mérite par excellence la qualité d'être; mais cela n'empêche pas que comme la créature eft un être très-réel, tout plaifir ne foit une félicité très-réelle. Et l'on peut dire fans hyperbole, & fans galimatias poétique, qu'un pauvre qui dort eft auffi heureux qu'un Roi pendant ce temps-là. En général l'on peut dire qu'un homme qui dort eft heureux, quand le fommeil le dégage de quelque pensée fácheuse.

Mais rien n'eft plus foible, Monfieur, que ces deux raifons, pour prouver que je n'ai pu nier, fi ce n'est en prenant le mot de bonheur en un faux fens, que celui qui dort ne foit heureux d'une félicité très-réelle. Car pour la derniere raifon, comme ce n'eft que par accident que le fommeil nous dégage quelquefois de quelque penfée fâcheufe, & que cela ne convient pas à toute forte de fommeil, ce ne feroit auffi que par

VII. CL. accident que le fommeil rendroit heureux. Et de plus, fi c'est là une féliN°. XI. cité très-réelle, ç'en feroit une auffi quand la moindre distraction nous délivreroit d'une penfée fâcheufe.

Pour ce qui eft du proverbe; qu'un pauvre qui dort eft auffi heureux qu'un Roi pendant ce temps-là, ce n'eft ni une hyperbole, ni un galimatias poétique, mais une façon de parler impropre; par où l'on veut faire entendre, qu'un Roi, pendant qu'il dort, ne fentant point le bonheur que l'erreur des hommes attache à la Royauté, n'en tire alors aucun avantage qui le rende plus heureux que le pauvre; & que le pauvre, dans ce même état, ne fentant point ce que le monde appelle malheur dans la pauvreté, peut être regardé alors comme n'étant pas moins heureux que le Roi. Mais cela ne prouve en aucune forte que le fommeil rende l'un ou l'autre véritablement heureux : car ce qui égale le pauvre au Roi dans le fommeil, eft, que la Royauté ne donne point alors au Roi de fentiment agréable, comme la pauvreté n'en donne point au pauvre de défagréable; parce que le fommeil qui leur eft commun, est un état qui eft tel de fa nature, qu'on n'y a point de fentiment, ni agréable ni défagréable. Or il eft impoffible, felon vous, que l'on foit heureux quand on n'a aucun fentiment, ni agréable ni désagréable. On n'a, pour en être convaincu, qu'à confidérer ce que vous aviez dit dans vos Nouvelles, & ce que vous répétez dans votre Réponse, page 68: Dieu seul eft la cause efficiente de notre félicité, mais il n'y a que le plaifir qui en foit la caufe formelle; & la feule voie que nous concevions que Dieu puisse mettre en usage, pour nous rendre actuellement & formellement beureux, c'eft de communiquer à notre ame la modification qu'on appelle fentiment du plaifir.

Or le fommeil n'eft point un état où Dieu fe foit engagé par aucune loi générale, de communiquer à notre ame la modification qu'on appelle sentiment du plaifir, & c'est au contraire, un état où l'on n'a pour l'ordinaire aucun fentiment.

Rien n'est donc plus contraire à vos principes, que d'avoir étendu au fommeil ce qu'ils ne vous obligeoient de dire que du plaifir, en voulant que quiconque dort foit heureux, comme il eft vrai, felon vous, que quiconque jouit du plaifir est heureux, tant qu'il en jouit. Il faut, Monfieur, que vous ayiez une grande inclination de rendre les hommes heureux à peu de frais, puifqu'ils n'ont, felon vous, qu'à s'endormir pour être heureux.

Mais pour nous le perfuader, il eût été bon que vous euffiez réfuté ce qui en eft dit, dans les pages 5 & 6 de l'Avis, & que vous ne page $2. vous fufliez pas contenté de dire, qu'elles font un peu foibles, à caufe

Rép.

qu'on y prend le mot de bonheur, dans le fens où il ne faut pas le prendre. VII. CL. Le public en jugera. Il ne faut que le rapporter. On vous y a fait remar- N°. XI. quer que ce que vous dites des plaifirs dans vos Nouvelles, en ces termes: S'imagine-t-on qu'en difant aux voluptueux, que les plaifirs où ils fe plongent font un mal, un fupplice, un malheur épouvantable, &c. fe pourroit dire du fommeil. C'est ce qu'on vous avoit représenté en se fervant de vos termes mêmes. «S'imagine-t-on, qu'en difant à ceux qui aiment à dormir, que le fommeil eft un mal, un fupplice, un malheur épouvantable, on les portera à ne plus vouloir tant dormir? Bagatelles! » Its prendront un tel difcours pour une penfée outrée d'un homme » entêté, qui s'imagine qu'on déférera plus à fes paroles qu'à l'expé»rience"

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Mais comme on ne s'étoit pas attendu, que vous duffiez prendre pour une vérité, qu'un homme est heureux quand il dort ; au lieu que l'on avoit cru que vous le rejeteriez comme une abfurdité manifefte, en vous réfervant de faire voir qu'il n'en étoit pas de même du fommeil. que du plaifir, voici ce qu'on avoit conclu de cette parodie.

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Que diriez-vous, Monfieur, à un homme qui vous parleroit de la forte, pour vous perfuader que le fommeil eft le fouverain bien de » l'homme, & qu'il eft heureux tant qu'il dort? Ne feriez-vous pas obli» gez de lui repréfenter, que c'eft abufer du mot de bonheur, que de vouloir » que le fommeil nous rende heureux; mais qu'il ne s'enfuit pas, que s'il » ne nous rend pas heureux, ce doit être un mal, un fupplice, un malheur » épouvantable : Qu'au contraire, quand il n'eft pas exceffif, c'est un moyen innocent de conferver notre corps; d'où il s'enfuit feulement, & que » ce n'est pas un mal, ni un fupplice, & que ce n'eft point auffi ce qui nous rend heureux; puifque c'eft renverser les premiers principes » de la Morale, que de mettre notre bonheur dans ce qui n'eft qu'un » moyen, que nous ne devons point defirer pour foi-même, comme M. Arnauld l'a montré dans le vingt-unieme Chapitre par le confente,,ment de tous les Philofophes & Payens & Chrétiens. Or il en eft de même des Plaifirs des Sens. Ce ne font que des moyens, dont il nous eft permis d'ufer pour la confervation de notre corps, utentis modeftiâ, "non amantis affectu, comme dit S. Auguftin. Et par conféquent, ce feroit en effet une extravagance de dire à un voluptueux, que ces plaifirs font un mal, un fupplice, un malheur épouvantable; mais ce n'en feroit pas une moindre de s'imaginer, qu'il n'y a point de milieu entre "teur dire, que c'est un mal & un fupplice, & leur avouer, que c'est leur vrai bien, qui les rend heureux tant qu'ils en jouiffent".

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Croyez-vous, Monfieur, qu'il fe trouvera beaucoup de perfonnes, qui

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VII. CL. diront comme vous, que ces deux pages font un peu foibles, para
No. XI. y prend le mot de bonheur dans un autre fens qu'on ne le doit fr

Et n'y a-t-il pas beaucoup d'apparence, qu'il y en aura davantage qu
veront, que ce qu'on y a dit doit être bien fort, puifqu'il vous a
à ne pouvoir foutenir qu'on eft heureux en jouiffant des plaifirst
nels, qu'en prétendant, que, par la même raifon, & en prenant is
de bonheur dans le même fens, tous ceux qui dorment le font a

§. XIV.

Onzieme fuppofition, qui regarde M. Arnauld.

Cette fuppofition ne regarde pas tant la matiere en foi, que fonne de M. Arnauld. Vous fuppofez qu'il n'a combattu ce que P. Malebranche, que les Plaifirs des Sens nous rendent heureux, parce qu'il s'eft imaginé qu'on ne devoit donner le nom de bonheur qui félicité par excellence, qui eft celle du ciel, ou parce qu'il a cru que pouvoit attirer fur ceux qui s'y abandonnent des fupplices épouvantabl devoit pas être appellé bonheur.

Il y a plufieurs paffages de votre Réponse, qui font voir que vo attribuez à M. Arnauld, l'une & l'autre de ces deux chofes. Je n'en r porterai que quelques-uns pour abréger.

Pour la premiere, rien n'eft plus clair que ce que vous dites, en page 33. Vous voyez bien, me dites-vous, qu'il y a plus de difputes mots & plus d'équivoques dans ce démêlé que d'autre chofe. Vous avez la question de nom ; & pour l'équivoque elle est renfermée en ce que M. Arnauld entend, par les termes de bonheur & de ce qui rend heureux, la filcité fouveraine qui, par excellence, s'appelle bonheur tout court. Or vous déclarez dans la p. 44, que ce que vous entendez par la félicité fouveraine qui, par excellence, s'appelle bonheur tout court, eft la félicité des Bienheu reux dans le ciel. Quoique Dieu, dites-vous, foit notre fouverain bien notre bonheur par excellence, ou ce qui eft la même chofe, encore que l'état où il met une ame par la vifion béatifique, foit le bonheur par excellence, le bonheur tout court, il ne laisse pas d'être vrai, au pied de la lettre, que tout état de plaifir eft un bonheur. Vous fuppofez donc que la difpute entre le P. Malebranche & M. Arnauld, n'eft fondée que fur une équivoque, en ce que M. Arnauld reftreint le mot de bonheur, & de ce heureux à la félicité du ciel, & à la félicité par excellence, qui s'appelle bonheur tout court. qui rend

Vous lui attribuez auffi la feconde pensée, en me l'attribuant à moi

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