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Sots lunatiques, sots étourdis, sots sages,

Sots de villes, sots de châteaux, sots de villages,
Sots rassotez, sots nyais, sots subtils,

Sots amoureux, sots privez, sots sauvages,
Sots vieux, nouveaux, et sots de tous âges,
Sots barbares, étranges et gentils,
Sots raisonnables, sots pervers, sots rétifs,
Votre prince, sans nulles intervalles,

Le mardi gras jouera ses jeux aux Halles.

C'était s'exécuter de bonne grâce. De même que les bouffons des princes affectaient la folie pour avoir le droit de la satire contre les courtisans, de même les Enfants sans souscy se disaient les représentants de la sottise afin de critiquer l'imbécillité des autres et de se moquer des défauts du genre humain. Les frères Parfait ont donné l'extrait d'une de ces sotties composée de huit personnages qui sont le Monde, Abuz, Sot-Dissolu, Sot-Glorieux, Sot-Corrompu, Sot-Trompeur, Sot-Ignorant, Sotte-Folle. Le Monde, fatigué de veiller sur les hommes, s'endort, et le seigneur Abuz prend sa place. D'un coup de baguette, il fait sortir des arbres qui l'environnent une troupe de sots; il leur propose de reconstituer, avec leur aide, un autre monde où ils régneront. Mais les sots ne peuvent parvenir à s'entendre; la confusion s'en mêle. L'ancien Monde se réveille; il remet tout en ordre, il chasse les usurpateurs. Cette sottie renferme des traits assez vifs contre les gens d'église : la guerre était déjà déclarée. Parmi les auteurs qui travaillèrent en ce genre, on peut citer Pierre Gringore ou Gringoire, auteur et acteur, entrepreneur de mystères, qui fit une sottie des plus satiriques, intitulée l'Homme obstiné, contre le pape Jules II, servant aussi les intérêts de Louis XII. On sait que Jules II prétendait donner au roi d'Angleterre l'investiture du royaume de France.

Le mélange du sacré et du profane avait révolté les rigoristes, et les comédiens se mirent de plus en plus mal avec le clergé. Le curé de Saint-Eustache leur fit enjoindre l'ordre de ne vaquer à leurs jeux qu'après vêpres. Le curé trouvait que ses voisins enlevaient du monde à ses sermons. Cependant ils payaient 300 livres tournois aux Enfants de la Trinité pour le service divin et l'entretien des pauvres. Ils se croyaient donc aussi bons catholiques que le curé. Néanmoins tous les ordres religieux ne les excommunièrent pas comme le curé de Saint-Eustache. Nous avons dit que le parle. ment avait interdit les pièces saintes aux Confrères et aux autres troupes. L'Église n'avait plus droit de crier à la profanation, mais elle était blessée dans ses intérêts. Les parlements craignaient que

les dogmes de la foi ne souffrissent de la trivialité des mystères, dans cette époque ou la réforme était en pleine vigueur. Le procureur-général du parlement de Paris voyait même « plusieurs >> choses au vieux Testament qu'il n'étoit pas expédient de déclarer >> au peuple, comme gens ignorants et imbéciles qui pourroient >> prendre occasion de judaïsme à faute d'intelligence. >>

De toutes les farces ou pièces profanes qui ont survécu au quinzième siècle, la meilleure et la plus connue est celle de la Farce de Pathelin. Avec elle se révèle en France le sentiment de la véritable comédie.

La nécessité de jouer des pièces profanes porta bientôt le respect vers l'antiquité. Ronsard avait mis le grec et le latin à la mode. Les poètes de la Renaissance parurent. Sénèque était alors en grand honneur, on traduisit et on imita particulièrement Sénèque. Jodelle commença cette étude dramatique et fit revivre le théâtre ancien. Baïf, La Péruse, Grevin, Garnier marchèrent sur ses traces et préparèrent la venue de nos grands écrivains. Grevin, dans le prologue de la Trésorerie, s'écrie déjà ·

N'attendez donc en ce théâtre
Ni farce ni moralité,
Mais seulement l'antiquité,
Qui d'une face plus hardie
Représente la comédie....

Il s'était élevé, en même temps qu'une foule de poètes, de nombreuses troupes de comédiens qui se mirent à parcourir les provinces, ne pouvant s'établir à Paris à cause du privilége accordé aux confrères de la Passion. Ceux-ci se virent contraints de louer leur hôtel de Bourgogne à une troupe de ces comédiens. Quelques autres troupes de province, profitant des priviléges accordés aux foires, dressèrent des théâtres forains. Dans le temps de la foire Saint-Germain, une troupe plus audacieuse s'établit à Paris, et finit par y rester sous la condition de payer un écu tournoi aux comédiens de l'hôtel de Bourgogne par représentation. Cette troupe avait fait bâtir un théâtre au Marais-du-Temple. Sous Charles VI, on compta le théâtre de Saint-Maur et celui de la Trinité [1598 et 1402]. Sous François Ier, l'hôtel de Flandre et de Bourgogne [1540 et 1548]. Sous Henri III, l'hôtel de Bourgogne et les Gelosi, comédiens venus d'Italie en 1571. Sous Henri IV, l'hôtel d'Argent, au Marais, les colléges de Reims et de Boncourt, où furent jouées les premières pièces de Jodelle.

Tous ces éléments dramatiques se divisèrent en deux sources,

dont l'une, celle des mystères et des classiques imitations, alla inspirer l'auteur de Polyeucte et de Cinna; et l'autre, celle des farces et des moralités, alimenta la verve philosophique et joyeuse de l'auteur du Misanthrope et du Médecin malgré lui. On doit reconnaître, d'après ces traditions nationales, quel caractère éminemment religieux et moral a dû dominer notre théâtre. S'adresser à la raison par l'esprit, faire valoir les leçons de l'expérience ou ses hauts et divers enseignements, tel est le but que nos premiers poètes se sont proposé. Nous verrons plus tard comment ils l'ont atteint, et comment les productions de leurs devanciers, mêlées à l'esprit de l'antiquité et au goût des littératures étrangères, se sont transformées dans leurs œuvres.

CHAPITRE DEUXIÈME.

JODELLE, BOUNYM, JEAN DE LA TAILLE, GARNIER, PIERRE
DE LA RIVEY, HARDY, MAYRET, RACAN.

Il importe d'ajouter quelques traits au tableau de cette époque appelée la Renaissance, alors que son influence se faisait sentir en France, après avoir envahi l'Italie depuis cent cinquante ans. Marot, qu'on peut considérer comme le père de la poésie française, avait conservé dans ses vers la naïve allure des ballades et des fabliaux; mais bientôt apparut Ronsard, qui ressuscita les - hymnes et les odes à la façon de Pindare, et se montra aussi mythologique que le poète de Thèbes. Il s'amusa de plus à combiner, à l'aide du grec et du latin, une langue particulière qui le rendit souvent inintelligible. Cependant un véritable génie perça sous cette écorce exotique, et Ronsard eut beaucoup de crédit sur ses contemporains. Il se forma autour de lui une Pléiade dont il était l'astre principal. Ce retour vers le passé ne pouvait manquer d'entraîner le théâtre dans son mouvement. Ronsard traduisit le Plutus d'Aristophane. C'était une époque de traduction. Octavien de SaintGelais avait déjà mis en français six comédies de Térence; Baïf, Bonaventure Desperriers s'appliquaient à faire revivre le goût ancien. Jodelle fut le premier qui résolut de bannir de la scène les mystères et les moralités, et de remettre en honneur les formes littéraires grecques et latines. Ronsard ne craignit pas de dire que Sophocle et Ménandre auraient été des écoliers près de lui.

Jodelle, le premier, d'une plainte hardie
Françaisement chanta la grecque tragédie,

Puis, en changeant de ton, chanta devant nos rois
La jeune comédie en langage françois ;

Et si bien les rima, que Sophocle et Ménandre,
Tant fussent-ils savants, y eussent pu apprendre.

Jodelle n'a pas suivi exactement une même mesure de vers ni un ordre régulier de rimes masculines et féminines, progrès qui ne faisait que commencer du reste à s'introduire dans la poésie française; son style est tout à fait rebutant: Cléopâtre captive, Eugène, Didon se sacrifiant, ouvrages qui se succédèrent rapidement, ne peuvent témoigner que de son zèle et de sa promptitude. Cependant l'enthousiasme de Ronsard ne diminue pas; il veut, dans un de ses dithyrambes, qu'on décerne à son ami un bouc pour prix de la tragédie. Voici de quelle manière il rend sa plaisante idée :

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Ronsard et son bouc, l'un poussant l'autre, ne menèrent pas Jodelle à la fortune; ce fut un peu sa faute, il dépensa trop légèrement les bienfaits d'Henri II: il mourut de pauvreté, comme dit un auteur du temps. Charles IX, malgré le goût que ce sanglant exécuteur de la Saint-Barthélemy manifestait pour la poésie, ne se montra pas généreux. Le dernier soupir de Jodelle s'exhala en un sonnet de reproche adressé à ce prince. Jodelle se compare à Anaxagoras s'enveloppant de son manteau pour mourir et disant à l'oublieux Périclès:

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L'Eugène de Jodelle peint très-vivement les désordres qui, sous le règne d'Henri II, s'étaient glissés dans les mœurs ecclésiastiques. La Sultane de Gabriel Bounym est curieuse en ce que cette pièce a la prétention de mettre des Turcs sur la scène; ces Turcs jurent par Jupiter et par Vulcain. Les critiques qui ont tant reproché à Racine d'avoir défiguré les mœurs mahométanes dans Bajazet, n'ont qu'à lire Bounym pour voir quel progrès avait déjà faits, du temps de Racine, la vérité historique.

Jean de La Taille, dans son monologue des Corrivaux, la première comédie en prose que nous ayons eue, donne le coup de grâce aux mystères et moralités. « Il semble, messieurs, dit-il, à >> vous voir assemblés en ce lieu, que vous y soyez venus pour >> ouïr une comédie. Vraiment, vous ne serez point déçus de votre » intention. Une comédie pour certain vous y verrez, non point » une farce ni une moralité. Nous ne nous amusons point en chose >> ni si basse ni si sotte et qui ne montre qu'une pure ignorance >> de nos vieux François. Vous y verrez jouer une comédie faite >> au patron, à la mode et au portrait des anciens Grecs et Latins; >> une comédie, dis-je, qui vous agréera plus que toutes (je le dis >> hardiment) les farces et moralités qui furent onc jouées en » France. Aussi avons-nous grand désir de bannir de ce royaume » telles badineries et sottises qui, comme, amères épiceries, ne font » que corrompre le goût de notre langue. » Ainsi disait, un peu hardiment en effet, Jean de La Taille; quel dommage de promettre tant et de tenir si peu! Saül furieux et les Gabócrites du même auteur ne dépassent guère les limites de la médiocrité : on y trouve pourtant quelques traits heureux.

Jacques de La Taille, qui avait à peu près les mêmes dispositions dramatiques que son aîné, se distingue par un singulier procédé de versification. Nous citerons quelques vers curieux de sa tragédie intitulée Daire. L'auteur a mis ces paroles dans la bouche de Darius mourant:

O Alexandre! adieu; quelque part que tu sois,
Ma mère et mes enfants aye en recommanda.....
Il ne put achever, car la mort l'engarda.

Recommanda.... pour recommandation est unique dans son genre; les deux syllabes (tion) qui restent dans la gorge de Darius (vox faucibus hæsit) nous semblent constituer une licence un peu forte, on n'est jamais allé plus loin en fait de licences poétiques. Jacques de La Taille mourut du reste à vingt ans, et c'est là son

excuse.

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