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Tristan-l'Hermite, dont la tragédie de Marianne parut la même année que le Cid, attira autant que Corneille la foule, plus sensible souvent au jeu d'un acteur qu'à la valeur réelle d'une pièce. Marianne a dû son principal succès au célèbre comédien Mondory, chargé du rôle d'Hérode. Tristan-l'Hermite était ami du sieur de Bergerac, original dont le portrait va figurer aussi dans cette galerie. Voici la façon dont Bergerac parle de Tristan dans son Voyage de la Lune « Je rencontrai un homme, la honte de son pays; car c'est une honte aux grands de reconnoître en lui, sans l'adorer, la vertu dont il est le trône; pour abréger son panégyrique, il est tout esprit, il est tout cœur ; il a toutes ces qualités dont une suffisoit jadis à marquer un héros. C'étoit Tristan-l'Hermite ; je ne puis rien ajouter à l'éloge de ce grand homme sinon que c'est le seul poète, le seul philosophe et le seul homme libre que vous ayez. » Ce qui avait valu sans doute à Tristan-l'Hermite cette chaude admiration de la part de Cyrano, c'est qu'à l'âge de treize ans il avait été obligé de fuir son pays pour avoir tué en duel un garde du corps. Cyrano était un grand bretteur.

Tristan, dévoré par la passion du jeu, vécut misérablement; il courait les tripots, mal vêtu, et ne sachant trop quelquefois où coucher. Quand on lui reprochait ce genre de vie, il s'en excusait ainsi :

<< Laissez vivre les poètes à leur fantaisie; ne savez-vous pas qu'ils n'aiment point la contrainte? Eh! que vous importe qu'ils soient mal vêtus, pourvu que leurs vers soient magnifiques! Plût à Dieu que nos poètes de théâtre n'eussent que ce défaut! Mais, tout au contraire de ceux dont vous parlez, ils sont superbes dans leurs habits, leur mine est relevée de toute sorte d'ajustements, et leurs poèmes sont languissants et destitués de conduite. »>

Cette fierté soutenait quelquefois le poète dans ses vers. Tristan aurait dû naître du temps de son aïeul Pierre-l'Hermite. La croisade aurait convenu à sa vie voyageuse et insouciante, toute remplie de fantaisie.

Gaultier de Coste, sieur de La Calprenède, Limousin, tient le milieu entre Scudéry et Bois-Robert. Il est moins connu par ses pièces de théâtre que par ses romans pleins de ces grands coups d'épée que madame de Sévigné aimait tant. Sarrasin disait de lui : qu'il avait donné tant de cœur à ses héros, qu'il ne lui en était point resté. On ne cite guère néanmoins, de la part de La Calprenède, que des traits de vanité qui n'impliquent en rien un manque de courage; il fit cette superbe repartie à une critique du cardinal de Richelieu, qui trouvait lâche le style d'une de ses tragédies;

« Il n'y a rien de lâche dans la famille des La Calprenède! » La Calprenède, dans les préfaces de ses œuvres dramatiques, prétend, comme Scudéry, qu'il écrit pour lui-même et non pour le public. Ces messieurs ne comptaient pas, ainsi que Corneille, sur le peuple; ils se glorifiaient de le mépriser parce qu'ils ne pouvaient conquérir son estime. La profession des armes leur paraissait de beaucoup supérieure à celle des lettres. On rapporte qu'une des tragédies de La Calprenède, la Mort de Mithridate, fut mise à la scène le jour des Rois, et qu'un plaisant, voyant ce prince porter à sa bouche une coupe empoisonnée, se mit à crier : « Le roi boil! le roi boit!» ce qui fit rire aux éclats le parterre au moment le plus pathétique. La Calprenède mourut avant d'avoir vu son Mithridate se transformer sous la plume de Racine. Il aurait certainement crié au plagiat.

La Calprenède a mis le premier sur la scène le sujet du Comte d'Essex, et cette œuvre n'est pas sans mérite d'après des renseignements particuliers il fit usage d'une bague donnée par Élisabeth au duc son amant, et qui devait obtenir d'elle une grâce assurée d'avance quelle qu'elle fût; mais il ne s'est pas servi avec bonheur de cette bague. La Calprenède et Mlle de Scudéry ont opéré en quelque sorte la révolution qui se fit dans la littérature sous Louis XIV. Le ton cavalier, conquérant, hardi des mœurs du temps de Louis XIII se changea en un sentiment tendre, langoureux et pastoral. Racine est né, pour ainsi dire, de cette alliance. La Calprenède conserva long-temps sa réputation. Thomas Corneille traitait encore La Calprenède d'incomparable auteur en lui empruntant son Comte d'Essex. Pierre Corneille l'estimait beaucoup.

Pujet de La Serre obtint un grand succès en faisant jouer un Thomas Morus, tragédie en prose dans laquelle on remarqua une certaine vivacité de style; les portes du théâtre furent enfoncées, tant la foule s'y porta avec violence: quatre portiers furent tués. La Serre en fut tout enorgueilli : « Je le céderai à M. de Corneille, disait-il, quand il aura fait tuer cinq portiers en un jour!..... » Quelle supériorité! La Serre avait la repartie vive; il avait fait l'épitaphe du roi de Suède, et on lui dit à ce sujet : « Vous avez écrit qu'il a rendu son âme à Dieu, mais c'était un hérétique que votre roi de Suède. - Je n'ai pas dit ce que Dieu en avait fait, » répondit La Serre. Il a laissé peu de traces. La Serre disait qu'il achetait trois sous une main de papier et qu'il la vendait cent écus. Il écrivit beaucoup. Sa tentative en prose de Thomas Morus est d'autant plus estimable qu'un déluge de vers inondait alors le théâtre, et qu'elle est le premier essai de drame.

Colletet est moins célèbre par ses tragédies et par son titre d'académicien et de membre des cinq auteurs, que pour avoir épousé successivement trois de ses servantes, et pour avoir voulu que la dernière fût considérée comme un bel esprit. Colletet faisait des vers sous le nom de sa femme. Il poussa même la supercherie jusqu'à laisser une épitaphe que sa veuve signa et fit paraître; c'était en même temps un adieu à la poésie. On se rappelle les vers moqueurs du bon La Fontaine :

Les oracles ont cessé,

Colletet est trépassé.

On rapporte que, Colletet ayant porté au cardinal de Richelieu le Monologue des Thuilleries, le cardinal s'arrêta particulièrement sur la description où l'on voit

La cane s'humecter de la bourbe de l'eau,
D'une voix enrouée et d'un battement d'aile
Animer le canard qui languit auprès d'elle.

Il donna de ses propres mains cinquante pistoles au poète pour ces seuls vers, en ajoutant que « le roy n'était pas assez riche pour payer tout le reste. » Cela prouverait plus en faveur de la générosité qu'en faveur du goût du cardinal de Richelieu, à moins qu'il n'ait trouvé là un moyen ingénieux de ne donner que cinquante pistoles à Colletet en se moquant de lui.

Boyer fut un auteur extrêmement fécond, mais aucune pièce de lui n'était faite pour rester. Dans une de ses pastorales, il a tracé un caractère d'ingénue d'une manière très-agréable. La jeune Lisimène, grondée par sa mère Climène sur son penchant à l'amour, lui répond avec ingénuité :

LISIMÈNE.

Me faites-vous, ma mère, un crime de l'amour?
On aime innocemment les fleurs, l'astre du jour;
Si j'ai pour mon berger un amour de la sorte,

Si mon ardeur pour lui me semble un peu plus forte,
C'est que les dieux l'ont fait, pour donner de l'amour,
Plus charmant que les fleurs, et plus beau que le jour.
Mais, avec cet amour, ne vouloir que lui plaire,

Le voir et lui parler, est-ce un crime, ma mère?

Heureusement pour Lisimène, son berger n'est qu'une bergère déguisée en homme, et son innocence ne court aucun péril. L'abbé Boyer, au bout de vingt-quatre ans, redonna, avec le titre du Fils

supposé, une tragédie qu'il avait fait représenter sous le nom de Tiridate, tant il était persuadé lui-même que ses pièces tombaient dans le plus profond oubli.

Cet abbé n'avait pas trouvé de lieu pour précher, dit Furetière, et c'est pour cela sans doute qu'il se mit au théâtre.

Boyer ne fut pas heureux dans sa longue carrière; il réussit rarement, mais la philosophie lui procurait des consolations. On fit contre lui l'épigramme suivante :

Quand les pièces représentées

De Boyer sont peu fréquentées;

Dans le chagrin qu'il a d'y voir peu d'assistants,
Voici comme il tourne la chose :
Vendredi, la pluie en est cause;
Et dimanche, c'est le beau temps.

Boyer fut brouillé avec l'almanach tout le temps de sa vie. Cependant il eut un beau succès, celui de sa Judith, qui lui valut l'épigramme de Racine sur

Ce pauvre Holopherne,

Si méchamment mis à mort par Judith.

On vit à la représentation de cette pièce un spectacle assez étonnant deux cents dames, tant la foule était grande, étaient assises sur les banquettes du théâtre avec leurs mouchoirs étalés sur leurs genoux, pour essuyer leurs larmes aux endroits pathétiques. Il y avait une scène qu'on appelait la scène des mouchoirs.

La mort de Boyer a été mandée par Racine à son fils (JeanBaptiste) d'une façon assez originale : « Pour nouvelles académiques, dit-il, je vous dirai que le pauvre Boyer mourut avant-hier âgé de quatre-vingt-trois ans ou quatre-vingt-quatre ans, à ce qu'on dit. On prétend qu'il a fait plus de cinq cent mille vers en sa vie; et je le crois, parce qu'il ne faisoit autre chose. Si c'étoit la mode de brûler les morts, comme parmi les Romains, on auroit pu lui faire les mêmes funérailles qu'à ce Cassius Parmensis, à qui il ne fallut d'autre bûcher que ses propres ouvrages, dont on fit un bon feu. >>

Scarron débuta au théâtre par les Boutades du capitan Matamore, en un acte, et en vers de huit syllabes, sur la seule rime en ment. C'est ainsi qu'il commença son grotesque répertoire. Paul Scarron, auquel son Roman comique a acquis une grande célébrité, emprunta presque tous ses sujets aux pièces espagnoles. Il

mit à profit différents imbroglios qui lui tombèrent entre les mains. Une intrigue romanesque sans suite, mais accompagnée de quelques détails comiques, allait admirablement à Scarron, qui n'était pas fait pour réfléchir sur la philosophie de l'art. Pourvu que Scarron trouvât matière à faire rire, il était satisfait, et encore n'était-il pas scrupuleux sur le choix de ses plaisanteries. Il avait prix pour type le personnage de Jodelet, modelé sur un acteur du temps qui remplissait à merveille les rôles de valets. Il fit Jodelet maître et valet, Jodelet duelliste; ces pièces le mirent en vogue auprès des comédiens. Don Japhet d'Arménie eut aussi du succès. Toutes ces pièces, farcies de grossièretés, ne pourraient plus être représentées; mais, au milieu de leur extravagance, on rencontre quelques traits amusants. Voici une des situations de Don Japhet d'Arménie. Les personnes qui entourent ce maître fou lui font accroire qu'il est sourd, en ouvrant la bouche et en faisant semblant de parler. Don Japhet est persuadé qu'il n'entend pas.

Dans Jodelet maître et valet, Scarron s'amuse à parodier les stances du Cid. Jodelet traite la question du point d'honneur. Il se demande si cinq doigts mis sur une face constituent un affront, sous prétexte qu'un barbier y met bien la main.

Les infirmités de Scarron sont connues; il s'appelait lui-même un raccourci de la misère humaine, et ressemblait, disait-il, à un Z. On sait aussi que Scarron épousa Mlle d'Aubigné; mais, dans ses plus folles imaginations, il était loin d'avoir prévu le dénoûment de ce mariage; la veuve du cul-de-jatte Scarron entra dans le lit du grand roi; elle devint Mme de Maintenon. Si Scarron était revenu au monde, comme il aurait exercé là-dessus sa verve burlesque! Il n'épargnait pas les siens. Il avait coutume de dire, en parlant de son père, que c'était le meilleur homme du monde, mais non pas le meilleur père. Il n'avait pas à s'en louer en effet. Son père, qui avait plus de vingt-cinq mille livres de rente, se remaria, eut d'autres enfants; et Scarron, qui prit mal avec sa belle-mère, se trouva un beau jour déshérité. Il eut un procès qu'il perdit. Scarron, malgré les plus vives souffrances, conserva toujours une inaltérable gaieté.

Claude de L'Estoile, qui fut un des cinq auteurs, mangea son bien en amourettes, dit Tallemant des Réaux. Il fut spécialement chargé d'examiner la versification du Cid. Ce travail ne lui profita pas.

Nous ne parlerons que pour mémoire de Claveret, de Guérin du Bouscal, de Chevreau, de De Brosse, de Magnon, de Michel Leclerc, de Desfontaines, de Montauban, de Gilbert, qui a fait une tragédic

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