Images de page
PDF
ePub

intitulée Hippolyte, ou le Garçon insensible. Ces auteurs n'ont pu même atteindre à la médiocrité.

Nous préférons dire ici, et Scarron nous y invite, comment se sont établies les influences italiennes et espagnoles sur notre littérature. Le mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche vint mettre l'espagnol à la mode à la cour de France; mais, en remontant plus loin, on peut dire que les guerres de François Ier avaient servi à répandre cette langue : le roi, captif sans perdre l'honneur, acquit l'espagnol à la France, de même que ses guerres du Milanais propagèrent d'un autre côté l'italien. Le mariage de Henri II avec Catherine, après les guerrres d'Italie, sous trois de nos rois, avait familiarisé complétement la France avec l'idiome de ce pays. Il n'est pas étonnant que nos premiers poètes comiques aient puisé à ces deux sources. Le mariage de Marie-Thérèse avec Louis XIV accrédita davantage encore l'espagnol; il vint même s'établir une troupe de comédiens de cette nation, ils jouèrent pendant douze ans en concurrence avec les comédiens italiens.

Chapuzeau parle de l'arrivée de cette troupe : « Nous vimes arriver à Paris une troupe de comédiens espagnols, dit-il, la première année du mariage du roi (Louis XIV). La troupe royale lui prêta son théâtre, comme elle avoit fait avant eux aux Italiens, qui occupèrent depuis le Petit-Bourbon avec Molière, et le suivirent au Palais-Royal. Les comédiens espagnols ont été entretenus depuis par la reine Marie-Thérèse jusqu'en 1672... Ils jouoient, chantoient et dansoient. Leur troupe fut accueillie sans jalousie par les comédiens françois, qui leur donnèrent un magnifique repas. »

D'Italie vinrent les pointes, les concetti, les métaphores burlesques; d'Espagne vinrent les intrigues romanesques, les fanfaronnades, le décousu de l'action; mais des deux côtés, malgré ces défauts, notre théâtre gagna une vivacité comique, et une liberté que l'antiquité ne lui aurait pas donnée. Nous terminerons ce chapitre en marquant l'heure à laquelle les comédiens ouvraient leur porte c'était à une heure précise, le spectacle commençait à deux; il devait être fini à quatre heures et demie. On avait pris cette mesure à cause de la boue et des filous qui, au dire des historiens, encombraient alors les rues de Paris, fort mal éclairées la nuit.

CHAPITRE QUATRIÈME.

PREMIÈRES PIÈCES DE CORNEILLE.

Melite ou les Fausses Lettres, voilà le premier coup d'essai de Corneille; et le poète a porté plus tard un jugement si rigoureux sur sa pièce qu'il y aurait mauvaise grâce à faire ressortir les inexpériences de cette comédie. Mélite avait plus de style et même plus de régularité que les pièces de Jodelle, de Grevin, de Garnier, de Hardy, quoique ce dernier ne la nommât qu'une jolie faree; ce mérite lui valut son succès à une époque où la raison et le sens commun commençaient à épurer le théâtre, trop rempli, comme le dit Corneille, de parasites, de capitans, de docteurs, de valets bouffons. Le passage suivant, extrait d'une Histoire de la ville de Paris, donnera une idée de la comédie de l'époque : « Les pièces » de nos premiers poètes commençaient à vieillir, et leurs repré>> sentations froides et languissantes, n'ayant plus cet air de nou» veauté qui ne charme qu'autant qu'il surprend, ne donnaient >> plus aucun plaisir. Les comédiens voulurent suppléer à ce dé>> faut par de mauvaises farces, le plus souvent insipides ou rem>> plies d'obscénités. Mais il n'y eut que le bas peuple ou tout au >> plus quelques libertins qui s'accommodèrent de ce spectacle ridi>> cule, si indigne du théâtre français. Cette licence était parvenue >> à un tel point que le magistrat fut obligé d'y mettre la main ; » ainsi la comédie tomba dans un fort grand mépris. Les choses » étaient dans cet état, et le théâtre presque abandonné, lorsque » Pierre Corneille fit paraître sur la scène sa Mélite. » On peut juger du reste de cette licence par ce titre l'Impuissance, titre d'une comédie d'un sieur Féronneau Blaisois; cette comédie succéda même à Mélite.

On trouva donc original de voir la scène comique débarrassée des imitations serviles de l'antiquité, déjà usées comme les moralités. Il était temps de montrer des êtres contemporains, vivant de la vie des spectateurs; en un mot, comme on le disait alors, les honnêtes gens furent flattés de se retrouver dans le miroir de la comédie.

Corneille était complétement inconnu lorsqu'il arriva de Rouen à Paris avec sa Mélite sous le bras. Elle eut besoin, pour être goûtée,

de quelques représentations, car les premières ne furent pas favorables; elle ne tarda pas à produire son auteur à la cour. On regarda Mélite comme un progrès de l'art dramatique, quoique cette pièce ne fût pas renfermée dans les règles d'Aristote. Corneille les ignorait alors, et plût à Dieu qu'il les eût ignorées toujours ! Il est incontestable que la manière dont elle est écrite, à part quelques traits de mauvais goût, la rend supérieure aux œuvres théâtrales du temps, dont quelques-unes pouvaient l'emporter par l'intrigue. Cette Mélite courtisée par Ergaste, Philandre et Tircis sent bien la pastorale pour un homme qui crayonna ensuite les figures de tant de héros! De Philandre à Cinna, de Tircis à Pompée, quelle distance! Au reste Corneille ne se dépouilla jamais entièrement de cette espèce de bergerie, que d'Urfé, Racan et La Calprenède avaient mise à la mode, et dont la vogue n'était pas passée à l'époque où il débuta dans la carrière littéraire, car on y comptait par centaines les pastourelles, les fables bocagères; il n'oublia jamais d'ailleurs qu'il avait dû la révélation de son génie à une passion presque idyllique qui forme le fond de sa première pièce. Comme l'atteste Fontenelle, cette passion avait été inspirée par une demoiselle de Rouen, laquelle reçut elle-même le nom de Mélite après le succès de cette comédie, où l'on remarque de charmants vers qui auraient fait les délices d'une cour d'amour.

Le jargon précieux, dont Molière fit justice quelques années plus tard, dépare beaucoup, malgré cela, cette première pièce de Corneille. On y trouve des cœurs qui se mettent à la fenêtre, pour mieux voir l'objet dont ils sont épris, et beaucoup de sentiments alambiqués; mais on peut dire pourtant que Mélite ouvrit la route au style simple et concis, genre de style qui passait pour trivial et était tenu alors en grand mépris: la préface de Mélite en fournit la preuve. Corneille témoigne la crainte, en publiant sa pièce, que, sa façon d'écrire étant simple et naturelle, la lecture ne fasse prendre ses naïvetés pour des bassesses. Ronsard avait tellement enflé sa poésie de mots grecs et latins à moitié francisés par lui, que ses successeurs s'étaient presque tous guindés à son exemple. Ronsard et Sénèque, que les auteurs dramatiques choisissaient particulièrement pour modèles, avaient gâté le goût. On n'imitait que leurs défauts.

Corneille était si fier d'avoir été admis dans la haute société, que cet orgueil se trahit dans la dédicace de Clitandre ou l'Innocence délivrée, sa seconde pièce ; dédicace adressée à Mgr le duc de Longueville. Il faudrait n'être pas du monde, dit Corneille avec l'amourpropre d'un homme qui en est, « pour ignorer que votre condition

vous relève encore moins que votre esprit. » Corneille revint bien vite à sa bonhomie. La préface de Clitandre fait foi de la candeur de son caractère. Il avoue avec une charmante ingénuité ce que tant de poètes ont cherché à déguiser depuis, le choix de personnages entièrement imaginaires et d'un pays non moins chimérique. «Ma scène est dans un château d'un roi, proche d'une forêt ; je ne détermine ni la province, ni le royaume : où vous l'aurez une fois placée, elle s'y tiendra. » A la bonne heure! voilà de la franchise !

La quantité d'intrigues et de rencontres, pour nous exprimer comme Corneille, qui se trouvent réunies dans Clitandre rendent la lecture de cette tragi-comédie fort difficile. La versification n'est pas même à la hauteur de celle de Mélite, quoi qu'en dise l'auteur. Corneille s'est moqué lui-même de sa pièce dans les examens de son théâtre qu'il fit sur ses vieux jours; il l'a même traitée avec beaucoup de mépris. Une chose curieuse, c'est de rapprocher l'examen de Clitandre de la dédicace et de la préface; comme le poète a changé de ton! Il cherche même à se donner les honneurs d'avoir fait une parodie, afin de sauver son amour-propre d'auteur. « J'ai voulu, dit-il, faire une pièce régulière (c'est-à-dire dans les vingtquatre heures), pleine d'incidents et d'un style plus élevé, mais qui ne vaudroit rien du tout; en quoi j'ai réussi parfaitement. » Corneille n'avait que trop réussi, il est vrai; jamais imbroglio espagnol n'a été plus décousu, plus invraisemblable, jamais fatras plus romanesque n'a été mis à la scène. Le plus curieux effet consiste dans une aiguille, au moyen de laquelle une fille attaquée dans sa vertu se défend en perçant l'œil de son agresseur. Clitandre est de beaucoup au-dessous de Mélite. Il est impossible de ne pas reconnaître, du reste, dans les tirades et dans les monologues de ces deux pièces, la verve raisonneuse et le goût des apostrophes que Corneille transporta plus tard dans ses chefs-d'œuvre. La folie d'Ergaste, dans Mélite, est empreinte, par exemple, d'une vigueur qui annoncerait un poète véritablement tragique.

Corneille, dans ses premières dédicaces, fait parler les personnages de ses pièces. Ils sont censés demander eux-mêmes la protection des gens à qui l'auteur en fait hommage : c'était l'esprit du temps, et cette fiction avait assurément l'approbation de Voiture. Singulier retour des choses! la plupart de ces puissances devant lesquelles le poète s'humilie, et qu'il place si fort au-dessus de lui, n'ont vécu que grâce à ses phrases pompeuses. Qui connaîtrait, par exemple, s'il ne l'avait nommée, cette Mme de La Maison-Fort à laquelle il dédic sa comédie de la Veuve ou le Traitre puni? Les

poètes d'alors n'avaient donc pas tort, les Ronsard, les Baïf, les Théophile, lorsque dans leurs odes ils promettaient l'immortalité aux grands pour prix de leurs bienfaits éphémères. Au présent borné ils offraient l'avenir infini et ils tenaient leurs promesses.

La comédie de la Veuve est une fantaisie, une suite de scènes détachées en quelque sorte, où l'on trouve de jolis vers. Corneille a voulu mettre en scène deux personnes qui s'aiment sans se le dire, et deux autres personnes qui se parlent d'amour sans s'aimer; ce qui a donné lieu à beaucoup de coquetterie d'action, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Cette pièce renferme, du reste, une scène vraiment comique, et qui fait pressentir le Menteur, celle où Célidan arrache à la nourrice de Clarisse l'aveu que sa maîtresse a été enlevée. Le style est pareil au style de Mélite, mais un peu débarrassé de pointes, comme l'auteur le reconnaît luimême. Corneille ne s'oublia pas, dans cette troisième comédie qu'il fit représenter. Le grand homme eut la faiblesse de parler de lui; ces quatre vers qu'il met dans la bouche d'Alcidon réclament un souvenir en faveur de Mélite :

Comme, alors qu'au théâtre on nous fait voir Mélite,

Le discours de Chloris, quand Philandre la quitte;
Ce qu'elle dit de lui, je le dis de ta sœur,

Et je la veux traiter avec même douceur.

Il y a quelque chose de l'homme chez les demi-dieux.

La Veuve valut à Corneille les hommages poétiques de Mayre et de Rotrou. Mayret lui adressa ces vers spirituels :

O dieux que ta Clarisse est belle!

Et que de veuves à Paris
Souhaiteraient d'être comme elle
Pour ne pas manquer de maris!

La muse de Rotrou prit un ton plus élevé :

Pour te rendre justice autant que pour te plaire,
Je veux parler, Corneille, et ne puis plus me taire.
Juge de ton mérite, à qui rien n'est égal,
Par la confession de ton propre rival.
Pour un même sujet même désir nous presse :
Nous poursuivons tous deux une même maîtresse.
Mon espoir toutefois est décru chaque jour
Depuis que je t'ai vu prétendre à son amour.

La belle âme de Rotrou était au-dessus de la jalousie; quant à Mayret, il changea bientôt de langage. Il croyait sans doute alors que Corneille n'aborderait pas le genre tragique.

« PrécédentContinuer »