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ses plus belles créations. Elle était sur le bord d'un abîme où, sous le nom de Lélia, un mauvais génie l'entraînait, lorsqu'elle se retourna brusquement et revint à la philosophie de la résignation, à la bonté du cœur. Une heureuse réaction s'opéra chez l'auteur, et ses pensées acquirent une gravité et une portée qui manquaient à quelques uns de ses premiers ouvrages. Ce ne furent plus les accès d'une colère juste peut-être dans son instinct, mais irréfléchie dans son explosion contre l'ordre social. Ce furent des indignations généreuses, des aspirations saintes, des glorifications du dévouement, du travail, de l'honneur, aux dépens de la paresse, de l'envie, de l'égoïsme. George Sand voulut entrer pleinement dans la classe des écrivains moralistes. Cette femme, douée d'une si grande puissance sur ses lecteurs, se plut à conjurer l'orage des passions qu'elle avait soulevées.

C'était donc un événement d'importance que l'apparition d'un drame venant d'une plume si célèbre. Aussi l'attention publique fut-elle vivement préoccupée de cette tentative; on se demandait si la main capricieuse qui promenait librement ses héros dans le monde du roman saurait les renfermer dans les étroites proportions de la scène, et si le style magnifique et flottant de la rêverie s'ajusterait, sans faux plis, sur les flancs énergiques de la réalité. Cosima ne répondit pas à l'attente du public, mais les littérateurs y découvrirent de réelles beautés,

Des romanciers possédant une réputation de talent et d'esprit ont abordé la scène avec des chances diverses, mais presque toujours honorables pour eux: MM. Eugène Sue, Félix Pyat, Léon Gozlan ont réussi à la scène. Un seul, M. de Balzac, a fâcheusement échoué; deux pièces de lui, Vautrin et les Ressources de Quinola, ont froissé les honnêtes gens et les gens de goût. L'auteur des Mémoires du Diable, romancier aussi fécond et beaucoup plus vrai que M. de Balzac, M. Frédéric Soulié, qui a touché avec succès à tous les genres de la littérature, s'est fait une réputation populaire: Roméo et Juliette, Clotilde, le Proscrit, Diane de Chivry l'ont rangé parmi nos meilleurs auteurs dramatiques.

La précipitation a trop souvent nui aux ouvrages de ce temps. Les auteurs qui travaillent pour la postérité ne doivent pas, au lieu du Pégase antique, prendre pour monture, afin d'aller plus vite, le cheval de la célèbre ballade de Lenore, car ce cheval no porte que des spectres et des morts.

CHAPITRE VINGT ET UNIÈME.

CONCLUSION.

Bien des gens s'en vont criant que la comédie est morte, et qu'il n'est pas donné à notre siècle de la ressusciter. A les entendre, lés caractères de notre époque sont effacés; l'égalité des hommes entre eux a aboli, disent-ils, toute originalité individuelle; les effets comiques ne peuvent plus avoir rien de saillant, à cause de l'uniformité des mœurs et des costumes; les grands types ont été consacrés par la main du génie on ne cesse de répéter ces raisons et beaucoup d'autres pour faire croire à l'impossibilité de la comédie. Avec un peu de réflexion ou mème de bonne foi, on s'épargnerait ces plaintes et ces regrets; mais on aime en général à louer le passé aux dépens du présent. La comédie se transforme et ne meurt pas; la comédie est la satire des vices et des ridicules de chaque époque. Serait-ce à dire que nous n'avons ni vices ni ridicules? Nous ne sommes pas encore parfaits; pourquoi donc nos mœurs ne se prêteraient-elles pas aux effets comiques? Les ambitions des hommes sont à peu près les mêmes dans tous les temps, et elles se produisent sous une forme toujours plaisante: il s'agit de la bien voir et de la bien rendre.

Quelle doit être la comédie de notre temps?

M. de Talleyrand, d'après la réputation qu'on lui a faite, pourrait être regardé comme le modèle de cette comédie. Elle consiste en grande partie dans l'hypocrisie des mots, déguisement à travers lequel les gens d'esprit aperçoivent la pensée. Il n'y a que les sots de trompés; la vie semble plus commode et plus douce avec ces formes aimables qui paraissent prouver le cas qu'on fait de vous et la peur qu'on a de vous déplaire. Ce n'est pas du mensonge, mais de la politesse: on aime à se bercer au bruit de cette musique louangeuse; on se passe avec grâce et discrétion l'encensoir, et les Philintes ont prévalu sur les Alcestes dans la société actuelle. Tout étant dissimulation, on ne peut donc accuser fortement les traits. L'art de la comédie consiste peut-être à présent dans l'opposition de la pensée et des discours, de la vie réelle et de l'opinion qu'on veut que les autres aient de soi; dans cette suite de faussetés qui forment le fond de la plupart des existences du

jour. Du choc des intérêts divers et des amours-propres blessés, faites jaillir la vérité : vous aurez la comédie de l'époque.

On raconte que le divin Platon envoya un exemplaire d'Aristophane à Denys-le-Tyran, en l'engageant à lire ce poète avec attention s'il voulait connaître à fond l'état de la république d'Athènes. Tel doit être le caractère de la comédie. On lui demande de tracer des portraits auxquels il ne manque que le nom, et qui n'en aient pas besoin par cela même que ce sont des portraits dont la ressemblance fait le mérite. Chacun les reconnaît en les voyant. La comédie est donc faite pour marquer les mœurs, saisir les vices et les ridicules, porter l'empreinte du siècle qui la produit. C'est plus que de l'histoire : l'histoire ne nous présente, en quelque sorte, que des momies; la comédie, à quelque intervalle que ce soit, nous montre les hommes avec leur véritable physionomie, elle nous rend contemporains des personnages qu'elle offre à notre curiosité. Le poète comique, en un mot, est un peintre, et ni Aristophane, ni Plaute, ni Molière n'ont méconnu leur art; ils ressuscitent pour nous leur temps. Sans Aristophane, connaîtrions-nous cette société athénienne qui poussait le génie de l'indépendance jusqu'à laisser mettre en scène ses dieux, et, bien plus, ses magistrats, dont les traits étaient représentés par des masques, de peur que quelque spectateur peu clairvoyant ne s'y trompât? Sans Plaute, saurions-nous ce qu'étaient les esclaves dans la civilisation antique? Et si Molière n'avait pas joué les marquis, aurions-nous une idée exacte de la cour de Louis XIV ? Ces réflexions sont tellement simples, que tout le monde les a faites sans doute, et nous ne les reproduirions pas si la manie du paradoxe ne venait à tout instant obscurcir les plus claires notions.

-Le théâtre est généralement envisagé sous deux aspects très-opposés. Quelques-uns n'y voient qu'un véritable amusement, ils demandent à ses combinaisons la surprise joyeuse qu'on éprouve en regardant se former les capricieuses mosaïques d'un kaléidocospe; ce sont les amis de l'art pour l'art, indifférents à toute idée morale, et qui recherchent un exercice de l'esprit dans les sinuosités d'une intrigue, ou un délassement voluptueux dans la pompe d'un spectacle propre à flatter les sens. Ces esprits sceptiques, persuadés que la simple planète de la terre n'est pas assez grosse dans l'espace pour être spécialement distinguée des yeux de Dieu, ne vont pas au delà des satisfactions du moment. Ce monde est un tableau qui se déroule devant eux, et qu'ils aiment à voir se refléter dans le miroir du théâtre, sans donner plus d'importance à l'image qu'à la réalité. Ils ont pour maxime que le théâtre n'a ja

mais corrigé personne, et que c'est un plaisir bien plutôt qu'une leçon. Quelques poètes eux-mêmes se sont laissé prendre à ce système, et des critiques n'ont pas dédaigné de favoriser cette débauche d'imagination: aussi il existe beaucoup de pièces récréatives toutes semblables aux nuages qui passent et qui, après s'être imprégnés de la forme des lieux, se dissolvent dans les airs.

D'autres natures, ayant le sens moral avant tout, rapportant tout à l'humanité et comprenant sa grandeur, bien pénétrées de son unité et de la solidarité des générations, continuent une œuvre de progrés qui s'accomplit de siècle en siècle, et augmentent les trésors du passé, afin de grossir la fortune de l'avenir. Ceux-là, pour qui la vie a un but et dont l'àme aspire à l'idéal, ne se contentent pas de jouissances éphémères et matérielles. Dépourvus d'égoïsme, ils rêvent une incessante amélioration de l'espèce; et tout ce qui ne tend pas à la perfection leur paraît non-seulement indigne d'attention, mais encore une sorte de sacrilége. Le théâtre est pour eux un religieux enseignement; ils le considèrent comme la meilleure école de mœurs, et veulent que toute pièce amène un résultat avantageux pour la société, ou que du moins elle entretienne les cœurs dans les bonnes idées acquises jusque-là. Le théâtre, à leur sens, est donc une tribune philosophique d'où les poètes divins appellent les hommes à une fraternelle communion. C'est sous ce dernier point de vue que le théâtre est apparu en France aux grands hommes qui ont illustré notre scène. Il est bien entendu que ce système se prête quelquefois aux brillantes arabesques de la pensée, aux caprices innocents de la fantaisie. Mais ce qui distingue en général notre théâtre de la plupart des autres théâtres, anciens et modernes, c'est que les pièces de ceux-ci semblent faire naître par instinct et au hasard ces émotions qui relient les hommes entre eux; tandis que le sens moral entre dans le tissu des nôtres, y respire et leur donne la chaleur et la vie : cela vient de cet instinct constant de perfectibilité qui a placé la France au premier rang des nations.

Cependant l'excès de la vertu, dans les pièces de théâtre, devient on ne peut pas plus fastidieux; l'ennui accompagne ordinairement ces prédications faites pour la chaire, et mettez quelques grains d'ennui dans la plus belle morale du monde, cela suffit pour la gâter et pour lui ôter tout son parfum. La comédie ne doit donc pas être une femme penchée sur une urne lacrymatoire, et qui semble écrire une épitaphe. La comédie est une moqueuse de bon goût, qui se mêle au monde, qui le sait à fond, qui n'élève jamais la voix trop haut, de peur de blesser les convenances sociales, qui

se raille agréablement des ridicules et des vices, qui emploie la médisance comme un remède propre à guérir des défauts dont elle est témoin. Elle consent à prêter d'imposantes paroles au père du Menteur ainsi qu'au père de don Juan, elle met dans la bouche d'Alceste de chaleureuses répliques; mais vous ne la voyez jamais autoriser les pleurs et les cheveux épars qui s'accordent si peu avec son sourire habituel. La critique ne saurait tolérer cette disposition trop sentimentale qui a souvent usurpé le nom de comédie: au lieu d'honnêtes gens, pleins d'esprit et de raison, devisant avec modération des faiblesses humaines, on nous fait voir des discoureurs de vertu montés sur des échasses. Elle ne saurait admettre non plus qu'on pousse le pittoresque jusqu'à jeter sur la scène des êtres qui prétendent avoir le droit d'être en guerre avec la société, qui pratiquent le vol par profession, et s'étayent de misérables paradoxes pour tâcher de légitimer le vice et le crime dont ils vivent. Elle doit se tenir entre ces deux écueils.

Qu'on ne nous montre plus, avec leurs haillons, des échappés de nos bagnes, dont l'aspect seul fait frissonner le cœur et dont l'ignoble argot épouvante les oreilles. Qu'on ne suspende plus sur la tête du spectateur, en quelque sorte, le hideux couteau avec lequel ils égorgent leurs victimes, comme une autre épée de Damoclès. N'a-t-on pas vu devant nos cours d'assises des esprits pervers chercher une excuse dans les odieux principes dont font parade ces êtres fangeux; et dans les rangs infimes d'une société mal assurée comme la nôtre, ces principes ne produisent-ils pas d'absurdes théories qui viennent de temps à autre arrêter le progrès des mœurs et des idées ? Les Frontins, les Mascarilles, les Crispins, les Scapins de notre ancienne comédie, gens d'une moralité plus que suspecte, et, la plupart du temps, brouillés avec la justice, sont des personnages de convention, ayant encore quelque chose du Dave antique, et dont les allures n'ont rien d'effrayant ni de dangereux. Toute leur industrie consiste à se faire payer de toutes mains les services qu'ils peuvent rendre et qu'ils ne rendent pas toujours, ou bien à faire passer de la poche d'un père avare dans celle d'un fils prodigue une bourse qui mènera à bonne fin les amours de leur jeune maître. On les connaît, on sait ce qu'ils valent; personne ne s'y fie, excepté les Gérontes, vieillards destinés à être dupés et encore ceux-ci ne se livrent-ils qu'après beaucoup de résistance, ce qui force les valets fripons à déployer infiniment d'adresse. Cette lutte est un jeu d'esprit qui plaît. On voit derrière ces messieurs à la langue dorée deux personnes auxquelles on s'est intéressé et qui ont pour elles la jeunesse et l'a

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