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appui à la réputation naissante du nouveau poète, a discrédité pour nous Agésilas :

J'ai vu l'Agesilas,
Hélas!

Agésilas contient néanmoins des parties remarquables. Cette pièce est écrite en vers libres et croisés. Ce style, quoique bizarre dans une tragédie, ne manque pas de charme; il mêle une certaine douceur à l'héroïsme du sujet. Molière s'est servi de ce genre d'écrire dans son Amphitryon.

L'amour continuait à envahir le théâtre; Corneille alla chercher Attila, roi des Huns, pour s'opposer à cette irruption; mais Attila n'y suffit pas. Attila fut battu par Racine, malgré de fort belles pensées où se retrouvait encore l'inspiration cornélienne; la faiblesse générale de la versification, et la mauvaise conduite de la pièce, ramenèrent le sarcasme sur les lèvres de Despréaux :

Après l'Attila,
Hola !

Cette tragédie ne s'en est pas moins soutenue, pendant trento années, au répertoire.

Madame, cette Henriette d'Angleterre dont Bossuet a retracé si éloquemment la mort, voulut mettre en champ-clos Corneille et Racine, le vieux chevalier blanchi sous les années, tout chargé de hauts faits, et son jeune rival dans la vigueur de l'âge et du talent. Corneille fut vaincu comme son don Diègue; sa main défaillante n'eut pas la force de parer l'affront auquel on n'aurait pas dù l'exposer. On le fit tomber dans un piége. Son Tite est loin de ressembler au Titus de Racine; la critique du temps l'a comparé à un mangeur de petits enfants. Les vers de Tite et Bérénice furent généralement trouvés durs, incorrects, et les caractères outrés.

Nous n'insisterons pas sur l'héroï-comédie de Pulchérie et sur la tragédie de Suréna, incertains rayons de l'astre à son déclin.

Quant à Psyché, cette pièce appartient également à Molière et à Quinault. Apulée est le premier qui ait raconté dans son roman de l'Ane d'or la délicieuse fable de Psyché et de Cupidon, dans laquelle les philosophes ont voulu voir un mystère religieux, et qui n'est qu'une ravissante allégorie des tourments que peut causer la curiosité soupconneuse, défaut ordinaire des amants. Psyché, qui voit s'envoler son céleste époux, irrité qu'on ait douté de lui; Psyché qui se réhabilite à force de cruelles épreuves, est la plus adorable image que l'antiquité nous ait tracée d'un sentiment in

discret et jaloux. On sait que le vieux Corneille retrouva, dans la déclaration de l'Amour à Psyché, l'éclat et la chaleur qu'il avait au temp; où rayonnait le Cid.

CHAPITRE SEPTIÈME.

CORNEILLE DE LISLE (THOMAS), CYRANO DE BERGERAC, QUINAULT, CHAPPUZEAU. Types comiques, acteurs et actrices célèbres.

Thomas Corneille, qui se faisait appeler sieur de Lisle, pour se distinguer sans doute de son aîné, prétention dont Molière paraît s'être moqué dans l'Ecole des Femmes, a vécu avec son frère dans la plus grande intimité; ils avaient épousé les deux sœurs, ils habitaient la même maison; ils se prêtaient volontiers des rimes; tout était en commun, excepté le génie. Boileau, juge trop rigoureux, disait de Thomas Corneille : « C'est un homme emporté de l'en>> thousiasme d'autrui, et qui n'a jamais rien pu faire de raisonna» ble; vous diriez qu'il ne s'est étudié qu'à copier les défauts de >> son frère... Pauvre Thomas!... tes vers, comparés à ceux de » ton frère aîné, font bien voir que tu n'es qu'un cadet de Nor>> mandie. >> Destouches, meilleur juge en matière de théâtre, disait en parlant de commentaires qu'il avait entrepris sur les auteurs tragiques et comiques, anciens et modernes : « Je suis fort >> avancé dans mes observations sur les deux Corneille, dont le » cadet me paraît infiniment plus estimable qu'on ne se l'imagine » ordinairement, surtout par rapport à l'invention et à la disposi» tion des sujets. » Thomas Corneille était, en effet, un homme de mérite, et dans les trente-sept pièces qu'il a données au théâtre il y a des parties vraiment remarquables. Le plan de ses tragédies était assez régulier, trop raisonnable même, quoi qu'en dise Boileau; mais toutes manquent de force, de style, de caractère. Elles eurent néanmoins beaucoup de succès dans leur temps.

Thomas Corneille a surtout réussi dans les pièces qu'il a imitées de l'espagnol : la comédie de Don Bertrand de Cigarral, entre autres, nous paraît très-amusante; elle pourrait encore être jouée. Don Bertrand de Cigarral est un certain original qui, pelé et galeux comme un vieux chien, s'est mis dans la tète d'épouser une jeune et belle personne; mais son cousin don Alvar, noble cavalier,

la lui enlève et obtient même de lui une pension. Cigarral a peur d'entrer dans la nombreuse confrérie des maris trompés; il cède Isabelle à don Alvar. Cependant, avant d'en venir là, il fait toutes sortes de difficultés. Ces vers, échappés à la colère de don Bertrand, ne sont nullement dépourvus de comique :

Mariez-vous sur l'heure et la prenez pour femme,
C'est par où je prétends me venger de vous deux,
Elle, sans aucun bien; vous, passablement gueux.
Allez, vous connaîtrez plus tôt qu'il ne vous semble
Quel diable de rien c'est que deux riens mis ensemble.
Dans la nécessité, vous n'aurez point de paix;
L'amour finit bientôt, la pauvreté jamais.

Afin que tout vous semble aujourd'hui lis et roses,
J'aurai soin de la noce et paîrai toutes choses;

Mais vous verrez demain qu'on a peu de douceur
A diner de ma vie, à souper de mon cœur,
Et qu'on est mal vêtu d'un drap de patience
Doublé de foi partout, et garni de constance.

Ces vers disent, hélas! des vérités éternelles! Le rôle bouffon de don Bertrand de Cigarral, exécuté à la manière de Scarron, est d'un effet sûr.

L'Amour à la mode renferme des vers galants assez bien tournés. Dans le Geolier de soi-même, autre comédie de Thomas Corneille,' Jodelet, pris pour un prince, et agissant comme Sancho Pança dans son île, offre des traits plaisants.

Le Geolier de soi-même a été imité de Caldéron; c'est dans l'original une comédie très-gaie et très-amusante, bien qu'elle commence comme un drame. Frédéric a tué dans un tournoi le neveu même du roi ; il se sauve dans une forêt, il y laisse son armure. La princesse Hélène, la sœur mème du mort, recueille Frédéric dans son château; il s'est présenté à elle comme un marchand dépouillé de toutes ses richesses par les brigands de la forêt, elle a eu pitié de lui. La princesse Hélène devient amoureuse de Frédéric, mais l'infante Marguerite l'avait déjà prévenue; elle était éprise du jeune homme, qui n'est autre que le fils du prince de Sicile. On est donc rassuré sur ses jours; d'autant plus que le roi est un véritable Cassandre, dont sa fille fait à peu près ce qu'elle veut. Ce qui forme le sujet de la comédie, c'est qu'un certain Benito, gracioso de la princesse Hélène, a trouvé l'armure dans la forêt, s'en est affublé, et a été saisi par les hommes d'armes envoyés à la poursuite de Frédéric. On le jette en prison; et on le donne à garder à Frédéric lui-même, que la princesse a nommé gouverneur de son château, L'infante, de concert avec Frédéric, prolonge l'errcur jusqu'à ce

qu'ils soient assurés du pardon. Toute cette intrigue est développée avec beaucoup de verve et d'esprit par Caldéron. Thomas Corneille l'a singulièrement affaiblie en y touchant.

Thomas Corneille ne possédait pas l'élévation tragique; il aurait dû se borner à la comédie, mais le voisinage de son frère lui échauffait le cerveau. Il eut, du reste, une réussite prodigieuse en ce genre, et très-capable de le tromper sur sa vocation. Son Timocrate, par exemple, fut joué quatre-vingts fois de suite, et les comédiens se virent obligés de venir dire aux spectateurs : « Mes>> sieurs, vous ne vous lassez point d'entendre Timocrate; pour nous, »> nous sommes las de le jouer : trouvez bon que nous ne le repré>> sentions plus. » Rien de plus bizarre et de plus rebutant que ce Timocrate, singulier exemple de ces fortunes qui, selon une juste remarque de La Harpe, accusent le goût d'un siècle et étonnent l'âge suivant.

Stilicon n'eut pas moins de succès. L'admiration de la Gazette historique de Loret, souvent mieux inspirée, était sans bornes : Enfin Corneille le cadet

A si bien poussé son bidet
Sur ce sujet extr'ordinaire,

Qu'on dirait que monsieur son frère

En vers n'a jamais mieux paru.

Cependant Stilicon est d'une étrange barbarie, quoi qu'en dise Loret.

La tragédie de Camma, fort défectueuse du côté de la versification, est pourvue d'une intrigue assez forte; Fontenelle en a loué beaucoup le dénoûment, qui se rapproche un peu de celui de Rodogune. Camma, pour rester fidèle à son amant, empoisonne l'époux qu'elle est forcée de prendre, et s'empoisonne également en lui présentant la coupe nuptiale. On trouve dans cette tragédie une scène véritablement originale. Pendant que le roi Sinorix, épris de Camma, se livre à de profondes réflexions, la reine de Galatie s'approche de lui, un poignard à la main. Au moment où elle va le frapper, Sostrates, son amant, lui arrête le bras; le poignard tombe. Le roi se retourne, et, dans son premier mouvement, il accuse Sostrates, ancien favori du roi Sinorix, prince de Galatie, dont le trône a été occupé par lui; il croit que c'est la reine qui lui a sauvé la vie. Cette méprise forme un très-beau coup de théâtre.

Le Baron d'Albikrac, comédie, ne manque pas de mérite; on y trouve un de ces caractères de vieilles femmes qui ont la manie de se croire aimées; caractère que Molière a si bien reproduit dans les Femmes savantes, quelques années plus tard,

La Mort d'Annibal tomba. Elle ne causa d'admiration qu'à Robinet, autre gazetier en vers, qui avait succédé à Loret, mais sans avoir hérité de son esprit et de son style.

La Comtesse d'Orgueil est une amusante folie, dans le goût du Baron d'Albikrac, mais déparée par de grossières plaisanteries.

Enfin Thomas Corneille fit Ariane, et ce fut son chef-d'œuvre ; quoiqu'il faille presque en revenir à l'avis de madame de Sévigné sur cette tragédie: madame de Sévigné ne se trompait pas toujours; son goût était sûr lorsqu'elle n'était pas envahie par la coterie.

« J'ai vu Ariane pour la Champmeslé seule, disait-elle : cette co» médie est fade, les comédiens sont maudits; mais cependant, >> quand la Champmeslé arrive, on entend un murmure, tout le >> monde est ravi, et l'on pleure de son désespoir. »

Les grandes actrices ont toujours trouvé dans ce rôle des effets à leur convenance et capables de faire oublier la nullité de l'action. Le rôle d'Ariane, en effet, composé de morceaux empruntés à Catulle, à Ovide, à la Didon même de Virgile, et dans lequel se personnifie assez bien le sentiment de ces amantes délaissées que l'antiquité affectionnait; ce rôle a des parties touchantes et fortes, qui font oublier, par leur vérité, les défauts de l'ensemble. La tragédie d'Ariane possède aussi quelques vers heureux, que Racine, qui donnait alors Bajazet, n'aurait pas désavoués; on y rencontre même une scène de génie entre les deux sœurs, Phèdre et Ariane : scène que l'auteur aurait rendue plus belle encore en tirant un meilleur parti de l'arrivée et de l'embarras de Thésée. La crédulité d'Ariane, sa confiance dans Phèdre au moment où elle est trahie par elle, sont des traits de maître, dont le bon Thomas Corneille n'était pas très-prodigue. Peut-être est-ce son frère Pierre qui, dans l'intimité de travaux où ils vivaient, lui aura soufflé cette scène à travers la célèbre trappe qui donnait de la chambre de l'un dans celle de l'autre, et livrait passage à des hémistiches ou à des rimes rebelles. On dirait que, travaillant déjà à son imitation en vers du Festin de Pierre, Thomas Corneille a transformé quelquefois Thésée, sans s'en douter, en don Juan, et Pirithous en Sganarelle. L'ingrat Thésée, n'osant apprendre sa trahison à Ariane, s'écrie:

Adieu, Pirithous peut vous dire le reste.

N'est-ce pas ainsi que don Juan agit vis-à-vis d'Elvire quand il la laisse en tête-à-tête avec son valet?

La comédie de l'Inconnu est une des plus jolies pièces du trop fécond Thomas Corneille; elle plut beaucoup. Devisé, auteur du Mercure galant, prétend y avoir travaillé. A la reprise de cette co

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