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NOTICE HISTORIQUE

SUR LA VIE ET LES TRAVAUX

M. DAUNOU

DE M.

LUE DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES DU 27 MAI 1843.

Messieurs,

Vers la fin du dix-huitième siècle, lorsque les nouvelles doctrines philosophiques pénétraient partout; lorsque la société politique, loin de suivre docilement, comme autrefois, les directions religieuses, marchait avec confiance, sous la conduite de la raison émancipée, vers une révolution; lorsque les paisibles demeures de ces solitaires qui avaient renoncé aux douceurs de la famille et de l'indépendance pour se consacrer à Dieu, à l'étude et à la prière, ne semblaient plus que des établissements contraires à la nature et tout au moins

inutiles à l'État, un jeune homme d'un esprit vigoureux et d'une âme modérée était introduit dans un de ces asiles religieux qui allaient bientôt se fermer. Ce jeune homme était M. Daunou; cet asile religieux était l'Oratoire.

La vocation de cet enfant du siècle qui se condamnait à la vie du cloître dans un moment en apparence si inopportun, était donc bien impérieuse? Non, messieurs ; Pierre-Claude-François Daunou semblait réservé à une autre carrière. Né le 18 août 1761, à Boulognesur-Mer, de parents qui depuis trois générations exerçaient la chirurgie, il était destiné à cette profession héréditaire dans sa famille. Son père, reçu maître aux écoles de chirurgie de Paris, lui avait fait donner une instruction solide et étendue. Mais dès que le jeune Daunou eut terminé avec éclat chez les oratoriens ses études, commencées de bonne heure chez des cordeliers de Boulogne, il manifesta des goûts peu conformes aux desseins de son père. Il ne se sentait point attiré vers un art dont les premières études excitaient ses répugnances et qui exigeait autant de dextérité manuelle que d'intelligence. Les penchants de son esprit et l'instinct de son talent le portaient vers l'étude élevée du droit et vers l'exercice de cette libre parole qui allait devenir l'instrument irrésistible des besoins publics et la souveraine régulatrice de l'État. Il voulut donc entrer au barreau. Mais son père, qui était peu riche, ne le permit point. Celui-ci, dans sa prudence étroite, s'effrayait pour son fils, à peine âgé de seize ans, d'une profession dont les profits devaient se laisser trop longtemps attendre. Pendant que

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se débattait ainsi la destinée future du jeune Daunou, les oratoriens, qui voyaient avec peine leur échapper un élève capable d'ajouter à l'illustration de leur ordre, ne manquèrent pas d'intervenir entre le père et le fils et de terminer ce différend à leur propre avantage. Ils décidèrent Pierre Daunou à entrer dans leur congrégation. En effet, ne voulant pas être chirurgien et ne pouvant pas devenir avocat, il se fit moine. Le 17 novembre 1777, du gré et presque par l'ordre de son père, il s'affilia à l'institution de l'Oratoire.

Il était dans un âge bien irréfléchi pour prendre un parti aussi irrévocable et engager une volonté encore douteuse. Du moins l'engagea-t-il sous les lois de la corporation la plus éclairée et la plus libre, et en retour du sacrifice de ses goûts, trouva-t-il au milieu d'elle les plaisirs de l'étude et les consolations d'une assez grande indépendance. L'ordre religieux auquel il s'associa s'était formé des derniers en 1611, sous les auspices d'un ami de saint François de Sales et de saint Vincent de Paul, de ce pieux cardinal de Bérulle qui fut à cette époque le principal régénérateur de l'Église de France, à laquelle il communiqua la science forte et les vertus élevées dont l'éclat se répandit sur tout le grand siècle, de ce tendre et noble personnage qui, ayant les entrailles d'un apôtre et la générosité d'un philosophe chrétien, excella par la charité et l'intelligence, se consacra à la conquête des âmes et fut le promoteur de Descartes, comprenant ainsi dans le même amour ce que la religion inspire de plus parfait et ce que le génie humain tente de plus hardi. Il avait communiqué son esprit à la com

pagnie qu'il avait fondée. Produite par le mouvement même du protestantisme et destinée à le combattre, comme le faisait depuis trois quarts de siècle la société de Jésus, la congrégation de l'Oratoire n'avait pas la même organisation et ne marchait pas dans les mêmes voies. Tandis que la société de Jésus, constituée pour la conquête, avait aboli parmi ses membres les volontés particulières, et, les mettant tous à la disposition absolue d'un chef placé lui-même à côté du pontife romain et sous son commandement suprême, ne leur permettait de savoir, de penser, d'agir que pour l'accomplissement de leur dessein, dans l'intérêt de leur ordre et sous l'inspiration du saint-siége, la congrégation de l'Oratoire, réservée à la plus haute prédication et au plus solide enseignement, laissait à ses membres, dont elle n'exigeait aucun vou, l'usage entier de leur liberté, la culture propre de leur raison, et faisait d'eux la milice nationale des évêques. « Là, dit éloquemment Bossuet, << une sainte liberté fait un saint engagement: on obéit << sans dépendre, on gouverne sans commander. Toute « l'autorité est dans la douceur, et le respect s'entretient << sans le secours de la crainte. »

Aussi, loin d'opposer, comme les jésuites, l'esprit d'obéissance à l'esprit d'examen, les oratoriens se servirent de l'esprit d'examen lui-même dans l'intérêt du catholicisme. Ils rendirent au sacerdoce catholique dans le dix-septième siècle la grandeur qu'il avait perdue dans le seizième, et contribuèrent à former cet admirable clergé de France qui a tant honoré l'Église et l'esprit

humain.

Une fois placé sur les grandes pentes, on les suit jusqu'au bout. La compagnie de l'Oratoire, qui, dans l'ordre des choses religieuses, n'avait pas repoussé le droit d'examen, qui, dans l'ordre des choses intellectuelles, avait admis la méthode philosophique de Descartes, pencha bientôt, dans l'ordre des choses politiques, pour la liberté sociale. Lorsque la vaste compagnie fondée deux siècles auparavant sur la base de l'obéissance pour soutenir l'autorité, succombait sous le choc de l'indépendance universelle et par la main même du pape, les pères de l'Oratoire, fidèles à l'esprit généreux de leur institution, avaient accepté, pour la plupart, les nouvelles doctrines d'affranchissement politique et de charité civile.

C'est vers ce temps que M. Daunou entra parmi eux. Les mœurs et les habitudes de cette savante et honnête congrégation étaient en harmonie avec les goûts de son esprit et les penchants de son âme. Se lever de grand matin, avoir sa vie sagement réglée, beaucoup apprendre, libéralement enseigner, être en commerce plus assidu avec les idées qu'avec les hommes, convenait à ce jeune solitaire qui avait des besoins bornés, des sentiments graves, une activité sans turbulence quoique sans repos, nul dessein de commander, mais peu de disposition à obéir. Quinze années de sa jeunesse s'écoulèrent dans cette école austère et laborieuse. Après s'y être entièrement formé aux lettres et à la théologie, il devint professeur à son tour, et il enseigna successivement le latin dans le collége des oratoriens à Troyes, la logique à Soissons, la philosophie à Boulogne, et enfin

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