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dont l'excès de leurs fouffrances adoucit l'horreur fans la juftifier, ils enlevent un éléphant & quelques chevaux, dont ils croyoient pouvoir fe fervir pour rejoindre le reste de leurs compagnons; mais une riviere profonde les en féparoit. Plufieurs eurent le bonheur de gagner le rivage oppofé; d'autres fe noyerent, & la plupart attendirent la mort qu'ils favoient mériter.

Quelques Bramas échappés à la fureur des Portugais, portent dans leur camp la nouvelle du maffacre de leurs compagnons. Le général justement irrité donne ordre de faire main-baffe fur les Portugais, dont le crime fit foupçonner tous les Chrétiens d'en être les complices. Les vengeances auroient fuivi de près ces foupçons, fi le pilote Jeanchi n'eût agi pour diffiper la tempête. Il repréfenta au général que c'étoit l'infolence du foldat envers les femmes qui avoit mis les armes à la main des Portugais outragés; que les autres Chrétiens qui n'a

es

voient éprouvé que fes bienfaits,
le révéroient comme leur protec-
teur; & que les François fur-tout
paroiffoient déterminés à former
des établissemens dans fon gouver-

nement.

l'armée.

Ces représentations calmerent le gouverneur, qui, pour témoigner que fon reffentiment étoit appaifé, envoya à l'Evêque plufieurs mets de fa table, lui fit même donner dix paniers de riz de plus qu'à l'ordinaire, qui fervirent à faire fubfifter plufieurs femmes Portugaifes que leurs infirmités avoient empêché de fuivre l'armée. Le 6 Juin fut fixé pour Départ de le départ du refte de l'armée. Les Bramas, avant de s'embarquer, réduifirent en cendres la ville de Michoug, dont ils avoient jeté les premiers fondemens. On arriva le 16 Juin à l'endroit du débarquement, pour faire le refte du chemin par terre; & comme il falloit attendre les canons, on conftruifit des baraques avec les débris des navires devenus inutiles. Après huit

La marche

jours de repos, on fe mit en mouvement. L'Evêque, quoique malade, fut obligé de fuivre à cheval. Cette marche fut extrêmement pénible, dans un pays où l'on ne trouvoit ni maifons ni habitans. L'on avoit à franchir des montagnes couvertes d'épaiffes forêts, d'où l'on defcendoit dans des vallées fangeufes coupées d'étangs & de rivieres, qu'on étoit obligé de paffer & de repaffer, à caufe de leurs finuofités. Lorfque les eaux étoient baffes, on les traversoit à gué; & lorfqu'elles étoient trop profondes, on jetoit une espèce de pont formé de deux bambous, qui font des rofeaux, fur lefquels là vie étoit toujours en danger.

Les animaux épuifés de fatigues eft pénible. mouroient fur la route, & retardoient la marche par l'impuissance de porter les vivres & les bagages néceffaires à l'armée. Enfin l'on arriva à Tavail, où la famine caufa de nouvelles calamités. Un panier de riz, mefure ordinaire pour la

nourriture d'un homme pendant un mois, fe vendoit vingt-cinq à trente piaftres. On vit des Païens fe jeter fur des cadavres pour en faire leur pâture. L'Evêque fit préfent de fa bague pontificale à un Arménien, qui fe chargea généreusement de la fubfiftance des Chrétiens. Tout étoit dans la défolation, & l'on n'attendoit plus qu'une mort certaine, lorfqu'on vit paroître fur la riviere de Tavail un brigantin Anglois chargé de riz, & qui, quelques jours après, fut fuivi de deux autres beaucoup plus grands, chargés de la même denrée.

té d'un An

glois.

L'Evêque fe tranfporta à bord Générofide ce brigantin, & fut reçu par le capitaine Anglois avec toute la générofité naturelle à fa nation. Ce capitaine, nommé Riviere, l'invita à refter fur fon bord, & l'Evêque n'accepta cette offre qu'à condition qu'on y recevroit tous ceux de fa fuite, dont il vouloit partager & les biens & les maux.

revient en

Tant que le brigantin fut au port, ils n'éprouverent aucuns befoins, & le généreux Anglois fut tout prévoir & prévenir jufqu'au 26 Octobre qu'il remit à la voile.

L'Evêque François s'ennuyoit d'autant plus de fa captivité, que L'Evêque fon zèle y étoit infructueux. Il fe Europe. fervit d'un Néophite Malabar qui jouiffoit d'un grand credit auprès du gouverneur, & ce fut par fon entremife qu'il obtint la permiffion de s'embarquer pour la côte de Coromandel avec trois écoliers & un domeftique Chinois, fur un vaiffeau François appelé l'Hector. Les calmes qui régnent fur cette mer retarderent fa navigation. Ce fut à Pondicheri qu'il fut informé qu'un Roi Malaïs s'étoit rendu tributaire des Bramas, dans l'efpoir d'en obtenir le fecours qui lui étoit néceffaire pour fe maintenir dans la poffeffion de plufieurs places que le feu de la guerre avoit épargnées. Ce fut avec la plus grande fenfibilité qu'il apprit que cette terre

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