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Vespasien (1) on ne rend point dans un moment aux ordres de l'état le respect qui leur a été ôté si long-temps. Les armées ne regardèrent ces députés que comme les plus lâches esclaves d'un maître qu'elles avoient déjà réprouvé.

C'étoit une ancienne coutume des Romains, que celui qui triomphoit distribuoit quelques deniers à chaque soldat : c'étoit peu de chose (2). Dans les guerres civiles, on augmenta ces dons (3). On les faisoit autrefois de l'argent pris sur les ennemis : dans ces temps malheureux on donna celui des citoyens; et les soldats vouloient un partage là où il n'y avoit pas de butin. Ces distributions n'avoient lieu qu'après une guerre : Néron les fit pendant la paix. Les soldats s'y accoutumèrent; et ils frémirent contre Galba, qui leur disoit avec courage qu'il ne savoit pas les acheter, mais qu'il savoit les choisir.

Galba, Othon (4), Vitellius, ne firent que pas

(1) Tacite, Histoire, Livre 11, Chapitre LXXX.

(2) Voyez dans Tite-Live les sommes distribuées dans divers triomphes. L'esprit des capitaines étoit de porter beaucoup d'argent dans le trésor public, et d'en donner peu aux soldats.

(3) Paul Émile, dans un temps où la grandeur des conquêtes avoit fait augmenter les libéralités, ne distribua que cent deniers à chaque soldat: mais César en donna deux mille; et son exemple fut suivi par Antoine et Octave, par Brutus et Cassius. (Voyez Dion et Appien.)

(4) Suscepere duo manipulares imperium populi romani

TOME IV.

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ser. Vespasien fut élu, comme eux, par les soldats: il ne songea, dans tout le cours de son règne, qu'à rétablir l'empire, qui avoit été successivement occupé par six tyrans également cruels, presque tous furieux, souvent imbécilles, et, pour comble de malheur, prodigues jusqu'à la folie.

Tite, qui lui succéda, fut les délices du peuple romain. Domitien fit voir un nouveau monstre plus cruel, ou du moins plus implacable que ceux qui l'avoient précédé, parce qu'il étoit plus timide.

Ses affranchis les plus chers, et, à ce que quelques-uns ont dit, sa femme même, voyant qu'il étoit aussi dangereux dans ses amitiés que dans ses haines, et qu'il ne mettoit aucunes bornes à ses méfiances ni à ses accusations, s'en défirent. Avant de faire le coup, ils jetèrent les yeux sur un successeur, et choisirent Nerva, vénérable vieillard.

Nerva adopta Trajan, prince le plus accompli dont l'histoire ait jamais parlé. Ce fut un bonheur d'être né sous son règne; il n'y en eut point de si heureux ni de si glorieux pour le peuple romain. Grand homme d'état, grand capitaine, ayant un cœur bon qui le portoit au bien, un esprit éclairé qui lui montroit le meilleur, une âme noble, grande, belle; avec toutes les vertus, n'étant extrême sur aucune; enfin l'homme le plus propre à honorer la nature humaine, et représenter la divine.

transferendum, et transtulerunt. (Tacite, Histoire, Livre 1, Chapitre xxv.)

Il exécuta le projet de César, et fit avec succès la guerre aux Parthes. Tout autre auroit succombé dans une entreprise où les dangers étoient toujours présents et les ressources éloignées, où il falloit absolument vaincre, et où il n'étoit pas sûr de ne pas périr après avoir vaincu,

La difficulté consistoit, et dans la situation des deux empires, et dans la manière de faire la guerre des deux peuples. Prenoit-on le chemin de l'Arménie, vers les sources du Tigre et de l'Euphrate; on trouvoit un pays montueux et difficile, où l'on ne pouvoit mener de convois; de façon que l'armée étoit demi- ruinée avant d'arriver en Médie (1). Entroit-on plus bas, vers le midi, par Nisibe; on trouvoit un désert affreux qui séparoit les deux empires. Vouloit-on passer plus bas encore, et aller par la Mésopotamie; on traversoit un pays en partie inculte, en partie submergé; et, le Tigre et l'Euphrate allant du nord au midi, on ne pouvoit pénétrer dans le pays sans quitter ces fleuves, ni guère quitter ces fleuves sans périr.

Quant à la manière de faire la guerre des deux nations, la force des Romains consistoit dans leur infanterie, la plus forte, la plus ferme, et la mieux disciplinée du monde.

Les Parthes n'avoient point d'infanterie, mais

pas

(1) Le pays ne fournissoit d'assez grands arbres pour faire des machines pour assiéger les places. (Plutarque, Vie d'Antoine, tome vIII, page 375.)

une cavalerie admirable: ils combattoient de loin, et hors de la portée des armes romaines; le javelot pouvoit rarement les atteindre : leurs armes étoient l'arc et des flèches redoutables : ils assiégeoient une armée plutôt qu'ils ne la combattoient : inutilement poursuivis, parce que chez eux fuir c'étoit combattre, ils faisoient retirer les peuples à mesure qu'on approchoit, et ne laissoient dans les places que les garnisons; et, lorsqu'on les avoit prises, on étoit obligé de les détruire; ils brûloient avec art tout le pays autour de l'armée ennemie, et lui ôtoient jusques à l'herbe même; enfin ils faisoient à peu près la guerre comme on la fait encore aujourd'hui sur les mèmes frontières.

D'ailleurs les légions d'Illyrie et de Germanie qu'on transportoit dans cette guerre n'y étoient pas propres (1) les soldats, accoutumés à manger beaucoup dans leur pays, y périssoient presque tous.

Ainsi, ce qu'aucune nation n'avoit pas encore fait, d'éviter le joug des Romains, celle des Parthes le fit, non pas comme invincible, mais comme inaccessible.

Adrien abandonna les conquêtes de Trajan (2), et borna l'empire à l'Euphrate; et il est admirable qu'après tant de guerres les Romains n'eussent perdu que ce qu'ils avoient voulu quitter, comme

(1) Voyez Hérodien, Vie d'Alexandre.

(2) Voyez Eutrope. La Dacie ne fut abandonnée que sous

Aurélien.

la mer, qui n'est moins étendue que lorsqu'elle se retire d'elle-même.

La conduite d'Adrien causa beaucoup de murmures. On lisoit dans les livres sacrés des Romains que lorsque Tarquin voulut bâtir le Capitole, il trouva que la place la plus convenable étoit occupée par les statues de beaucoup d'autres divinités : il s'enquit, par la science qu'il avoit dans les augures, si elles voudroient céder leur place à Jupiter: toutes y consentirent, à la réserve de Mars, de la Jeunesse, et du dieu Terme (1). Là-dessus s'établirent trois opinions religieuses que le peuple de Mars ne céderoit à personne le lieu qu'il occupoit; que la jeunesse romaine ne seroit point surmontée; et qu'enfin le dieu Terme des Romains ne reculeroit jamais ce qui arriva pourtant sous Adrien.

CHAPITRE XVI.

De l'état de l'empire depuis Antonin jusqu'à

Probus.

DANS ces temps-là, la secte des stoïciens s'étendoit et s'accréditoit dans l'empire. Il sembloit que la nature humaine eût fait un effort pour produire d'elle-même cette secte admirable, qui étoit comme ces plantes que la terre fait naître dans des lieux que le ciel n'a jamais vus.

(1) Saint Augustin, de la Cité de Dieu, Livre vi, Chapitres xx et xxix.

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