Images de page
PDF
ePub

les Avares, quand il auroit fallu arrêter les Perses, furent encore forcés de se soumettre à un tribut; et la majesté de l'empire fut flétrie chez toutes les nations.

Justin, Tibère et Maurice, travaillèrent avec soin à défendre l'empire. Ce dernier avoit des vertus; mais elles étoient ternies par une avarice presque inconcevable dans un grand prince.

Le roi des Avares offrit à Maurice de lui rendre les prisonniers qu'il avoit faits, moyennant une demi-pièce d'argent par tête; sur son refus, il les fit égorger. L'armée romaine, indignée, se révolta; et les verts s'étant soulevés en même temps, un centenier, nommé Phocas, fut élevé à l'empire, et fit tuer Maurice et ses enfants.

L'histoire de l'empire grec, c'est ainsi que nous nommerons dorénavant l'empire romain, n'est plus qu'un tissu de révoltes, de séditions et de perfidies. Les sujets n'avoient pas seulement l'idée de la fidé

lité

que l'on doit aux princes: et la succession des empereurs fut si interrompue, que le titre de porphyrogénète, c'est-à-dire né dans l'appartement où accouchoient les impératrices, fut un titre distinctif que peu de princes des diverses familles impériales purent porter.

:

Toutes les voies furent bonnes pour parvenir à l'empire on y alla par les soldats, par le clergé, par le sénat, par les paysans, par le peuple de Constantinople, par celui des autres villes.

La religion chrétienne étant devenue dominante

dans l'empire, il s'éleva successivement plusieurs hérésies qu'il fallut condamner. Arius ayant nié la divinité du Verbe; les Macédoniens, celle du SaintEsprit; Nestorius, l'unité de la personne de JésusChrist; Eutichès, ses deux natures; les monothélites, ses deux volontés; il fallut assembler des conciles contre eux : mais les décisions n'en ayant pas été d'abord universellement reçues, plusieurs empereurs séduits revinrent aux erreurs condamnées. Et, comme il n'y a jamais eu de nation qui ait porté une haine si violente aux hérétiques que les Grecs, qui se croyoient souillés lorsqu'ils parloient à un hérétique, ou habitoient avec lui, il arriva que plusieurs empereurs perdirent l'affection de leurs sujets; et les peuples s'accoutumèrent à penser que des princes si souvent rebelles à Dieu n'avoient pu être choisis la Providence pour les gouverner.

par

Une certaine opinion, prise de cette idée qu'il ne falloit pas répandre le sang des chrétiens, laquelle s'établit de plus en plus lorsque les mahométans eurent paru, fit que les crimes qui n'intéressoient pas directement la religion furent foiblement punis: on se contenta de crever les yeux, ou de couper le nez et les cheveux, ou de mutiler de quelque manière ceux qui avoient excité quelque révolte, ou attenté à la personne du prince (1): des actions pa

(1) Zénon contribua beaucoup à établir ce relâchement. (Voyez Malchus, Histoire byzantine, dans l'Extrait des ambassades. )

reilles

purent se commetttre sans danger, et même sans courage.

Un certain respect pour les ornements impériaux fit que l'on jeta d'abord les yeux sur ceux qui osèrent s'en revêtir. C'étoit un crime de porter ou d'avoir chez soi des étoffes de pourpre; mais, dès qu'un homme s'en vêtoit, il étoit d'abord suivi, parce que le respect étoit plus attaché à l'habit qu'à la

personne.

L'ambition étoit encore irritée par l'étrange manie de ces temps-là, n'y ayant guère d'homme considérable qui n'eût par devers lui quelque prédiction qui lui promettoit l'empire.

Comme les maladies de l'esprit ne se guérissent guère (1), l'astrologie judiciaire et l'art de prédire par les objets vus dans l'eau d'un bassin avoient succédé, chez les chrétiens, aux divinations par les entrailles des victimes, ou le vol des oiseaux, abolies avec le paganisme. Des promesses vaines furent le motif de la plupart des entreprises téméraires des particuliers, comme elles devinrent la sagesse du conseil des princes.

Les malheurs de l'empire croissant tous les jours, on fut naturellement porté à attribuer les mauvais succès dans la guerre, et les traités honteux dans la paix, à la mauvaise conduite de ceux qui gou

vernoient.

Les révolutions mêmes firent les révolutions, et

(1) Voyez Nicétas, Vie d'Andronic Comnène,

l'effet devint lui-même la cause. Comme les Grecs avoient vu passer successivement tant de diverses familles sur le trône, ils n'étoient attachés à aucune; et la fortune ayant pris des empereurs dans toutes les conditions, il n'y avoit pas de naissance assez basse, ni de mérite si mince, qui pût ôter l'espérance.

Plusieurs exemples reçus dans la nation en formèrent l'esprit général, et firent les mœurs, qui règnent aussi impérieusement que les lois.

Il semble que les grandes entreprises soient parmi nous plus difficiles à mener que chez les anciens. On ne peut guère les cacher, parce que la communication est telle aujourd'hui entre les nations, que chaque prince a des ministres dans toutes les cours, et peut avoir des traîtres dans tous les cabinets.

L'invention des postes fait que les nouvelles volent et arrivent de toutes parts.

Comme les grandes entreprises ne peuvent se faire sans argent, et que depuis l'invention des lettres de change les négociants en sont les maîtres, leurs affaires sont très-souvent liées avec les secrets de l'état; et ils ne négligent rien pour les pénétrer.

Des variations dans le change, sans une cause connue, font que bien des gens la cherchent, et la trouvent à la fin.

L'invention de l'imprimerie, qui a mis les livres dans les mains de tout le monde; celle de la gravure, qui a rendu les cartes géographiques si communes; enfin l'établissement des papiers politiques, font assez connoître à chacun les intérêts généraux

pour pouvoir plus aisément être éclairci sur les faits

secrets.

Les conspirations dans l'état sont devenues difficiles, parce que, depuis l'invention des postes, tous les secrets particuliers sont dans le pouvoir du public.

Les princes peuvent agir avec promptitude, parce qu'ils ont les forces de l'état dans leurs mains; les conspirateurs sont obligés d'agir lentement, parce que tout leur manque mais, à présent que tout s'éclaircit avec plus de facilité et de promptitude, pour peu que ceux-ci perdent de temps à s'arranger, ils sont découverts.

CHAPITRE XXII.

Foiblesse de l'empire d'Orient.

PHOCAS, dans la confusion des choses, étant mal affermi, Héraclius vint d'Afrique, et le fit mourir : il trouva les provinces envahies, et les légions détruites.

A peine avoit-il donné quelque remède à ces maux, que les Arabes sortirent de leur pays, pour étendre la religion et l'empire que Mahomet avoit fondés

d'une même main.

Jamais on ne vit des progrès si rapides : ils conquirent d'abord la Syrie, la Palestine, l'Égypte, l'Afrique, et envahirent la Perse.

Dieu permit que sa religion cessât en tant de lieux d'être dominante, non pas qu'il l'eût aban

TOME IV.

13

« PrécédentContinuer »