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Qu'en un lieu, qu'en un jour, un feul fait accompli,
Tienne jufqu'à la fin le Théâtre rempii.
Jamais au fpectateur n'offrez rien d'incroyable.
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
Une merveille abfurde eft pour moi fans appas.
L'efprit n'eft point émû de ce qu'il ne croit pas.
Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expofe.
Les yeux en le voyant faifiroient mieux la chofe :
Mais il eft des objets que l'art judicieux

Doit offrir à l'oreille, & reculer des yeux.
Que le trouble toujours croiffant de fcene en fcene a
A fon comble arrivé fe débrouille fans peine.
L'efprit ne fe fent point plus vivement frappé,
Que lorsqu'en un fujet d'intrigue enveloppé,
D'un fecret tout-à-coup la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face imprévûe.

Bien-tôt l'Amour, fertile en tendres fentimens,
S'empara du Théâtre, ainfi que des Romans,
De cette paffion la fenfible peinture,

Eft pour aller au cœur la route la plus sûre.
Peignez donc, j'y confens, les Héros amoureux.
Mais ne m'en formez pas des Bergers doucereux.
Qu'Achille aime autrement que Tyrcis & Philéne
N'allez pas d'un Cirus nous faire un Artaméne;
Et que l'amour fouvent de remords combattu
Paroifle une foibleffe & non une vertu.
Des Héros de Roman fuyez les petiteffes :
Toutefois aux grands cœurs donnez quelques foibleffess
Achille déplairoit moins bouillant & moins promt.
J'aime à lui voir verfer des pleurs pour un affront.
A ces petits défauts marqués dans fa peinture,
L'efprit avec plaifir reconnoît la nature.
Qu'il foit fur ce modéle en vos Ecrits tracé.
Qu'Agamemnon foit fier, fuperbe, intéreté.
Que pour les Dieux Enée ait un refpe&t auftére.
Confervez à chacun fon propre caractére.
Des fiécles, des pays, étudiez les mœurs,

Les climats font fouvent les diverfes humeurs.
Gardez-vous de donner ainsi que dans Clélie
L'air, ni l'efprit François, à l'antique Italie ;
Et fous des noms Romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant, & Brutus Dameret.
Dans un Roman frivole aifément tout s'excufe.
C'eft affez qu'en courant la fiction amuse.
Trop de rigueur alors feroit hors de faifon :
Mais la fcene demande une exacte raifon.
L'étroite bienféance veut être gardée.
D'un nouveau perfonnage inventez-vous l'idée ?
Qu'en tout avec foi-même il fe montre d'accord;
Et qu'il foit jufqu'au bout tel qu'on l'a vu d'abord.
Souvent, fans y penfer un Ecrivain qui s'aime,
Forme tous fes Héros femblables à foi-même.

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Que devant Troye en flamme Hécube défolée,
Ne vienne pas pouffer une plainte empoulée,
Ni fans raifon décrire en quels affreux pays,
Par fept bouches l'Euxin reçoit le Tanais.
Tous ces pompeux amas d'expreffions frivoles,
Sont d'un déclamateur, amoureux de paroles.
Il faut dans la douleur que vous vous abaiffiez.
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Ces grands mots, dont alors l'Acteur emplit fa bouche
Ne partent point d'un cœur que fa mifére touche.
Le Théâtre, fertile en Cenfeurs pointilleux,
Chez nous pour le produire eft un champ périlleux.
Un Auteur n'y fait pas de faciles conquêtes,
Il trouve à le fiffler des bouches toujours prêtes.
Chacun peut le traiter de fat & d'ignorant.
C'est un droit qu'à la porte on achette en entrant.
Il faut, qu'en cent façons, pour plaire il fe replie:
Que tantôt il s'éléve & tantôt s'humilie:

Qu'en nobles fentimens il foit par-tout fécond:
Qu'il foit aifé, folide, agréable, profond:
Que de traits furprenans fans ceffe il nous réveille:

Qu'il coure dans fes vers de merveille en merveille:

Et que tout ce qu'il dit facile à retenir,
De fon Ouvrage en nous laiffe un long fouvenir.
Defpréaux, Art Poët. ch. III.

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LOIX DU COMIQUE.

UE la nature donc foit votre étude unique; Auteurs, qui prétendez aux honneurs du Comique. Quiconque voit bien l'homme, & d'un efprit profond, De tant de cœurs cachés à pénétré le fond: Qui fait bien ce que c'eft qu'un prodigue, un avare, Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bifarre Sur une scene heureufe il peut les étaler, Et les faire à nos yeux vivre, agir, & parler, Préfentez-en par-tout les images naives: Que chacun

y foit peint des couleurs les plus vives. La nature féconde en bifarres portraits, Dans chaque ame eft marquée à de différens traits, Un gefte la découvre, un rien la fait paroître, Mais tout efprit n'a pas des yeux pour la connoître.

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Ne faites point parler vos Acteurs au hasard, Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.

Etudiez la Cour & connoiffez la Ville.

L'un & l'autre eft toujours en modéles fertile.
C'eft par-là que Moliére illuftrant fes Ecrits,
Peut-être de fon Art eût remporté le prix;
Si moins ami du peuple en fes doctes peintures,
Il n'eût point fait fouvent grimacer fes figures;
Quitté, pour le bouffon, l'agréable & le fin,
Et fans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce fac ridicule où Scapin s'enveloppe,
Je ne reconnois plus l'Auteur du Mifantrope.
Le Comique, ennemi des foupirs & des pleurs

N'admet point en fes vers de tragiques douleurs:
Mais fon emploi n'eft pas d'aller dans une Place
De mots fales & bas charmer la populace.
Il faut que fes Acteurs badinent noblement:
Que fon nœud bien formé se dénoue aifément ;
Que l'action, marchant où la raison la guide,
Ne fe perde jamais dans une fcene vuide;
Que fon ftyle humble & doux fe relève à propos
Que fes difcours par-tout fertiles en bons mots,
Soient pleins de paffions finement maniées ;
Et les fcenes toujours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon fens gardez de plaifanter.
Jamais de la nature il ne faut s'écarter.

Contemplez de quel air un pere dans Térence,
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence:
De quel air cet Amant écoute fes leçons,
Et court chez fa Maîtreffe oublier ces chanfons.
Ce n'eft pas un portrait, une image femblable,
C'eft un amant un fils, un pere véritable.

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Defpréaux, Art Poët. ch. III.

*LOIX DE ROME.

PAULIN à TITU S.

ROME, par une loi, qui ne se peut changer;

N'admet avec fon fang aucun fang étranger;
Et ne reconnoît point les fruits illégitimes,
Qui naiffent d'un hymen contraire à fes maximes.
D'ailleurs, vous le favez, en banniffant fes Rois.
Rome, à ce nom fi noble, & fi faint autrefois,
Attacha, pour jamais, une haine puissante;
Et, quoiqu'à fes Céfars fidéle, obéiffante "

* Elles défendoient aux Empereurs l'alliance avec des

Reines.

Cette haine, Seigneur, refte de fa fierté,
Survit dans tous les cœurs après la liberté.
Jules, qui le premier la foumit à fes armes,
Qui fit taire les loix dans le bruit des allarmes
Brula pour Cléopatre ; &, fans fe déclarer,
Seule dans l'Orient la laiffa foupirer.
Antoine, qui l'aima jufqu'à l'idolâtrie
Oublia dans fon fein fa gloire & fa patrie,
Sans ofer toutefois fe nommer fon époux.
Rome l'alla chercher jufques à fes genoux;
Et ne défarma point fa fureur vengereffe,
Qu'elle n'eût accablé l'Amant & la Maîtreffe.
Depuis ce tems, Seigneur, Caligula, Néron,
Monftres, dont à regret je cite ici le nom;
Et qui ne confervant que la figure d'homme
Foulérent à leurs pieds toutes les loix de Rome,
Ont craint cette loi feule, & n'ont point à nos yeux,
Allumé le flambeau d'un hymen odieux..

Vous m'avez commandé fur-tout d'être fincere.
De l'affranchi Pallas nous avons vû le frere,
Des fers de Claudius, Félix encor flétri,
De deux Reines, Seigneur, devenir le mari;
Et s'il faut jufqu'au bout que je vous obéiffe,
Ces deux Reines étoient du fang de Bérénice.
Et vous croiriez pouvoir fans bleffer nos regards;
Faire entrer une Reine au lit de nos Céfars
Tandis que l'Orient dans le lit de fes Reines
Voit pafler un efclave au fortir de nos chaînes ?
Ratine, Bérén. act. 11. fc. II.

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LONDRES.

RIVALE d'Athéne! ô Londre heureufe terre, Ainfi que des tyrans vous avez sû chaffer'

Les préjugés honteux qui vous livroient la guerre. C'eft-là qu'on fait tout dire & tout récompenfer ;

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