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Tremblante pour un fils que je n'ofois trahir,
Je te venois prier de ne le point hair.

Foibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime!
Hélas! je ne t'ai pû parler que de toi-même.
Venge-toi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du Héros qui t'a donné le jour.
Délivre l'univers d'un monftre qui t'irrite.
La veuve de Théfée ofe aimer Hippolyte ?
Crois-moi ce monftre affreux ne doit point t'échapper.
Voilà mon cœur. C'eft-là que ta main doit frapper.
Impatient déja d'expier fon offense,

Au devant de ton bras je le fens qui s'avance.
Frappe. Ou fi tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m'envie un fupplice fi doux,
Ou fi d'un fang trop vil ta main feroit trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée.

Racine, Phédr. act. II. fc. V.

PHE'DRE à HIPPOLYTE.

ON ne voit point deux fois le rivage des morts, Seigneur. Puifque Thefée a vû les fombres bords, En vain vous espérez qu'un Dieu vous le renvoie; Et l'avare Acheron ne lâche point fa proie.

Que dis-je ? il n'eft point mort, puifqu'il refpire en vous Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux; Je le vois, je lui parle, & mon cœur.... Je m'égare, Seigneur, ma folle ardeur, malgré moi se déclare.

HIPPOLYT E.

Je vois de votre amour l'effet prodigieux.
Tout mort qu'il eft, Thefée eft préfent à vos yeux
Toujours de fon amour votre ame eft embrasée.

PHEDR E.

Oui, Prince, je languis, je brule pour Thefée,
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,

Qui va du Dieu des morts deshonorer la couche;
Mais fidéle, mais fier, & même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après foi,
Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous voi,
Il avoit votre port, vos yeux, votre langage,
Cette noble pudeur coloroit fon vifage,
Lorfque de notre Crete il traverfa les flots,
Digne fujet des vœux des filles de Minos.
Que faifiez-vous alors pourquoi fans Hippolyte
Des Héros de la Grece affembla-t-il l'élite?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaiffeau qui le mit fur nos bords?
Par vous auroit péri le monftre de la Crete,
Malgré tous les détours de fa vafte retraite.
Pour en développer l'embarras incertain,
Ma fœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non, dans ce deffein je l'aurois devancée.
L'Amour m'en cût d'abord infpiré la penfée.
C'eft moi, Prince, c'eft moi dont l'utile fecours
Vous eût du labyrinthe enfeigné les détours.
Que de foins m'eût coûté cette tête charmante !
Un fil n'eût point affez raffuré votre amante.
Compagne du péril qu'il vous falloit chercher,
Moi-même devant vous j'aurois voulu marcher;
Et Phédre au labyrinthe avec vous defcendue,
Se feroit avec vous retrouvée, ou perdue.

Racine, Phédr. act. II. fc. v.

ZAIRE à FATIM E.

DE toute ma foibleffe il faut que je convienne, Peut-être fans l'amour, j'aurois été Chrétienne, Peut-être qu'à ta loi j'aurois facrifié ;

Mais Orofmane m'aime, & j'ai tout oublié. Je ne vois qu'Orofmane, & mon ame enivrée Se remplit du bonheur de s'en voir adorée. Mets-toi devant les yeux fa grace, fes exploits Songe à ce bras puiffant vainqueur de tant de Rois, A cet aimable front que la gloire environne. Je ne te parle point du fceptre qu'il me donné; Non. La reconnoiffance eft un foible retour, Un tribut offenfant trop peu fait pour l'amour. Mon cœur aime Orofmane & non fon diadême, Chére Fatime, en lui je n'aime que lui-même. Peut-être j'en crois trop un penchant fi flatteur; Mais fi le ciel fur lui déployant fa rigueur. Aux fers que j'ai portés eût condamné fa vie; Si le ciel fous mes loix eût rangé la Syrie, "Ou mon amour me trompe, ou Zaïre aujourd'hui, pour l'élever à foi defcendroit jusqu'à lui.

Voltaire, Zair. act. I. fc. I.

PASSIONS.

JO CAST E.

QUOIQUE faffe un grand cœur où la vertu domine,

On ne fe cache point ces fecrets mouvemens,
De la nature en nous indomptables enfans:
Dans les replis de l'ame ils viennent nous furprendre;
Ces feux qu'on croit éteints renaiffent de leur cendre,

Et la vertu févére en de fi durs combats,
Réfilte aux paffions & ne les détruit pas.

Voltaire, Edip, act. 11.

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fc. II.

OUI, pour nous élever aux grandes actions,
Dieu nous a par bonté donné les paffions.

Tout dangereux qu'il eft, c'eft un préfent célefte;
L'ufage en eft heureux, fi l'abus eft funefte.
J'admire & ne plains point un cœur maître de foi,
Qui tenant fes défirs enchaînés fous fa loi,
S'arrache au genre humain pour Dieu qui nous fit naître ;
Se plaît à l'éviter plutôt qu'à le connoître ;
Et brulant pour fon Dieu d'un amour dévorant,
Fuit les plaifirs permis par un plaifir plus grand.
Mais que fier de fes croix, vain de fes abftinences;
Et fur-tout en fecret laffé de fes fouffrances,
11 condamne dans nous tout ce qu'il a quitté,
L'hymen, le nom d pere, & la fociété ;
On voit de cet orgueil la vanité profonde;
C'eft moins l'ami de Dieu que l'ennemi du monde;
On lit dans fes chagrins le regret des plaifirs.
Le ciel lui fit un cœur, il lui faut des défirs.
Des toïques nouveaux le ridicule maître
Prétend in'ôter à moi, me priver de mon être.
Dieu, fi nous l'en croyons, feroit fervi par nous,
Ainfi qu'en fon férail un Mufulman jaloux,
Qui n'admet près de lui que ces monftres d'Afie
Que le fer a privés des fources de la vie.
Vous qui vous élevez contre l'humanité
N'avez-vous lû jamais la docte antiquité?
Ne connoiffez-vous point les filles de Pélie ?
Dans leur aveuglement voyez votre folie.
Elles croyoient dompter la nature & le tems,
Et rendre leur vieux pere à la fleur de fes ans.
Leurs mains par piété dans fon fang fe plongérent
Croyant le rajeunir, fes filles l'égorgérent

Voilà votre portrait ftoïques abusés,

Vous voulez changer l'homme, & vous le détruisez.
Ufez; n'abusez point. Le Sage ainfi l'ordonne.
Je fuis également Epictete & Petrone.

L'abftinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux.
Je ne conclus donc pas, Orateur dangereux,
Qu'il faut lâcher la bride aux paffions humaines.
De ce courfier fougueux je veux tenir les rênes ;
Je veux que ce torrent par un heureux fecours,
Sans inonder nos champs, les abreuve en fon cours.
Vents épurez les airs, & foufflez fans tempêtes;
Soleil, fans nous bruler, marche & lui fur nos têtes.
Voltaire, Difc. V. fur la nature du plaifir.

J

PATRI E.

SURA à CETHEGUS.

E crains, je l'avouerai, cat efprit du Sénat,
Ces préjugés facrés de l'amour, de l'état,
Cet antique refpe&t & cette idolâtrie,

Que réveille en tous tems l'amour de la patrie.

CETHEGUS.

La patrie eft un nom fans force & fans effet.
On le prononce encor, mais il n'a plus d'objet,
Ce fanatifme ufé des fiécles héroïques,

Se conferve, il eft vrai, dans dés ames ftoïques,
Le refte eft fans vigueur, on fait des vœux pour nous',,
Ciceron respecté n'a fait que des jaloux

Caton eft fans crédit, Céfar nous favorife,
Défendons nous ici, Rome sera soumise.

Voltaire, Rome sauv. act. I v. Sc. Fa

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