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Et montrer avec pompe au refte des humains,
En ma propre grandeur l'ouvrage de vos mains?
Corneille, Agefilas, act. III. fc. I.

DE queique défefpoir qu'une ame foit atteinte,
La douleur est toujours moins forte que la plainte,
Toujours un peu de fafte entre parmi les pleurs.

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LA voilà donc,* Girot, cette hydre épouvantable,
Que m'a fait voir un fonge, hélas! trop véritable.
Je le vois ce dragon tout prêt à m'égorger,
Ce pupitre fatal qui me doit ombrager.

Prélat, que t'ais-je fait ? quelle rage envieufe
Rend pour me tourmenter ton ame ingénieuse ?
Quoi même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta profane fureur ne se repose pas ?

O ciel! quoi? fur mon banc une honteufe maffe,
Déformais me va faire un cachot de ma place?
Inconnu dans l'Eglife, ignoré dans ce lieu, ì
Je ne pourrai donc plus être vû que de Dieu ?
Ah! plutôt qu'un moment cet affront m'obscurciffe,
Renonçons à l'Autel, abandonnons l'Office;
Et fans laffer le ciel par des chants fuperflus,
Ne voyons plus un chœur où l'on ne nous voit plus.
Sortons. Mais cependant mon ennemi tranquille,
Jouira fur fon banc de ma rage inutile;

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Et verra dans le chœur le pupitre exhauffé,
Tourner fur le pivot où fa main l'a placé.
Non, s'il n'eft abattu, je ne faurois plus vivre ;
A moi, Girot, je veux que mon bras m'en délivre.

* Valet-de-chambre du Chantrew

Périffons, s'il le faut : mais de fes ais brifés
Entraînons en mourant les reftes divifés.

Defpréaux, Lutr. ch. I V.

PLAINTE à L'AMOUR.

AMOUR,que t'ais-je fait? dis-moi quel eft mon crime?

D'où vient que je te fers tous les jours de victime ?
Qui t'oblige à m'offrir encor de nouveaux fers?
N'es-tu point fatisfait des maux que j'ai foufferts ?
Confidére, cruel, quel nombre d'inhumaines
Se vante de m'avoir appris toutes tes peines ;
Car quand à tes plaifirs, on ne m'a jufqu'ici
Fait connoître que ceux qui font peines auffi.
J'aimai, je fus heureux; tu me fus favorable
En un âge où j'étois de tes dons incapable.

La Fontaine, uvr. diverf.

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PLAINTES.

AMAN à ZARE'S.

DOULEUR! ô fupplice affreux à la pensée! O honte qui jamais ne peut être effacée !t Un execrable Juif, l'opprobre des humains, S'eft donc vû de la pourpre habillé par mes mains? C'eft peu qu'il ait fur moi remporté la victoire; Malheureux, j'ai fervi de Héraut à fa gloire. Le traître il infultoit à ma confufion. Et tout le peuple même avec dérifion Obfervant la rougeur qui couvroit mon visage,

* Mardochée.

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De ma chûte certaine en tiroit le préfage.
Roi cruel! ce font-là les jeux où tu te plais.
Tu ne m'as prodigué tes perfides bienfaits,
Que pour me faire mieux fentir ta tyrannie,
Et m'accabler enfin de plus d'ignominie.

Racine, Efth. að. 111. fc. I.

PLAINTES CHRETIENNES.

MON Dieu, quelle guerre cruelle ?

Je trouve deux hommes en moi.
L'un veut que plein d'amour pour toi,
Mon cœur te foit toujours fidéle.
L'autre à tes volontés rebelle
Ma révolte contre ta loi.

L'un tout efprit & tout célefte,
Veut qu'au ciel fans ceffe attaché;
Et des biens éternels touché
Je compte pour rien tout le refte.
Et l'autre par fon poids funefte
Me tient vers la terre panché.

Hélas! en guerre avec moi-même
Où pourrai-je trouver la paix ?

Je veux, & n'accomplis jamais.

Je veux. Mais ô mifére extrême !
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

O grace, Ô rayon falutaire,

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Viens me mettre avec moi d'accord!

*Affuérus.

Et domtant par un doux effort
Cet homme qui t'eft fi contraire,
Fais ton efclave volontaire

De cet efclave de la mort.

Racine, Cantiq. Spirit."

V

PLAINTES COURAGE USES.

MARIAM NE.

OILA donc, jufte Dieu, quelle eft ma destinée! La fplendeur de mon fang, la pourpre où je fuis née, Enfin ce qui fembloit promettre à mes beaux jours, D'un bonheur affuré l'inaltérable cours;

Tout cela n'a donc fait que verfer fur ma vie
Le funefte poifon dont elle fut remplie.
O naiflance! ô jeuneffe! & toi, trifte beauté,
Dont l'éclat dangereux enfla ma vanité,
Flatteufe illufion dont je fus occupée,

Vaine ombre de bonheur, que vous m'avez trompée!
Sous ce Trône coupable un éternel ennui,

M'a creufé le tombeau que l'on m'ouvre aujourd'hui.
Dans les eaux du Jourdain j'ai vû périr mon frere,
Mon époux à mes yeux a maffacré mon pere;
Par ce cruel époux condamnée à périr,
Ma vertu me reftoit; on ofe la flétrir.

Grand Dieu! dont les rigueurs éprouvent l'innocence,
Je ne demande point ton aide ou ta vengeance.
J'appris de mes ayeux, que je fais imiter

A voir la mort fans crainte & fans la mériter.
Je t'offre tout mon fang. Défens au moins ma gloire.
Commande à mes tyrans d'épargner ma mémoire,
Que le menfonge impur n'ofe plus m'outrager;
Honorer la vertu c'eft affez la venger.

Voltaire, Mariamn, act. V. fc. I.

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JE

PLAISIRS.

E fuis homme, & d'un Dieu je chéris la clémence,
Mortels venez à lui, mais par reconnoiffance.
La nature attentive à remplir vos défirs,
Vous appelle à ce Dieu par la voix des plaifirs.
Nul encor n'a chanté fa bonté toute entiére;
Par le feul mouvement il conduit la matiére;
Mais c'est par le plaifir qu'il conduit les humains.
Sentez du moins les dons prodigués par fes mains.
Tout mortel au plaifir a dû fon existence;
Par lui le corps agit, le cœur fent, l'efprit penfe,
Soit que du doux fommeil la main ferme vos yeux,
Soit que le jour pour vous vienne embellir les cieux,
Soit que vos fens Alétris cherchant leur nourriture,
L'aiguillon de la faim preffe en vous la nature

Ou que l'amour vous force en des momens plus doux,
A produire un autre être, à revivre après vous.
Par tout d'un Dieu clément la bonté falutaire,
Attache à vos befoins un plaifir néceffaire.
Les mortels, en un mot, n'ont point d'autre moteur.
Sans l'attrait du plaifir, fans ce charme vainqueur,
Qui des loix de l'hymen eût fubi l'esclavage?
Quelle beauté jamais auroit eu le courage
De porter un enfant dans fon fein renfermé,
Qui déchire en naiffant les flancs qui l'ont formé,
De conduire avec crainte une enfance imbécille,
Et d'un âge fougueux l'imprudence indocile ?
Ah! dans tous vos états, en tout tems, en tout lieu,
Mortels à vos plaifirs reconnoiffez un Dieu.

Voltaire, Difc. V. fur la nature du plaifir.

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