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PLAISIRS DE LA SOLITUDE.

SOLITUDE

OLITUDE où je trouve une douceur fecrette, Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais, Loin du monde & du bruit goûter l'ombre & le frais? O qui m'arrêtera fous vos fombres afyles!

Quand pourront les neuf Sœurs, loin des Cours & des
Villes,

M'occuper tout entier, & m'apprendre des cieux
Les divers mouvemens inconnus à nos yeux,
Les noms & les vertus de ces clartés errantes,
Par qui font nos deftins & nos mœurs différentes ?
Que fi je ne fuis né pour de fi grands projets,
Du moins que les ruiffeaux m'offrent de doux objets!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie!
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie ;
Je ne dormirai point fous les riches lambris:
Mais voit-on que le fomme en perde de fon prix !
En eft-il moins profond, & moins plein de délices?
Je lui voue au défert de nouveaux facrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts
J'aurai vécu fans foins, & mourrai fans remords.
La Fontaine, Fables.

POEME EPIQUE

L

A Poësie Epique

Dans le vafte récit d'une longue action,..
Se foutient par la Fable, & vit de fiction.
Là pour nous enchanter tout eft mis en ufage.
Tout prend un corps, une ame, un efprit, un vifage.
Chaque vertu devient une Divinité.

Minerve eft la Prudence, & Venus la Beauté.

Ce n'eft plus la vapeur qui produit le tonnerre;
C'eft Jupiter armé pour effrayer la terre.
Un orage terrible aux yeux des matelots,
C'eft Neptune en courroux, qui gourmande les flots.
Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentiffe:
C'eft une Nymphe en pleurs qui fe plaint de Narcisse,
Ainfi dans cet amas de nobles fictions,

Le Poëte s'égaye en mille inventions

Orne, éleve, embellit, aggrandit toutes chofes,
Et trouve fous fa main des fleurs toujours éclofes.
Qu'Enée & ses vaiffeaux, par le vent écartés,
Soient aux bords Afriquains d'un orage emportés ;
Ce n'est qu'une avanture ordinaire & commune;
Qu'un coup peu furprenant des traits de la fortune.
Mais que Junon conftante en fon averfion,
Poursuive fur les flots les reftes d'Ilion :
Qu'Eole en fa faveur les chafsant d'Italie,
Ouvre aux vents mutinés les prifons d'Eolie:
Que Neptune en courroux s'élevant fur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Délivre les vaiffeaux, des Syrtes les arrache
C'eft-là ce qui surprend, frappe, faifit, attache.
Sans tous ces ornemens le vers tombe en langueur.
La Poëfie eft morte, ou rampe fans vigueur:
Le Poëte n'eft plus qu'un Orateur timide,
Qu'un froid Hiftorien d'une Fable infipide.

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Defpreaux, Art Poët. ch. III.

O COMBIE

РОЕТЕ.

COMBIEN l'homme eft inconftant, divers,

Foible, léger, tenant mal fa parole !

J'avois juré même en affez beaux vers,
De renoncer à tout conte frivole ;
Et quand juré ? c'est ce qui me confond

Depuis deux jours j'ai fait cette promeffe ;
Puis fiez-vous à Rimeur, qui répond
D'un feul moment. Dieu ne fit la fageffe
Pour les cerveaux qui hantent les neuf Sœurs :
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire;
Quelque jargon plein d'affez de douceurs ;

Mais d'être sûrs, ce n'eft-là leur affaire.

La Fontaine, Contes

POINT D'HONNEUR.

RODRIGUE à CHIME'N E.

RIGOURE

IGOUREUX point d'honneur ! hélas ! quoique
je faffe,

Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grace?
Au nom d'un pere mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux Amant aura bien moins de peine
A mourir par ta main qu'à vivre par ta haine.

CHIME'N E.

Va, je ne te hais point.

RODRIGUE.

Tu le dois.

CHIME' N E.

Je ne puis.

RODRIGUE.

Crains-tu fi peu Je blâme & fi peu les faux bruits ? Quand on faura mon crime, & que ta flamme dure a

Que ne publieront point l'envie & l'imposture?
Force-les au filence, & fans plus difcourir,
Sauve ta renommée en me faifant mourir.

CHIME'N E.

Elle éclate bien mieux en te laiffant la vie,
Et je veux que la voix de la plus noire envie
Eleve au ciel ma gloire, & plaigne mes ennuis,
Sachant que je t'adore &
"
que je te pourfuis.
Va-t-en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu'il faut que je perde, encor que je l'aime
Dans l'ombre de la nuit cache bien ton départ.
Si l'on te voit fortir, mon honneur court hafard,
La feule occafion qu'aura la médifance,
C'eft de favoir qu'ici j'ai fouffert ta préfence;
Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu.

RODRIGUE.

Que je meure.

CHIME' N E.

Va-t-en.

RODRIGUE.

A quoi te réfous-tu ?

CHIME'N E.

Malgré des feux-fi beaux qui troublent ma colere ;
Je ferai mon poffible à bien venger mon pere;
Mais malgré la rigueur d'un fi cruel devoir,
Mon unique fouhait eft de ne rien pouvoir.

RODRIGUE.

O miracle d'amour!

CHIME' NE.

O comble de miferes !

RODRIGUE.

Que de maux & de pleurs nous coûteront nos peres}

CHIME'N E.

Rodrigue, qui l'eût crû ?

RODRIGUE.

Chiméne, qui l'eût dit.

Corneille, Cid, act. 111. fc. IV.

JA

POINTE S.

ADIS de nos Auteurs les pointes ignorées à Furent de l'Italie en nos vers attirées. Le vulgaire ébloui de leur faux agrément, A ce nouvel appas courut avidement. La faveur du Public excitant leur audace, Leur nombre impétueux inonda le Parnaffe. Le Madrigal d'abord en fut enveloppé. Le Sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé. La Tragédie en fit fes plus chéres délices. L'Elégie en orna fes douloureux caprices. Un Héros fur la fcene eut foin de s'en parer; Et fans pointe un Amant n'ofa plus foupirer. On vit tous les Bergers, dans leurs plaintes nouvelles¿ ̈ Fidéles à la pointe, encor plus qu'à leurs Belles, Chaque mot eut toujours deux vifages divers. La Profe la reçut auffi-bien que les Vers. L'Avocat au Palais en hériffa fon style, Et le Docteur en Chaire en fema l'Évangile. La Raifon outragée enfin ouvrit les yeux; La chafla pour jamais des Difcours férieux, Et dans tous ces Ecrits la déclarant infâme

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