Images de page
PDF
ePub

Polifonte, l'œil fixe; & d'un front inhumain,
Préfentoit à Mérope une odieufe main ;
Le Prêtre prononçoit les paroles facrées ;
Et la Reine au milieu des femmes éplorées,
S'avançant triftement, tremblante entre mes bras;
Au lieu de l'hyménée invoquoit le trépas.

Le peuple obfervoit tout dans un profond filence.
Dans l'enceinte facrée en ce moment s'avance,
Un jeune homme, un Héros femblable aux immortels;
Il court, c'étoit Egifte; il s'élance aux autels;
Il monte, il y faifit d'une main assurée,
Pour les fêtes des Dieux la hache préparée.
Les éclairs font moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vû qui frappoit ce monftre audacieux.
Meurs, tyran, difoit-il. Dieux, prenez vos victimes.
Erox, qui de fon Maître a servi tous les crimes,
Erox, qui dans fon fang voit ce monftre nâger;
Leve une main hardie, & penfe le venger,
Egifte fe retourne enflammé de furie ;
A côté de fon Maître il le jette fans vie.
Le tyran fe releve, il bleffe le Héros,
De leur fang confondu j'ai vu couler les flots.
Déja la Garde accourt avec des cris de rage.
Sa mere.... Ah, que l'amour infpire de courage !
Quel transport animoit fes efforts & fes pas !
Elle s'élance au milieu des foldats.
C'eft mon fils; arrêtez, ceffez, troupe inhumaine ;
C'eft mon fils; déchirez fa mere & votre Reine,
Ce fein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté,
A ces cris douloureux le peuple eft agité.
Un gros de nos amis que fon danger excite,
Entre elle & fes foldats vole & fe précipite,
Vous euffiez vû foudain les autels renversés
Dans des ruiffeaux de fang leurs débris difperfés ;
Les enfans écrafés dans les bras de leurs meres;
Les freres méconnus, immolés par leurs freres ;
Soldats, Prêtres, Amis l'un fur l'autre expirans;
On marche, on eft porté fur les corps des mourans;

Sa mere....

On veut fuir, on revient, & la foule preffée,
D'un bout du Temple à l'autre eft vingt fois repouffée.
De ces flots confondus le flux impétueux,
Roule & dérobe Egifte & la Reine à mes yeux.
Parmi les combattans je vole enfanglantée ;
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.
On s'écrie: il eft mort, il tombe, il eft vainqueur.
Je cours, je me confume, & le peuple m'entraîne
Me jette en ce Palais, éplorée, incertaine,
Au milieu des mourans, des morts & des débris.
Venez, fuivez mes pas, joignez-vous à mes cris.
Venez, j'ignore encor fi la Reine eft fauvée ;
Si de fon digne fils la vie eft confervée.
Si le tyran n'eft plus ; le trouble, la terreur,
Tout ce défordre horrible eft encor dans mon cœur
Voltaire, Mérop. act. V. fc. V I.

2

5

CHIMENE à D. FERNAND.

SIRE, mon pere eft mort, mes yeux ont vû fon fang
Couler à gros bouillons de fon généreux flanc,
Ce fang qui tant de fois garantit vos murailles,
Ce fang qui tant de fois vous gagna des batailles;
Ce fang qui tout forti fume encor de courroux,
De fe voir répandu pour d'autres que pour vous,
Qu'au milieu des hafards n'ofoit verfer la guerre,
Rodrigue en votre Cour vient d'en couvrir la terre.
J'ai couru fur le lieu fans force & fans couleur.
Je l'ai trouvé fans vie. Excufez ma douleur.
Sire, la voix me manque à ce récit funefte
Mes pleurs & mes foupirs vous diront mieux le refte.

[ocr errors]

Je vous l'ai déja dit, je l'ai trouvé fans vie,
Son flanc étoit ouvert; & pour mieux m'émouvoir,
Son fang fur la pouffiére écrivoit mon devoir.

Corneille, Cid, act. 11. fc. IX.

RECOURS A DIEU.

ESTHER.

O

[ocr errors]
[ocr errors]

MON fouverain Roi!
Me voici donc tremblante, & feule devant toi.
Mon pere mille fois m'a dit dans mon enfance
Qu'avec nous tu juras une fainte alliance,
Quand pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plût à ton amour de choifir nos ayeux.
Même tu leur promis de ta bouche facrée
Une poftérité d'éternelle durée.

Hélas ce peuple ingrat a méprisé ta loi.
La Nation chérie a violé fa foi.

Elle a répudié fon époux & fon pere,

Pour rendre à d'autres Dieux un honneur adultere.
Maintenant elle fert fous un Maître étranger.
Mais c'eft peu d'être efclave, on la veut égorger.
Nos fuperbes vainqueurs infultant à nos larmes,
Imputent à leurs Dieux le bonheur de leurs armes;
Et veulent qu'aujourd'hui un même coup mortel
Aboliffe ton nom, ton peuple, & ton autel.
Amfi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourroit anéantir la foi de tes oracles?
Raviroit aux mortels le plus cher de tes dons
Le Saint que tu promets, & que nous attendons?
Non, non, ne fouffre pas que ces peuples farouches;
Yvres de notre fang, ferment les feules bouches,
Qui dans tout l'univers célébrent tes bienfaits,
Et confond tous ces Dieux qui ne furent jamais.
Pour moi que tu retiens parmi ces infidéles,
Tu fais combien je hais leurs Fêtes criminelles ;
Et que je mets au rang des profanations,
Leur table, leurs feftins & leurs libations;
Que même cette pompe où je fuis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paroisse ornée,

[ocr errors]

Dans ces jours folemnels à l'orgueil dédiés,
Seule, & dans le fecret je le foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornemens je préfére la cendre,
Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre
J'attendois le moment marqué dans ton arrêt,
Pour ofer de ton peuple embrasser l'intérêt.
Ce moment eft venu. Ma prompte obéiflance
Va d'un Roi redoutable affronter la préfence.
C'eft pour toi que je marche. Accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connoît pas.
Commande en me voyant que fon courroux s'appaife
Et prête à mes difcours un charme qui lui plaife.
Les orages, les vents les cieux te font foumis.
Tourne enfin ta fureur contre nos ennemis.

[ocr errors]

Racine, Efth. act. 1. fc. I v.

SI

REGRET S.

I vous voulez que j'aime encore
Rendez-moi l'âge des amours.
Au crepufcule de mes jours
Rejoignez s'il fe peut l'aurore.

Des beaux lieux où le Dieu du vin
Avec l'Amour tient fon empire,
Le Tems qui me prend par la main
M'avertit que je me retire.

De fon inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n'a pas l'efprit de fon âge,
De fon âge a tout le malheur.
Laiffons à la belle jeuneffe
Ses folâtres emportemens;
Nous ne vivons que deux momens,
Qu'il en foit un pour la fageffe.

Quoi, pour toujours vous me fuyez,
Tendreffe, illufion, folie.

Dons du ciel qui me confoliez
Des amertumes de la vie.

[ocr errors]

R

N

On meurt deux fois, je le vois bien :
Ceffer d'aimer, & d'être aimable,
C'eft une mort infupportable
Ceffer de vivre, ce n'eft rien.

[ocr errors]

Voltaire, Stances.

L

E

TITUS.

'AH, lâche ! fais l'amour & renonce a l'Empire.
Au bout de l'univers, va, cours te confiner,
Et fáis place à des cœurs plus dignes de régner.
Sont-ce-là ces projets de grandeur & de gloire,
Qui devoient dans les cœurs confacrer ma mémoire ?
Depuis huit jours je regne. Et, jufques à ce jour,
Qu'ais-je fait pour l'honneur? j'ai tout fait pour l'amour.
D'un tems fi précieux quel compte puis-je rendre?
Où font ces heureux jours que je faifois attendre ?
Quels pleurs ais-je féchés dans quels yeux fatisfaits、
Ais-je déja goûté le fruit de mes bienfaits?
L'univers a-t-il vû changer fes destinées ?
Sais-je combien le ciel m'a compté de journées ?
Et de ce peu de jours fi long-tems attendus,
Ah malheureux, combien j'en ai déja perdus !
Ne tardons plus. Faifons ce que l'honneur exige.
Racine, Bérén. act. IV. fc. I V.

REGRETS MAGNANIMES.

[ocr errors]

CORNELI E.

Vous à ma douleur objet terrible & tendre, Eternel entretien de haine, & de pitié

« PrécédentContinuer »