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Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant :
L'efprit raffafié le rejette à l'instant.

Qui ne fait fe borner, ne sût jamais écrire.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Un vers étoit trop foible, & vous le rendez dur.
J'évite d'être long, & je deviens obfcur.

L'un n'eft point trop fardé, mais fa Mufe eft trop nue.
L'autre a peur de ramper, il fe perd dans la nue.
Voulez-vous du Public mériter les amours ?
Sans ceffe en écrivant variez vos difcours.
Un ftile trop égal & toujours uniforme,
En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme
On lit peu ces Auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours fur un ton femblent pfalmodier,
Heureux qui dans fes vers fait d'une voix légére,
Paffer du grave au doux, du plaisant au sévére.
Defpréaux, Art Poët. ch. I.

UN

STOICIEN.

N Philofophe auftére, & né dans la Scythie; Se propofant de fuivre une plus douce vie, Voyagea chez les Grecs, & vit en certains lieux Un Sage affez femblable au vieillard de Virgile, Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieur Et, comme ces derniers, fatisfait & tranquille. Son bonheur confiftoit aux beautés d'un jardin. Le Scythe P'y trouva, qui la ferpe à la main De fes arbres à fruit, retranchoit l'inutile, Ebranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela Corrigeant par-tout la nature

Exceffive à payer fes foins avec ufure.

Le Scythe alors lui demanda

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Pourquoi cette ruine étoit-il d'homine fage,
De mutiler ainfi ces pauvres habitans?

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Quittez-moi votre ferpe, inftrument de dommage.

Laiffez agir la faux du Tems:

Ils iront affez-tôt border le noir rivage.
J'ôte le fuperflu, dit l'autre ; & l'abattant,
Le refte en profite d'autant.

Le Scythe retourné dans fa trifte demeure,
Prend la ferpe à fon tour, coupe & taille à toute heure:
Confeille à fes voifins, prefcrit à fes amis
Un univerfel abattis.

11 ôre de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque fon verger contre toute raison,
Sans obferver tems ni faifon,

Lunes ni vieilles, ni nouvelles.

Tout languit & tout meurt: ce Scythe exprime bien Un indifcret Stoicien.

Celui-ci retranche de l'ame

Défirs & paffions, le bon & le mauvais,
Jufqu'aux plus innocens fouhaits.

Contre de telles gens, quand à moi je reclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal reffort.
Ils font ceffer de vivre avant que l'on foit mort.

La Fontaine, Fables.

LE

SUCCE' S.

CATILINA à PROBU S.

E fuccès fut toujours un enfant de l'audace. L'homme prudent voit trop, l'illufion le fuit: L'intrépide voit mieux, & le fantôme fuit. L'inftant le plus terrible éclaire fon courage; Et le plus téméraire eft alors le plus fage. L'imprudence n'eft pas dans la témérité : Elle eft dans un projet faux & mal concerté. Mais, s'il eft bien fuivi, c'eft un trait de prudence, Que d'aller quelquefois jufques à l'infolence.

Οι

Et je fais pour dompter les plus impérieux,
Qu'il faut fouvent moins d'art que de mépris pour eux.

Crébillon, Catili, act. III. fc. IV.

LYSANDER à AGE'SILAS.

JE fuis coupable,

Parce qu'on me trahit, que l'on vous fert trop bieng
Et que par un effort de prudence admirable,
Vous avez sû prévoir de quoi feroit capable,
Après tant de mépris, un cœur comme le mien.
Ce deflein toutefois ne paffera pour crime,
Que parce qu'il eft fans effet;

Et ce qu'on va nommer forfait,
N'a rien qu'un plein fuccès n'eût rendu légitime.
Tout devient glorieux pour qui peut l'obtenir,
Et qui le manque, eft à punir.
Corneille, Agefilas, ait. V. fc. VII.

OCIEL,

SUICIDE.

ALZIRE.

CIEL, anéantis ma fatale exiftence! Quoi, ce Dieu que je fers me laiffe fans fecours! Il défend à mes mains d'attenter fur mes jours. Ah! j'ai quitté des Dieux dont la bonté facile Me permettoit la mort, la mort mon feul asyle. Eh, quel crime eft-ce donc devant ce Dieu jaloux, De håter un moment qu'il nous prépare à cous ? Quoi, du calice amer d'un malheur fi durable, Faut-il boire à longs traits la lie infupportable ?

Ce corps vil & mortel eft-il donc fi facré,
Que l'efprit qui le meur ne le quitte à son gré ?
Ce peuple de vainqueurs armé de fon tonnerre
A-t-il le droit affreux de dépeupler la terre,
D'exterminer les miens, de déchirer mon flanc
Et moi je ne pourrai difpofer de mon fang!
Je ne pourrai fur moi permettre à mon courage,
Ce que fur l'univers il permet
à fa rage.

Voltaire, Alzir. act. v. fc. 111.

SUJET.

LYSANDER à AGE'SILAS.

GRACES

RACES aux Dieux, je ne vois dans vos plaintes,
Que des raifons d'Etat, & de jaloufes craintes,
Qui me font malheureux & non pas criminel.
Non, Seigneur, que je veuille être affez téméraire
Pour ofer d'injuftice accufer mes malheurs.
L'adion la plus belle a diverfes couleurs,

Et lorsqu'un Roi prononce, un sujet doit se taire.
Je voudrois feulement vous faire fouvenir,
Que j'ai près de trente ans commandé nos armées
Sans avoir amaffé que ces nobles fumées

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Qui gardent les noms de finir. Sparte pour qui j'allois de victoire en victoire, M'a toujours vû pour fruit n'en vouloir qu'à la gloire, Et faire en fon épargne entrer tous les tréfors Des peuples fubjugués par mes heureux efforts. Vous-même le favez, que quoi qu'on m'ait vû faire Mes filles n'ont pour dot que le nom de leur pere; Tant il eft vrai, Seigneur, qu'en un fi long emploi, J'ai tout fait pour l'Etat, & n'ai rien fait pour moi. Corneille, Agefilas, act. III. fc. I.

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UN

SYMPATHIE.

RODOGUNE à LAONICE.

N avantage égal pour eux * me follicite,
Mais il eft mal aifé dans cette égalité,
Qu'un efprit combattu ne panche d'un côté.
11 eft des nœuds fecrets, il eft des fympathies
Dont par le doux rapport les ames afforties,
S'attachent l'une à l'autre & fe laiffent piquer,
Par ces je ne fais quoi qu'on ne peut expliquer.
C'eft par-là que l'un d'eux obtient la préférence,
Je crois voir l'autre encore avec indifférence;
Mais cette indifférence est une averfion,
Lorfque je la compare avec ma paffion.
Etrange effet d'amour! incroyable chimere !
Je voudrois être à lui fi je n'aimois fon frere
Et le plus grand des maux toutefois que je crains
C'eft que mon trifte fort me livre entre fes mains.
Corneille, Rodog. act. I. fc. V II.

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1

SYSTEME DE DESCARTES.

LA

A bête eft une machine;

En elle tout fe fait fans choix & par refforts :
Nul fentiment, point d'ame, en elle tout eft corps.
Telle eft la montre qui chemine

A pas toujours égaux, aveugle & fans deffein.
Ouvrez-là, lifez dans fon fein.

Mainte roue y tient lieu de tout l'efprit du monde.
La premiére y meut la feconde,

* Antiochus & Seleucus.

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