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L

Là, tous les champs voifins peuplés de mirthes verds,
N'ont jamais reffenti l'outrage des hyvers.
Par-tout on voit meurir, par-tout on voit éclore,
Et les fruits de Pomone, & les préfens de Flore;
Et la terre n'attend pour donner fes moiffons,
Ni les vœux des humains, ni l'ordre des faifons.
L'homme y femble goûter dans une paix profonde,
Tout ce que la nature aux premiers jours du monde,
De fa main bienfaifante accordoit aux humains,
Un éternel repos, des jours purs & ferains,
Les douceurs, les plaisirs que promet l'abondancé,
Les biens du premier âge, hors la feule innocence.
On entend pour tout bruit des concerts enchanteurs,
Dont la molle harmonie infpire les langueurs,
La voix de mille Amans, les chants de leurs Maîtrelles,
Qui célébrent leur honte & vantent leurs foiblefles.
Chaque jour on les voit, le front paré de fleurs,
De leur aimable Maître implorer les faveurs;
Et dans l'art dangereux de plaire & de féduire,
Dans fon Temple à l'envi s'empreffer de s'inftruire.
La flatteufe Efpérance, au front toujours ferain,
A l'autel de l'Amour les conduit par la main.
Près du Temple facré, les Graces demi-nues
Accordent à leurs voix leurs danses ingénues.
La molle Volupté fur un lit de gazons,
Satisfaite & tranquille écoute leurs chanfons.
On voit à fes côtés le Myftére en filence,
Le Sourire enchanteur, les Soins, la Complaifance,
Les Plaisirs amoureux, & lestendres Défirs
Plus doux, plus féduifans encor que les plaifirs.
De ce Temple fameux telle eft l'aimable entrée;
Mais lorsqu'en avançant fous la voûte facrée,
On porte au fanctuaire un pas audacieux,
Quel fpectacle funefte épouvante les yeux!
Ce n'eft plus des plaifirs la troupe aimable & tendre;
Leurs concerts amoureux ne s'y font plus entendre ;
Les plaintes, les dégoûts, l'imprudence, la peur,
Font de ce beau féjour un féjour plein d'horreur.

La fombre Jaloufie, au teint pâle & livide,
Suit d'un pied chancelant le foupçon qui la guide.
La haine & le courroux répandant leur venin,
Marchent devant fes pas un poignard à la main.
La Malice les voit, & d'un fouris perfide
Applaudit en paffant à leur troupe homicide.
Le repentir les fuit détestant leurs fureurs,
Et baiffe en foupirant fes yeux mouillés de pleurs.
C'eft-là, c'eft au milieu de cette Cour affreuse,
Des plaifirs des humains compagne malheureuse,
Que l'Amour a choisi son féjour éternel.
Ce dangereux enfant fi tendre & fi cruel,
Porte en fa foible main les deftins de la terre,
Donne avec un fouris ou la paix, ou la guerre ;
Et répandant par-tout fes trompeufes douceurs,
Anime l'univers, & vit dans tous les cœurs.

3 Voltaire, Henri. ch. IX.

Du

TEMPLE DE L'AMITIE'.

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U fond d'un Bois à la Paix confacré
Séjour heureux de la Cour ignoré,
S'éleve un Temple où l'art & fes prestiges
N'étalent point l'orgueil de leurs prodiges,
Où rien ne trompe & n'éblouit les yeux,
Où tout eft vrai, fimple & fait pour les Dieux.
De bons Gaulois, de leurs mains le fondérent,
A l'Amitié leurs cœurs le dédiérent.

Las! ils penfoient dans leur crédulité,
Que par leur race il feroit fréquenté.
En vieux langage on voit fur la façade
Les noms facrés d'Orefte & de Pilade,
Le médaillon du bon Pirithoüs,
Du fage Achate & du tendre Nifus,
Tous grands Héros, tous amis véritables.

Ces noms font beaux ; mais ils font dans les Fables.

Les doctes Sœurs ne chantent qu'en ces lieux,
Car on les fiffle au fuperbe Empirée ;
On n'y voit point Mars & fa Cithérée
Car la Difcorde eft toujours avec eux:
L'Amitié vit avec très-peu de Dieux
Pour fes plaifirs la grandeur n'eft pas faite.
A fes côtés, fa fidéle interprete,
La Vérité, charitable & difcrete,
Toujours utile à qui veut l'écouter,
Attend en vain qu'on l'ofe confulter;
Nul ne l'approche, & chacun la rejette.
Par contenance un livre eft dans fes mains,
Où font écrits les bienfaits des humains
Doux monumens d'eftime & de tendreffe'
Donnés fans fafte, acceptés fans baffeffe,
Du bienfaiteur noblement oubliés,
Par fon ami fans regret publiés.
C'eft des vertus l'hiftoire la plus pure.
L'hiftoire eft courte, & le livre eft réduit
A deux feuillets de gothique écriture,
Qu'on n'entend plus, & que le tems détruît.
Voltaire, Poefies diverf.

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ZUOLATA E MS. Į

TEMS & perte irréparable
Quel eft l'inftant où nous vivons?
Quoi, la vie eft fi peu durable,
Et les jours paroiffent fi longs!

S'occuper, c'eft favoir jouir;
L'oifiveté péfe & tourmente ;
L'ame eft un feu qu'il faut nourrir,
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.

Voltaire, Poefies diverf

Pr

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TENDRES SE.

ATALIDE à BAJAZET.

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L eft vrai, je n'ai pû concevoir fans effroi, Que Bajazet pût vivre & n'être plus à moi; Et lorfque quelquefois de ma rivale heureufe, Je me repréfentois l'image douloureufe Votre mort, pardonnez aux fureurs des Amáns, Ne me paroiffoit pas le plus grand des tourmens. Mais, à vos triftes yeux, votre mort préparée, Dans toute fon horreur ne s'étoit pas montrée. Je ne vous voyois pas ainfi que je vous vois, Prêt à me dire adieu pour la derniére fois. Seigneur, je fais trop bien avec quelle conftance, Vous allez de la mort affronter la préfence Je fais que votre cœur fe fait quelques plaifirs, De me prouver fa foi dans fes derniers foupirs.. Mais, hélas! épargnez une a ame plus timide. Mefurez vos malheurs aux forces d'Atalide; Et ne m'expofez point aux plus vives douleurs. Qui jamais d'une Amante épuiférent les pleurs. Racine, Bajax. act. 11. fc. V..

JUNIE à BRITANNICUS.

Je ne connois Néron & la Cour que d'un jour;
Mais fi j'ofe le dife, hélas dans cette Cour,
Combien tout ce qu'on dit eft loin de ce qu'on penfe!
Que la bouche & le cœur font peu d'intelligence !
Avec combien de joie on y trahit fa foi!
Quel féjour étranger & pour vous, & pour moi.
D'un noir preffentiment, malgré moi, prévenue,
Je vous laifle regret éloigner de ma vûe.
Hélas! fi cette paix dont vous, vous repaissez,
Couvroit contre vos jours quelques piéges dreffés,
Si Néron irrité de notre intelligence

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Avoit choisi la nuit pour cacher fa vengeance,
S'il préparoit fes coups tandis que je vous vois !
Et fi je vous parlois pour la derniére fois ?
Ah, Prince!

BRITANNICUS.

Vous pleurez! ah, ma chére Princeffe ! Et pour moi jufques-là votre cœur s'intéreffe Quoi, Madame! en un jour, où plein de fa grandeur, Néron croit éblouir vos yeux de fa fplendeur, Dans des lieux où chacun me fuit & le révére, Aux pompes de fa Cour préférer ma mifére! Quoi! dans ce même jour, & dans ces mêmes lieux Refufer un Empire, & pleurer à mes yeux ! Mais, Madame, arrêtez ces précieuses larmes ; Mon retour va bien-tôt diffiper vos allarmes. Je me rendrois fufpe&t par un plus long séjour. Adieu. Je vais, le cœur tout plein de mon amour, Au milieu des tranfports d'une aveugle jeuneffe, Ne voir, n'entretenir que ma belle Princeffe. Racine, Britann. act. v.

. fc. Is

TENDRESSE CONJUGALE.

O

ZENOBI E.

U vais-je ? & quel eft mon espoir ? Imprudente, où m'entraîne un aveugle devoir ? Je devance la nuit: pour qui? pour un parjure, Qu'a profcrit dans mon coeur la voix de la nature. Ais-je donc oublié que fa barbare main

Fit tomber tous les miéns: fous un fer affaffin?
Que dis-je le cœur plein de feux illégitimes,
Ais-je allez de vertu pour lui trouver des crimes?
Et me paroîtroit-il fi coupable en ce jour,
Si je ne brulois pas d'un criminel amour?

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