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ENCOR

VERTU ROMAINE.

CURIACE à HORACE.

qu'à mon devoir je coure fans terreur,
Mon cœur s'en effarouche, & j'en frémis d'horreur,
J'ai pitié de moi-même, & jette un œil d'envie
Sur ceux dont notre guerre a confumé la vie.
Sans fouhait toutefois de pouvoir reculer,

Ce trifte & fier honneur m'émeut fans m'ébranler,
J'aime ce qu'il me donne, & je plains ce qu'il m'ôte;
Et fi Rome demande une vertu plus haute,
Je rends graces aux Dieux de n'être pas Romain,
Pour conferver encor quelque chofe d'humain.

HORACE.

Si vous n'êtes Romain, foyez digne de l'être,
Et fi vous m'égalez, faites-le mieux paroître.
La folide vertu dont je fais vanité,

N'admet point de foibleffe avec fa fermeté ;
Et c'eft mal de l'honneur entrer dans la carriére,
Que dès le premier pas reculer en arriére.

Notre malheur eft grand, il eft au plus haut point.
Je l'envifage entier, mais je n'en frémis point.
Contre qui que ce foit que mon pays m'emploie,
J'accepte aveuglément cette gloire avec joie.
Celle de recevoir de tels commandemens,
Doit étouffer en nous tous autres fentimens ;
Qui près de le fervir confidére autre chofe,
A faire ce qu'il doit lâchement fe difpofe,
Ce droit faint & facré rompt tout autre lien.
Rome a choifi mon bras, je n'examine rien,
Avec une allégreffe auffi pleine & fincere,
Que j'époufai la fœur, je combattrai le frere ;
Et pour trancher enfin ces difcours fuperflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connois plus.

Corneille, les Horac. act. I I. fc. III.

L

VEUVE.

A perte d'un époux ne va point fans foupirs.
On fait beaucoup de bruit, & puis on fe confole.
Sur les ailes du Tems la trifteffe s'envole;
Le Tems ramene les plaisirs,
Entre la veuve d'une année,
Et la veuve d'une journée,

La différence eft grande. On ne croiroit jamais
Que ce fût la même perfonne.

L'une fait fuir les gens, & l'autre a mille attraits:
Aux foupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne :
C'est toujours même note, & pareil entretien :
On dit qu'on eft inconfolable:

On le dit, mais il n'en eft rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.

L'Epoux d'une jeune Beauté

Partoit pour

l'autre monde: à fes côtés fa femme Lui crioit: Attens-moi, je te fuis: & mon ame, Auffi-bien que la tienne, eft prête à s'envoler. Le mari fait feul le

voyage.

La Belle avoit un Pere, homme prudent & fage:
Il laiffa le torrent couler.

A la fin, pour la confoler,

Ma fille, lui dit-il, c'est trop verfer de larmes! Qu'a befoin le défunt que vous noyez vos charmes Puifqu'il eft des vivans, ne fongez plus aux morts. Je ne dis pas que tout-à-l'heure,

Une condition meilleure,

Change en des nôces ces tranfports:

Mais après certain tems, fouffrez qu'on vous propofe Un Epoux, beau, bien fait, jeune, & tout autre chofe Que le défunt. Ah! dit-elle auffi-tôt,

Un Cloître eft l'Epoux qu'il me faut.

Le Pere lui laiffa digérer fa difgrace
Un mois de la forte se paffe.

L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chofe à l'habit, au linge, à la coeffure:
Le deuil enfin fert de parure,

En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours:

Revient au colombier. Les Jeux, les Ris, la Danse,
Ont auffi leur tour à la fin.

On fe plonge foir & matin
Dans la fontaine de Jouvence.

Le pere ne craint plus ce défunt tant chéri:
Mais comme il ne parloit de rien à notre Belle;
Où donc eft le jeune mari,

Que vous m'avez promis dit-elle.

La Fontaine, Fables,

QUEL refpect imaginaire
Pour les cendres d'un Epoux,
Vous rend vous-même contraire
A vos deftins les plus doux ?
Quand fa course fut bornée.
Par la fatale journée,
Qui le mit dans le tombeau ;
Penfez-vous que l'hyménée
N'ait pas éteint fon flambeau !

Pourquoi ces fombres ténébres
Dans ce lugubre réduit?
Pourquoi ces clartés funébres
Plus affreufes que la nuit !
De ces noirs objets troublée,
Trifte, & fans ceffe immolée
A de frivoles égards,
Ferez-vous d'un maufolée
Le plaifir de vos regards.

Voyez les Graces fidelles,
Malgré vous, fuivre vos pas,

Et voltiger autour d'elles, L'Amour qui vous tend les bras. Voyez ce Dieu plein de charmes, Qui vous dit les yeux en larmes : Pourquoi ces pleurs fuperflus? Pourquoi ces cris, ces allarmes ? Ton Epoux ne t'entend plus.

A fa trifte deftinéc

C'est trop donner de regrets:
Par les larmes d'une année
Ses manes font fatisfaits.
De la célébre Matrone,
Que l'Antiquité nous prone,
N'imitez point le dégoût;
Ou pour l'amour de Petronne
Imitez-là jufqu'au bout.

Les Chroniques les plus amples
Des yeuves des premiers tems,
Nous fourniffent peu d'exemples
D'Artemifes de vingt ans.
Plus la douleur eft illuftre,
Et plus elle fert de luftre
A leur amoureux effor:
Andromaque en moins d'un luftre
Remplaça deux fois Hector.

De la veuve de Sichée
L'Hiftoire vous a fait peur.
Didon mourut attachée

Au char d'un Amant trompeur.
Mais l'imprudente mortelle
N'eût à fe plaindre que d'elle.
Ce fut fa faute, en un mot.
A quoi fongeoit cette Belle
De prendre un Amant dévot,

Pouvoit-elle mieux attendre
De ce pieux voyageur,

Qui fuyant fa Ville en cendre,
Et le fer du Grec vengeur,
Chargé des Dieux du Pergame
Ravit fon pere à la flamme,
Tenant fon fils par la main ;
Sans prendre garde à fa femme,
Qui fe perdit en chemin,

Rouffeau, Ode à une Veuve.

VICTOIRE.

LA FRANCE PARLE A LA VICTOIRE.

AH, Victoire! pour fils n'ais-je que des foldats ?

La gloire qui les couvre à moi même funefte,
Sous mes plus beaux fuccès fait trembler tout le refte;
Ils ne vont au combat que pour me protéger,
Et n'en fortent vainqueurs que pour me ravager.
S'ils renverfent des murs, s'ils gagnent des batailles,
Ils prennent droit par-là de ronger mes entrailles,
Leur retour me punit de mon trop de bonheur,
Et mes bras triomphans me déchirent le cœur.
A vaincre tant de fois mes forces s'affoibliffent,
L'Etat eft floriffant, mais les peuples gémiffent,
Leurs membres décharnés courbent fous mes hauts faits,
Et la gloire du Trône accable les fujets.
Voyez autour de moi que de triftes fpectacles!
Voilà ce qu'en mon fein enfantent vos miracles,
Quelque encens que je doive à cette fermeté,
Qui vous fait en tous lieux marcher à mon côté.
Je me laffe de voir mes Villes défolées,
Mes habitans pillés, mes campagnes brulées,

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