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Sont par moi révélés, par moi l'œil les découvre :
Que la porte du jour fe ferme ou qu'elle s'ouvre,
Que le foleil nous quitte ou qu'il vienne nous voir,
Qu'il forme un beau matin, qu'il nous montre un beau
foir,

J'en fais repréfenter les images brillantes:

Mon Art s'étend fur-tout ; c'eft par mes mains favantes
Que les champs, les déferts, les bois & les cités,
Vont en d'autres climats étaler leurs beautés.
Je fais qu'avec plaifir on peut voir des naufrages.
Et les malheurs de Troie ont plû dans mes ouvrages.
Tout y rit, tout y charme. On y voit fans horreur
Le pâle défefpoir, la fanglante fureur,

L'inhumaine Cloton qui marche fur leurs traces;
Jugez avec quels traits je fais peindre les Graces.
Dans les maux de l'abfence on cherche mon fecours,
Je confole un Amant privé de fes amours.

La Fontaine, Euvr. diverf. tom. I.

M

USAGE

DE LA POESIE.

Es mains ont fait des ouvrages,
Qui verront les derniers âges
Sans jamais fe ruiner;

Le Tems a beau les combattre,
L'eau ne les fauroit miner,
Le vent ne peut les abattre.

Sans moi tant d'œuvres fameux
Ignorés de nos neveux,
Périroient fous la pouffiére.
Au Parnaffe feulement
On emploie une matiére
Qui dure éternellement.

La Fontaine, uur. diverf. tom. I.

CRISPE,il

USURPATEUR.

PHOCAS à CRIS PE.

RISPE,il n'eft que trop vrai, la plus belle Couronne N'a que de faux brillans dont l'éclat l'environne; Et celui dont le ciel pour un fceptre fait choix, Jufqu'à ce qu'il le porte en ignore le poids. Mille & mille douceurs y femblent attachées, Qui ne fent qu'un amas d'amertumes cachées, Qui croit les pofféder les fent s'évanouir Et la peur de les perdre empêche d'en jouir. Sur-tout qui comme moi d'une obfcure naiffance Monte par la révolte à la toute-puissance. Qui de fimple foldat à l'Empire élevé, Ne l'a que par le crime acquis & confervé. Autant que fa fureur s'eft immolé de têtes, Autant deffus la fienne il croit voir de tempêtes; Et comme il n'a femé qu'épouvante & qu'horreur, Il n'en recueille enfin que trouble & que terreur. J'en ai femé beaucoup; & depuis quatre luftres Mon Trône n'eft fondé que fur des morts illuftres Et j'ai mis au tombeau, pour régner fans effroi, Tout ce que j'en ai vû de plus digne que moi.

Corneille, Héracl. act. E. fc. Is

POLIFONTE à ĚR OX.

ENTRE le Trône & moi je vois un précipice;
Il faut que ma fortune y tombe ou le franchifle.
Merope attend Egifte; & le peuple aujourd'hui,
Si fon fils reparoît, peut fe tourner vers lui.
En vain quand j'immolai fon pere & fes deux freres,
De ce Trône fanglant je m'ouvris les barriéres ;
En vain dans ce Palais où la fédition

Rempliffoit tout d'horreur & de confufion,

Ma fortune a permis qu'un voile heureux & fombre,

Couvrit mes attentats du fecret de fon ombre ;
En vain du fang des Rois, dont je fus l'oppreffeur,
Les peuples abufés m'ont crû le défenfeur.

Nous touchons au moment où mon fort fe décide;
S'il refte un rejetton de la race d'Alcide,
Si ce fils tant pleuré dans Meffene eft produit,
De quinze ans de travaux j'ai perdu tout le fruit.
Crois-moi, ces préjugés de fang & de naiffance,
Revivront dans les cœurs, y prendront fa défense,
Le fouvenir du pere & cent Rois pour ayeux,
Cet honneur prétendu d'être iffu de nos Dieux,
Les cris, le défeípoir d'une mere éplorée
Détruiront ma puiflance encor mal affurée,
Egifte eft l'ennemi dont il faut triompher.
Jadis dans fon berceau je voulus l'étouffer,
De Narbas à mes yeux l'adroite diligence,
Aux mains qui me fervoient arracha fon enfance.
Narbas depuis ce tems errant loin de ces bords,
A bravé ma recherche, a trompé mes efforts.
J'arrêtai fes courriers, ma jufte prévoyance,
De Merope & de lui rompit l'intelligence.
Mais je connois le fort, il peut fe démentir;
De la nuit du filence un fecret peut fortir;
Et des Dieux quelquefois la longue patience
Fait fur nous pas lents defcendre la vengeance.
Voltaire, Mérop. act. 1. fc. Iv.

J

VUIDE DES HONNEURS.

AMAN.

'AI sû de mes destins corriger l'injustice.
Dans les mains des Perfans jeune enfant apporté,
Je gouverne l'Empire où je fus acheté.
Mes richeffes, des Rois égalent l'opulence,
Environné d'enfans, foutiens de ma puiffance,

Il ne manque à mon front que le Bandeau royal.
Cependant, des mortels aveuglement fatal !
De cet amas d'honneur la douceur paffagére,
Fait fur mon cœur à peine une atteinte légére.

Racine, Efth. act. 11. fc. I.

VULGAIRE.

LE

E vulgaire ftupide
Ne fuit jamais que le plus mauvais guide:
Et ne voit rien qu'à travers les faux jours
D'un verre obfcur qui le trompe toujours.
D'un œil confus il cherche, il développe
Quelques objets. Tournez le télescope,
Ce qui d'abord lui parut un géant,
Semble à fes yeux rentrer dans le néant..
Toute vertu qui veut être admirée,
De quelque vice eft toujours bigarée :
Et quand par elle on fonge à s'élever,
D'un peu de fard il faut l'enjoliver.
Sans vermillon, fans clinquant, fans affiche,
Le Saint tout nud fe morfond dans fa niche:
On veut le voir paré de fes habits,
Tout brillant d'or, tout chargé de rubis :
Du peuple alors le zéle s'évertue.
Mais il lui faut décorer fa ftatue.

Rouffean, Epitre V. à M. le Comte du Luc.

QUE j'ai toujours haï les penfers du vulgaire !
Qu'il me femble profane, injufte & téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chofe & lui,
Et mefurant par foi ce qu'il voit par autrui.

La Fontaine, Fable de Démocrite, & les Abdéritains.

FIN.

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