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MORT DU JEUNE D'AILLY.

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D'AILLY
'AILLY portoit par-tout la crainte & le trépas;
D'Ailly tout orgueilleux de trente ans de combats
Et qui dans les horreurs de la guerre cruelle
Reprend malgré fon âge une fureur nouvelle ;
Un feul guerrier s'oppofe à fes coups menaçans:
C'eft un jeune Héros à la fleur de fes ans
Qui dans cette journée illuftre & meurtrière,
Commençoit des combats la fatale carriére ;
D'un tendre hymen à peine il goûtoit les appas ;
Favori des amours il fortoit de leurs bras;
Honteux de n'être encor fameux que par fes charmes,
Avide de la gloire il voloit aux allarmes.
Ce jour, fa jeune époufe en accufant le ciel,
En déteftant la Ligue & ce combat mortel,
Arma fon tendre amant, & d'une main tremblante
Attacha triftement fa cuiraffe pesante ;

Et couvrit en pleurant d'un cafque précieux,
Ce front fi plein de grace & fi cher à fes yeux.
Il marche vers d'Ailly dans fa fureur_guerriére,
Parmi des tourbillons de flamme, de pouffiére,
A travers les bleffés, les morts & les mourans,
De leurs courfiers fougueux tous deux preffent les

flancs

Tous deux fur l'herbe unie & de fang colorée,
S'élancent loin des rangs d'une courfe affurée.
Sanglans, couverts de fer, & la lance à la main,,
D'un choc épouvantable ils fe frappent foudain.
La terre en retentit, leurs lances font rompues;
Comme en un ciel brulant deux effroyables nues
Qui portant le tonnerre & la mort dans leurs flancs,
Se heurtent dans les airs & volent fur les vents;
De leur mélange affreux les éclairs rejailliffent,
La foudre en eft formée & les mortels frémiflent :
Mais loin de leurs courfiers par un subit effort,

Ces guerriers malheureux cherchent une autre mort.
Déja brille en leurs mains le fatal cimeterre.
La Difcorde accourut, le Démon de la guerre,
La Mort pâle & fanglante étoient à fes côtés :
Malheureux, fufpendez vos coups précipités ;
Mais un deftin funefte enflamme leur courage,
Dans le cœur l'un de l'autre ils cherchent un paffage,
Dans ce cœur ennemi qu'ils ne connoiffent pas,
Le fer qui les couvroit brille & vole en éclats.
Sous les coups redoublés leur cuiraffe étincelle,
Le fang qui rejaillit rougit leur main cruelle;
Leur bouclier, leur cafque arrêtant leur effort
Pare encor quelques coups, & repouffe la mort.
Chacun d'eux étonné de tant de réfiftance
Refpectoit fon rival, admiroit fa vaillance.
Enfin le vieux d'Ailly par un coup malheureux,
Fait tomber à fes pieds ce guerrier généreux.
Ses yeux font pour jamais fermés à la lumière ;
Son cafque auprès de lui roule fur la pouffiére.
D'Ailly voit fon vifage; ô défespoir ! ô cris!
Il le voit, il l'embraffe; hélas! c'étoit fon fils.
Le pere infortuné, les yeux baignés de larmes,
Tournoit contre fon fein fes parricides armes ;
On l'arrête, on s'oppofe à fa jufte fureur;
Il s'arrache en tremblant de ce lieu plein d'horreur;
Il détefte à jamais fa coupable victoire,

Il renonce à la cour, aux humains, à la gloire ;
Et fe fuyant lui-même au milieu des déferts,
Il va cacher fa peine au bout de l'univers.
Là, foit que le foleil rendit le jour au monde
Soit qu'il finit fa courfe au vafte fein de l'onde,
Sa voix faifoit redire aux échos attendris,
Le nom, le trifte nom de fon malheureux fils.
Du Héros expirant la jeune & tendre amante,
Par la terreur conduite, incertaine, tremblante,
Vient d'un pied chancelant fur ces funeftes bords
Elle cherche, elle voit dans la foule des morts
Elle voit fon époux, elle tombe éperdue.

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Le voile de la mort fe répand fur fa vûe.
Eft-ce-toi, cher amant? ces mots interrompus,
Ces cris demi-formés ne font point entendus ;
Elle r'ouvre les yeux, fa bouche preffe encore
Par fes derniers baisers la bouche qu'elle adore ;
Elle tient dans fes bras ce corps pâle & fanglant,
Le regarde, foupire, & meurt en l'embraffant.
Voltaire, Henri. ch. VIII.

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MORT DE XERXE'S.

ARTABAN à ARTAXERCE.

SEIGNEU

EIGNEUR, apprenez tout: c'eft moi qui cette nuit L'ai (1) dans ces lieux facrés en fecret introduit. Comme il ne demandoit qu'à revoir la ( 2 ) Princesse, Touché de ses malheurs, j'ai crû qu'à sa tendresse Je pouvois accorder ce généreux secours : Mais tandis qu'à fervir fes funeftes amours, Loin de ces triftes lieux m'occupoit le perfide Sa main les a fouillés du plus noir (3) parricide. De mes foins pour l'ingrat j'allois voir le fuccès, Quand paffant près des lieux retraite de Xerxès. Dont une lueur foible éclairoit les ténébres, Votre nom prononcé parmi des cris funébres, M'a rempli tout-à-coup & d'horreur & d'effroi. J'entre; jugez, Seigneur, quel fpectacle pour moi, Quand ce Prince, autrefois fi grand, fi redoutable, Des peres malheureux exemple déplorable,

S'eft offert à mes yeux fur fon lit étendu ;

(1) Darius, fils aîné de Xerxès, fruftré de l'Empire. (2) Ameftris.

(3) Darius eft ici fauffement accufé. C'est l'infâme Artaban, qui de sa propre main avoit assassiné le Roi.

Tout

Tout baigné dans fon fang lâchement répandu ;
Qui de ce même fang, mais d'une main tremblante,
Nous traçoit de fa mort une hiftoire fanglante;
Puifant dans les ruiffeaux qui couloient de fon flanc,
Le fang accufateur des crimes de fon fang:
Monument effroyable à la race future!
Caractéres affreux, dont frémit la nature!
Ce Prince à mon afpe&t rappellant fes efprits,
S'eft fait voir dans l'état où ce traître l'a mis.
Tu frémis, m'a-t-il dit, à cet objet funefte:
Tu frémiras bien plus quand tu fauras le refte;
Quelle barbare main a commis tant d'horreurs ?
Cher Artaban, approche, & lis par qui je meurs.
Le fils cruel que j'ai dépouillé de l'Empire,
Dans le fein paternel.... A ces mots il expire.
Crébillon, Xerxès, act. I V. fc. VII.

E

MOYENS DE S'ILLUSTRER.

NTRE tous les mortels que l'univers voit naître, Peu doivent aux ayeux, dont ils tiennent leur étre, Le refpe&t de la Terre & la faveur des Rois. Deux moyens feulement d'illuftrer leur naiffance Sont mis en leur puiffance,

Les fublimes talens & les fameux exploits.

C'est par-là qu'au travers de la foule importune,
Tant d'hommes renommés malgré leur infortune
Se font fait un deftin illuftre & glorieux;

Et

que leurs noms, vainqueurs de la nuit la plus fombre, Ont sû diffiper l'ombre,

Dont les obfcurciffoit le fort injurieux.

Dans l'enfance du monde encor tendre & fragile, Quand le fouffle des Dieux eût animé l'argile,

Tome II.

D

Dont les premiers humains avoient été paîtris;
Leurs rangs n'étoient marqués d'aucune différence,
Et nulle préférence

Ne diftinguoit encor leur mérite & leur prix.

Mais ceux qui pénétrés de cette ardeur divine
Sentirent les premiers leur fublime origine,
S'élevérent bien-tôt par un vol généreux :
Et ce célefte feu dont ils tenoient la vie,
Leur fit naître l'envie

D'éclairer l'univers & de le rendre heureux.

De-là ces Arts divins en tant de biens fertiles.
De-là ces faintes Loix, dont les régles utiles
Firent chérir la paix, honorer les autels,
Et de-là ce refpe&t des peuples du vieil âge,
Dont le pieux hommage

Plaça leurs Bienfaiteurs au rang des Immortels.
Rouffeau, Ode au Prince Eugene.

NON,

MUSES.

ON, non, fans le fecours des Filles de Mémoire; Vous vous flattez en vain Partisans de la gloire, D'affurer à vos noms un heureux fouvenir; Si la main des neuf Sœurs ne pare vos trophées, Vos vertus étouffées

N'éclaireront jamais les yeux de l'avenir.

Vous arrofez le champ de ces Nymphes fublimes.
Mais vous favez auffi que vos faits magnanimes
Ont befoin des lauriers cueillis dans leur vallon.
Ne cherchons point ailleurs la caufe fympathique,
De l'alliance antique,

Des Favoris de Mars avec ceux d'Apollon.

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