Images de page
PDF
ePub

Prend ce livre cenfé, confulte cet ami.

Un ami, don du ciel, & le vrai bien du fage. Voltaire, Difc. 11. de la Liberté.

Vor de la liberté cet ennemi mutin,
Aveugle partifan d'un aveugle deftin.

Entend comme il confulte, approuve, délibére;
Entend de quel reproche il couvre un adverfaire ;
Voi comment d'un rival il cherche à fe venger :
Comme il punit fon fils & le veut corriger.
Il le croyoit donc libre? oui, fans doute, & lui-même
Dément à chaque pas fon funefte fyftême.

[ocr errors]

Il mentoit à fon cœur, en voulant expliquer
Ce dogme abfurde à croire, abfurde à pratiquer.
Il reconnoît en lui le fentiment qu'îl brave,
I agit comme libre, & parle comme efclave.
Sûr de ta liberté rapporte à fon auteur,
Ce don que fa bonté te fît pour ton bonheur
Commande à ta raifon d'éviter ces querelles,
Des tyrans de l'efprit difputes immortelles;
Ferme en tes fentimens, & fimple dans ton cœur ;
Aime la vérité, mais pardonne à l'erreur.
Fuis les emportemens d'un zéle atrabilaire ;
Ce mortel qui s'égare eft un homme, eft ton frere ;
Sois fage pour toi feul, compâtiffant pour lui;
Fais ton bonheur enfin par le bonheur d'autrui.
Voltaire, Difc. II. de la Liberté.

VIRIATE à SERTORIUS.

AFFRANCHISSONS le Tage & laiflons faire au Tibre. La Liberté n'eft rien quand tout le monde eft libre, Mais il eft beau de l'être, & voir tout l'univers

Soupirer fous le joug & gémir dans les fers,
Il eft beau d'étaler cette prérogative

Aux yeux du Rhône efclave, & de Rome captive;
Et de voir envier aux peuples abattus
Ce refpect que le fort garde pour les vertus.

Corneille, Sertorius, act. IV. fc. II.

CE

LOIX DE L'EPOPE' E.

E n'eft pas que j'approuve en un fujet Chrétien, Un Auteur follement idolâtre & Payen. Mais dans une profane & riante peinture, De n'ofer de la Fable employer la figure; De chaffer les Tritons de l'empire des eaux, D'ôter à Pan fa flûte, aux Parques leurs cifeaux} D'empêcher que Caron dans fa fatale barque, Ainfi que le Berger, ne paffe le Monarque; C'eft d'un fcrupule vain s'allarmer fottement, Et vouloir aux Lecteurs plaire fans agrément. Bien-tôt ils défendront de peindre la Prudence: De donner à Thémis ni bandeau ni balance; De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain Ou le Tems qui s'enfuit un horloge à la main; Et par-tout des difcours comme une idolâtrie, Dans leur faux zéle iront chaffer l'Allégorie.

[ocr errors]

Voulez-vous long-tems plaire & jamais ne laffer
Faites choix d'un Héros propre à m'intéreffer,
En valeur éclatant, en vertus magnifique
Qu'en lui jufqu'aux défauts tout fe montre héroique.

[ocr errors]

N'offrez point un fujet d'incidens trop chargé.
Le feul courroux d'Achille, avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entiére,
Souvent trop d'abondance appauvrit la matiére.

Soyez vif & preffé dans vos narrations.
Soyez vif & pompeux dans vos defcriptions.
C'eft-là qu'il faut des vers étaler l'élégance.
N'y préfentez jamais de baffe circonftance.
N'imitez pas ce fou qui décrivant les mers;
Et peignant, au milieu de leurs flots entr'ouverts à
L'Hébreu fauvé du joug de fes injuftes maîtres,
Met pour les voir paffer les poiffons aux fenêtres.

Donnez à votre ouvrage une jufte étendue.
Que le début foit fimple & n'ait rien d'affecté.
N'allez pas dès l'abord fur Pégafe monté,
Crier à vos Lecteurs d'une voix de tonnerre,
Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre.
Que produira l'Auteur après tous ces grands cris ?
La montagne en travail enfante une fouris.

O que j'aime bien mieux cet Auteur plein d'adresse,
Qui fans faire d'abord de fi haute promeffe,
Me dit d'un ton aifé, doux, fimple, harmonieux,
Je chante les combats & cet homme pieux,
Qui des bords Phrygiens conduit dans l'Aufonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie,
Sa Mufe en arrivant ne met pas tout en feu :
Et pour donner beaucoup ne nous promet que peu.
Bien-tôt vous le verrez prodiguant les miracles
Du deftin des Latins prononcer les oracles;
Du Stix & d'Achéron peindre les noirs torrens :
Et déja les Céfars dans l'Elifée errans.

De figures fans nombre égayés votre ouvrage.
Que tout y faffe aux yeux une riante image.
On peut être à la fois & pompeux & plaifant;
Et je hais un fublime ennuyeux & péfant.
J'aime mieux Ariofte & fes Fables comiques,
Que ces Auteurs, toujours froids & mélancoliques,
Qui dans leur fombre humeur fe croiroient faire affront
Si les Graces jamais leur déridoient le front.

*Vers de Scuderi.

[ocr errors]

Un Poëme excellent, où tout marche & fe fuit,
N'eft pas de ces travaux qu'un caprice produit.
Il veut du tems, des foins ; & ce pénible ouvrage
Jamais d'un Ecolier ne fut l'apprentiffage.
Mais fouvent parmi nous un Poëte fans art,
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hafard,
Enflant d'un vain orgueil fon efprit chimérique
Fiérement prend en main la trompette héroique.
Sa Mufe déréglée en fes vers vagabonds,
Ne s'éléve jamais que par fauts & par bonds;
Et fon feu dépourvû de fens & de lecture,
S'éteint à chaque pas faute de nourriture.
Mais en vain le Public promt à le méprifer,
De fon mérite faux le veut défabufer.
Lui-même applaudiffant à fon maigre génie,
Se donne par fes mains l'encens qu'on lui dénie.
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention
Homere, n'entend point la noble fiction.
Si contre cet arrêt le fiécle fe rebelle,
A la poftérité d'abord il en appelle.
Mais attendant qu'ici le bon fens de retour
Raméne triomphans fes ouvrages au jour
Leurs tas, au magasin, cachés à la lumiére,
Combattent triftement les vers & la pouffiére.
Defpréaux, Art Poët. ch. 111

I

LOIX PU TRAGIQUE,

L n'eft point de ferpent, ni de monftre odieux Qui par l'art imité ne puiffe plaire aux yeux. D'un pinceau délicat, l'artifice agréable, Du plus affreux objet, fait un objet aimable. Ainfi pour nous charmer, la Tragédie en pleurs, D'Edipe tout fanglant fit parler les douleurs.

LOI

D'Orefte parricide exprima les allarmes ;
Et pour nous divertir nous arracha des larmes.
Vous donc, qui d'un beau feu pour le Théâtre épris,
Venez en vers pompeux y difputer le prix,
Voulez-vous fur la fcene étaler des ouvrages,
Où tout Paris en foule apporte fes fuffrages;
Et qui toujours plus beaux, plus ils font regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
Que dans tous vos difcours la paffion émûe,
Aille chercher le cœur, l'échauffe & le remue.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur
Souvent ne nous remplit d'une douce terreur ;
Ou n'excite en notre ame une pitié charmante,
En vain vous étalez une scene savante;
Vos froids raisonnemens ne feront qu'attiédir
Un fpectateur, toujours pareffeux d'applaudir;
Et qui des vains efforts de votre Rhétorique
Juftement fatigué, s'endort, ou vous critique,
Le fecret eft d'abord de plaire & de toucher.
Inventez des refforts qui puiffent m'attacher.
Que dès le premier vers l'action préparée,
Sans peine du fujet applaniffe l'entrée.
Je me ris d'un Auteur qui lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut d'abord ne fait pas m'informer ;
Et qui, débrouillanr mal une pénible intrigue,
D'un divertiffement me fait une fatigue.
J'aimerois mieux encor qu'il déclinât fon nom
Et dit, je fuis Orefte, ou bien Agamemnon:
Que d'aller par un tas de confufes merveilles,
Sant rien dire à l'efprit étourdir mes oreilles.
Le fujet n'eft jamais affez tôt expliqué.

[ocr errors]

Que le lieu de la fcene y foit fixe & marqué.
Un Rimeur, fans péril, de-là les Pyrénées,
Sur la fcene en un jour renferme des années.
Là fouvent le Héros d'un fpectacle groffier,
Enfant au premier acte eft barbon au dernier.
Mais nous, que la raifon à fes régles engage,
Nous voulons qu'avec art l'action fe ménage :

« PrécédentContinuer »