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Des bords de l'Occident vers nos bords attirés;
Et lorfque la trompette & la voix de la guerre,
Du Nil an Pont-Euxin font retentir la terre,
Je n'irai point en proie à de lâches amours,
Aux langueurs d'un férail abandonner mes jours.
J'attefte ici la gloire, & Zaire, & ma flamme,
De ne choifir que vous pour maîtreffe & pour femme,
De vivre votre ami, votre amant, votre époux,
De partager mon cœur entre la guerre & vous.
Ne croyez pas non plus que mon honneur confie
La vertu d'une époufe à ces monftres d'Afie,
Du férail des Soudans gardes injurieux
Et des plaifirs d'un Maître efclaves odieux.
Je fais vous estimer autant que je vous aime,
Et fur votre vertu me fier à vous-même.
Après un tel aveu vous connoiffez mon cœur
Vous fentez qu'en vous feule il a mis fon bonheur ;
Vous comprenez affez quelle amertume affreufe,
Corromproit de mes jours la durée odieufe,
Si vous ne receviez les dons que je vous fais,
Qu'avec ces fentimens que l'on doit aux bienfaits.
Je vous aime, Zaïre, & j'attens de votre ame
Un amour qui réponde à ma brulante Aamme.
Je l'avouerai, mon cœur ne veut rien qu'ardemment,
Je me croirois haï d'être aimé foiblement.
De tous mes fentimens tel eft le caractére,
Je veux avec excès vous aimer & vous plaire.
Si d'un égal amour votre cœur eft épris
Je viens vous époufer; mais c'eft à ce feul prix,
Et des nœuds de l'hymen l'étreinte dangereufe,
Me rend infortuné s'il ne vous rend heureuse.

Voltaire, Zair. act. 11. fc. I.

RODRIGUE feul.

PERCE' jufques au fond du cœur,

D'une atteinte imprévue auffi-bien que mortelle
Misérable vengeur d'une jufte querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, & mon ame abattue,
Céde au coup qui me tue.

Si près de voir mon feu récompensé,
O Dieu ! l'étrange peine!

En cet affront mon pere eft l'offenfé,
Et l'offenfeur le pere de Chiméne !

Que je fens de rudes combats!
Contre mon propre honneur mon amour s'intérefle,
Il faut venger un pere & perdre une maîtreffe,
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au trifte choix, ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,

Des deux côtés mon mal eft infini.
O Dieu! l'étrange peine !
Faut-il laiffer un affront impuni ?
Faut il punir le pere de Chiméne!

Pere, maîtreffe, honneur, amour, Noble & dure contrainte, aimable tyrannie Tous mes plaifirs font morts, ou ma gloire ternie L'un me rend malheureux, l'autre indigne du jour. Cher & cruel efpoir d'une ame généreuse,

Mais enfemble amoureuse,

Digne ennemi de mon plus grand bonheur,

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qui caufes ma peine,

Fer
M'es-tu donné pour venger mon honneur ?
M'es-tu donné pour perdre ma Chiméne !

Il vaut mieux courir au trépas,

Je dois à ma maîtreffe auffi-bien qu'à mon pere,
J'attire en me vengeant fa haine & fa colere,
J'attire fes mépris en ne me vengeant pas.
A man plus doux efpoir l'un me rend infidéle
Et l'autre indigne d'elle.

Mon mal augmente à le vouloir guérir,
Tout redouble ma peine.,

Allons, mon ame, & puifqu'il faut mourir,
Mourons du moins fans offenfer Chiméne.

Mourir fans tirer ma raifon !

Rechercher un trépas fi mortel à ma gloire!
Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire
D'avoir mal foutenu l'honneur de ma maison !
Refpecter un amour dont mon ame égarée
Voit la perte assurée !
N'écoutons plus ce penfer fuborneur
Qui ne fert qu'à ma peine;

Allons, mon bras, fauvons du moins l'honneur,
Puifqu'après tout il faut perdre Chiméne.

Oui, mon efprit s'étoit déçû,
Je dois tout à mon pere avant qu'à ma maîtreffe:
Que je meure au combat ou meure de trifteffe,
Je rendrai mon fang pur comme je l'ai reçû.
Je m'accufe déja de trop de négligence,
Courons à la vengeance;

Et tout honteux d'avoir tant balancé,
Ne foyons plus en peine,
Puifqu'aujourd'hui mon pere eft l'offenfé,
Si l'offenfeur eft pere de Chiméne.

Corneille, Cid, act. I. sc. IX.

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D. DIEGUE à D. FERNAND.

QU'ON eft digne d'envie,
Lorfqu'en perdant la force on perd auffi la vie !
Et qu'un long âge apprête aux hommes généreux,
Au bout de leur carrière, un deftin malheureux !
Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
Moi, que jadis par-tout a fuivi la victoire,
Je me vois aujourd'hui pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront & demeurer vaincu.

Ce que n'a pu jamais combat, fiége, embuscade,"
Ce que n'a pû jamais Arragon, ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
Le Comte en votre cœur l'a fait prefque à vos yeux,
Jaloux de votre choix, & fier de l'avantage
Que lui donnoit fur moi l'impuiffance de l'âge,
SIRE, ainfi ces cheveux blanchis fous le harnois,
Ce fang pour vous fervir prodigué tant de fois,
Ce bras jadis l'effroi d'une armée ennemie,
Defcendoient au tombeau tous chargés d'infamie,
Si je n'eufle produit un fils digne de moi,
Digne de fon pays & digne de fon Roi.
Il m'a prêté sa main, il a tué le Comte,
11 m'a rendu l'honneur, il a lavé ma honte,
Si montrer du courage & du reffentiment,
Si venger un foufflet mérite un châtiment,
Sur moi feul doit tomber l'éclat de la tempête:
Quand le bras a failli l'on en punit la tête.
Qu'on nomme crime, ou non, ce qui fait nos débats;
SIRE, j'en fuis la tête, il n'en eft que le bras;
si Chiméne fe plaint qu'il a tué fon pere,
Il ne l'eût jamais fait, fi je l'euffe pû faire.
Immolez donc ce chef que les ans vont ravir,
Et confervez pour vous le bras qui peut fervir,

* D. Gomez, Comte de Gormas.

Aux dépens de mon fang fatisfaites Chiméne,
Je n'y réfifte point, je confens à ma peine;
Et loin de murmurer d'un rigoureux décret,
Mourant fans deshonneur, je mourrai fans regret.
Corneille, Cid, act. 11. fc. IX.

Vo

NOM S.

CICERON à CATILINA.

Ous feignez de penfer que Rome & le Sénat Ont avili dans moi l'honneur du Confuiat. Concurrent malheureux à cette place infigne, Votre orgueil l'attendoit, mais en êtiez-vous digne? La valeur d'un foldat, le nom de vos ayeux, Ces prodigalités d'un jeune ambitieux, Ces jeux & ces feftins qu'un vain luxe prépare, Etoient-ils un mérite affez grand, affez rare, Pour vous faire efpérer de difpenfer des loix, Au peuple fouverain qui regne fur les Rois ? A vos prétentions j'aurois cédé peut-être, Si j'avois vû dans vous tout ce que vous deviez être. Vous pouviez de l'Etat être un jour le foutien. Mais pour être Conful devenez Citoyen. Penfez-vous affoiblir ma gloire & ma puiffance, En décriant mes foins, mon état, ma naiflance. Dans ces tems malheureux, dans nos jours corrompus, Faut-il des noms à Rome? il lui faut des vertus. Ma gloire (& je la dois à ces vertus féveres) Eft de ne rien tenir des grandeurs de mes peres. Mon nom commence en moi, de votre honneur jaloux, Tremblez que votre nom ne finiffe dans vous. Voltaire, Rome sauv. ait. 1. fc. V.

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