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Peut-être trouverez-vous d'autres strophes qui ne vous paroîtront pas moins belles.

Je ne sais si vous avez connoissance de quelques lettres qui font un grand bruit. Elles sont de M. le cardinal de Retz. Je les ai vues, mais en des mains dont je ne pouvois les tirer. On craint à Paris quelque chose de plus fort, comme un interdit. Cela passe ma portée. Adieu.

LETTRE II.

AU MÊME.

Paris, 8 septembre 1660.

JE

vous envoie mon sonnet', c'est-à-dire un nouveau sonnet; car je l'ai tellement changé hier au

1 Racine fit en même temps le sõnnet qu'il appelle dans la lettre suivante son triste sonnet, à cause des réprimandes qui lui vinrent de Port-Royal lorsqu'on y apprit qu'il faisoit des vers. Le voici :

Sonnet sur la naissance d'un enfant de madame Vitart; tante de Racine:

Il est temps que la nuit termine sa carrière,

Un astre tout nouveau vient de naître en ces lieux;
Déjà tout l'horizon s'aperçoit de ses feux,

Il échauffe déjà dans sa pointe première.

soir, que vous le méconnoîtrez : mais je crois que vous ne l'en approuverez pas moins. En effet, ce qui le rend méconnoissable est ce qui vous le doit rendre plus agréable, puisque je ne l'ai si défiguré que pour le rendre plus beau et plus conforme aux règles que vous me prescrivîtes hier, qui sont les règles mêmes du sonnet. Vous trouviez étrange que la fin fût une suite si différente du commencement: cela me choquoit de même que vous; car les poëtes ont cela des hypocrites, qu'ils défendent toujours ce qu'ils font, mais que leur conscience ne les laisse jamais en repo. J'avois fort bien reconnu ce défaut, quoique je fisse tout mon possible pour montrer que ce n'en étoit pas un la force de vos

Et toi, fille du Jour, qui nais devant ton père,
Beile Aurore, rougis, ou te cache à nos yeux,
Cette nuit, un soleil est descendu des cieux,
Dont le nouvel éclat efface ia lumière.

Toi, qui dans ton matin parois déjà si grand,
Bel astre, puisses-tu n'avoir point de couchant!
Sois toujours en beautés une aurore naissante.
A ceux de qui tu sors puisses-tu ressembler!
Sois digne de Daphnis et digne d'Amaranthie.
Pour être sans égal, il les faut égaler.

I

Le sonnet paroît bien l'ouvrage d'un très jeune homme; mais cette réflexion juste est remarquable dans un poëte si jeune.

raisons étant ajoutée à celle de ma conscience a achevé de me convaincre. Je me suis rangé à la raíson, et j'y ai aussi rangé mon sonnet. J'en ai changé la pointe, ce qui est le plus considérable dans ces ouvrages. J'ai fait comme un nouveau sonnet: ma conscience ne me reproche plus rien, et j'en prends un assez bon augure. Je souhaite qu'il vous satisfasse de même.

J'ai lu toute la Gallipédie1, et je l'ai admirée. Il me semble qu'on ne peut faire de plus beaux vers latins. Balzac diròit qu'ils sentent tout-à-fait l'ancienne Rome et la cour d'Auguste, et que le cardinal du Perron les auroit lus de bon cœur. Pour moi, qui ne sais pas si bien quel étoit le goût de ce cardinal, et qui m'en soucie fort peu, je me contente de vous dire mon sentiment.

Vous trouverez dans cette lettre plusieurs ratures; mais vous les devez pardonner à un homme qui sort de table. Vous savez que ce n'est pas le temps le plus propre pour concevoir les choses bien nettement; et je puis dire, avec autant de raison que l'auteur de la Callipédie, qu'il ne faut pas se mettre à travailler sitôt après le repas.

Nimirum crudam si ad læta cubilia portas
Perdicem, etc.

Mais il ne m'importe de quelle façon je vous écrive, pourvu que j'aie le plaisir de vous entre

Poëme latín composé par Quillet.

tenir; de même qu'il me seroit bien difficile d'at` tendre après la digestion de mon souper, si je me trouvois à la première nuit de mes noces. Je ne suis pas assez patient pour observer tant de formalités. Cela est pitoyable de se priver d'un entretien pour trois ou quatre ratures. Mais M. Vitart monte à cheval, et il faut que je parte avec lui; je vous écrirai plus au long une autre fois. Vale et vive.

LETTRE III

AU MEME.

Paris, 13 septembre 1660.

Pourquoi ne voulez-vous plus me venir voir, et aimez-vous mieux me parler par lettres ? N'est-ce point que vous vous imaginez que vous en aurez plus d'autorité sur moi, et que vous en conserverez mieux la majesté de l'empire? Major è longinquo reverentia. Croyez-moi, monsieur, il n'est pas besoin de cette politique: vos raisons sont trop bonnes d'elles-mêmes, sans être appuyées de ces secours étrangers. Votre présence me seroit plus utile que votre absence; car l'ode, étant presque imprimée, vos avis arriveront trop tard.

Elle a été montrée à M. Chapelain : il a marqué quelques changements à faire, je les ai faits, et j'étois très embarrassé pour savoir si ces changements n'étoient point eux-mêmes à changer. Je

ne savois à qui m'adresser. M. Vitart est rarement capable de donner son attention à quelque chose. M. l'Avocat n'en donne pas beaucoup non plus à ces sortes de choses; il aime mieux ne voir jamais une pièce, quelque belle qu'elle soit, que de la voir une seconde fois: si bien que j'étois près de consulter, comme Malherbe, une vieille servante, si je ne m'étois aperçu qu'elle est janséniste comme son maître, et qu'elle pourroit me déceler 1: ce qui seroit ma ruine entière, vu que je reçois encore tous les jours lettres sur lettres, ou, pour mieux dire, excommunications sur excommunications, à cause de mon triste sonnet. Ainsi j'ai été obligé de m'en rapporter à moi seul de la bonté de mes vers, Voyez combien votre présence m'auroit fait de bien : mais puisqu'il n'y a pius de remède, il faut que je vous rende compte de ce qui s'est passé. Je ne sais si vous vous y intéressez, mais je suis si accoutumé à vous faire part de mes fortunes, bonnes ou mauvaises, que je vous punirois moins que moi-même en vous les taisant.

M. Chapelain a donc reçu l'ode avec la plus grande bonté du monde : tout malade qu'il étoit, il l'a retenue trois jours, et a fait des remarques par écrit, que j'ai fort bien suivies. M. Vitart n ́a jamais été si aise qu'après cette visite; il me pensa

1 Cet endroit fait connoître combien Racine craignoit de déplaire à Port-Royal, où l'on ne vouloit point qu'il' fit de vers.

Racine. 5

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