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fini; je crus que le seul parti que je devois prendre, c'étoit de m'enfuir, en disant, Monsieur a raison, pour ne pas tomber dans cet inconvénient où me jeta autrefois le dur essai de sa meurtrière éloquence.

J'étois à l'hôtel de Babylone, quand M. l'Avocat y apporta vos lettres. Mademoiselle Vitart, lisant que vous alliez prendre les eaux de Bourbon, ne put s'empêcher de crier comme si vous étiez déjà mort. Elle dit cela avec chaleur: M. Vitart s'en aperçut, prit la lettre; et après s'être frotté les yeux

Tre volte, e quattro, e sei lesse lo scritto,

et ayant regardé ensuite mademoiselle Vitart, il lui demanda, con il ciglio fieramente inarcato, ce que tout cela vouloit dire. Elle fut obligée de lui dire quelques mots à l'oreille, que je n'entendis pas.

Mais je fais réflexion que je ne vous parle point de votre poésie. J'ai tort, je l'avoue, et je devrois considérer qu'étant devenu poëte, vous êtes devenu sans doute impatient; c'est une qualité inséparable des poëtes aussi-bien que des amoureux, qui veulent qu'on laisse toutes choses pour ne leur parler que de leur passion et de leurs ouvrages 1. Je ne vous

1 Hy a apparence que ce jeune homme, après s'être fait saigner, avoit envoyé à Racine des vers qu'il avoit faits pour une demoiselle. C'est sur son amour, sa poésie et sa saignée, qu'il le plaisante.

parlerai point de votre amour : un homme aussi délicat que vous ne sauroit manquer d'avoir fait un beau choix; et je suis persuadé que votre belle mérite les adorations de tous tant que nous sommes, puisque vous l'avez jugée digne des vôtres, jusqu'à devenir poëte pour elle. Cela me confirme de plus en plus que l'Amour est celui de tous les dieux qui sait mieux le chemin du Parnasse. Avec un si bon conducteur vous n'avez garde de manquer d'y être bien reçu: d'ailleurs, les muses vous connoissoient déjà de réputation ; et sachant que vous étiez bien venu parmi toutes les dames, il ne faut point douter qu'elles ne vous aient fait le plus obligeant accueil du monde.

Utque viro Phoebi chorus assurrexerit omnis.

Ils ne sont pas seulement amoureux; la justesse ́y est tout entière. Néanmoins, sijˇose vous dire mon sentiment sur deux ou trois mots, celui de radieux est un peu trop antique pour un homme tout frais sorti du Parnasse : j'aurois tâché de mettre impérieux, ou quelque autre mot. J'aurois aussi retranché ces deux vers: Ainsi, si comme nous, et le suivant, ou je leur aurois donné un sens; car il me semble qu'ils n'en ont point.

Vous m'accuserez peut-être de trop d'inhumanité, de traiter si rudement les fils aînés de votre muse et de votre amour: je ne veux pas dire les fils uniques; la muse et l'amour n'en demeureront là: mais au moins cela vous doit faire voir ré

pas

ciproquement que je n'ai rien de caché pour vous, et que ce n'est point par flatterie que je vous loue, puisque je prends la liberté de vous censurer. Scito eum pessimè dicere, qui laudabitur maximè. En effet, quand une chose ne vaut rien, c'est alors qu'on la loue démesurément, et qu'on n'y trouve rien à redire, parceque tout y est également à blàmer. Il n'en est pas de même de vos vers; ils sont aussi naturels qu'on le peut désirer, et vous ne devez pas plaindre le sang qu'ils vous ont coûté.

Ne vous amusez pas pourtant à vous épuiser les veines pour continuer à faire des vers 1, si ce n'est qu'à l'exemple de la femme de Sénèque vous vouliez témoigner la grandeur de votre amour; mais je ne crois pas que les beaux yeux qui vous ont blessé soient si sanguinaires, et que ces mar ques de votre amour lui soient plus agréables qu'une santé forte et robuste.

M. du Chêne est votre serviteur. M. d'Houy est ivre, tant je lui ai fait boire de santés. Et moi je suis tout à vous.

On voit, par plusieurs traits répandus dans ces lettres, que celui qui les écrivoit étoit né railleur.

LETTRE VI.

AU MÊME.

Paris, 3 juin 1661.

M. l'Avocat vient de m'apporter une de vos lettres, et veut absolument que nous soyons réconciliés ensemble. Je gagne trop à cette réunion pour m'y opposer. Aussi-bien, comme les choses imparfaites recherchent naturellement de se joindre avec les plus parfaites, je serois un monstre dans la nature, si, étant creux à comme je suis, je refusois de me joindre et de m'attacher au solide, tandis même solide tâche d'attirer à lui ce même creux.

que ce

Quod quoniam per se nequeat constare, necesse est

Hærere.

C'est de Lucrèce qu'est cette maxime; et c'est de lui que j'ai appris qu'il falloit me réunir avec M. l'Avocat. Et il faut bien que vous l'ayez lu aussi, car il me semble que la lettre que vous avez écrite à ce grand partisan du solide est toute pleine des maximes de mon auteur. Il dit, comme vous, qu'il

1 Ces plaisanteries sur le mot creux roulent sur ce que M. l'Avocat avoit toujours ce mot à la bouche, pour dire inutile, frivole, etc.

ciproquement que je n'ai rien de caché pour vous, et que ce n'est point par flatterie que je vous loue, puisque je prends la liberté de vous censurer. Scito eum pessimè dicere, qui laudabitur maximè. En effet, quand une chose ne vaut rien, c'est alors qu'on la loue démesurément, et qu'on n'y trouve rien à redire, parceque tout y est également à blåmer. Il n'en est pas de même de vos vers; ils sont aussi naturels qu'on le peut désirer, et vous ne de vez pas plaindre le sang qu'ils vous ont coûté.

Ne vous amusez pas pourtant à vous épuiser les veines pour continuer à faire des vers, si ce n'est qu'à l'exemple de la femme de Sénèque vous vouliez témoigner la grandeur de votre amour; mais je ne crois pas que les beaux yeux qui vous ont blessé soient si sanguinaires, et que ces mar ques de votre amour lui soient plus agréables qu'une santé forte et robuste.

M. du Chêne est votre serviteur. M. d'Houy est ivre, tant je lui ai fait boire de santés. Et moi je suis tout à vous.

On voit, par plusieurs traits répandus dans ces lettres, que celui qui les écrivoit étoit né railleur.

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