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LETTRE V.

A MADEMOISELLE RIVIERRE SA SOEUR.

Paris, 10 janvier 1698.

Je vous écris, ma chère sœur, pour une affaire où
vous pouvez avoir intérêt aussi-bien que moi, et
sur laquelle je vous supplie de m'éclaircir le plus
tôt que vous pourrez. Vous savez qu'il y a un édit
qui oblige tous ceux qui ont ou qui veulent avoir
des armoiries sur leur vaisselle, ou ailleurs, de
donner une somme qui va au plus à vingt-cinq
livres et de déclarer quelles sont leurs armoiries.
Je sais que
celles de notre famille sont un cygne;
mais je ne sais pas quelles sont les couleurs de
l'écusson, et vous me ferez un grand plaisir de
vous en instruire. Je crois que vous trouverez
nos armes peintes aux vitres de la maison que
notre grand-père fit bâtir. J'ai ouï dire aussi à
mon oncle Racine qu'elles étoient peintes aux
vitres de quelque église de la Ferté- Milon: tâ-
chez de vous en éclaircir. J'attends votre réponse
pour me déterminer et pour porter mon argent.

Le jeune homme qui recherche en mariage ma petite cousine M.......... m'est venu trouver. Je lui ai promis de donner à ma cousine cent livres. Je lui ai dit que, dans l'état où sont présentement mes affaires, je ne pouvois donner davantage, et je lui ai

dit vrai, à cause de tout l'argent que je dois encore pour ma charge. Je dois sur-tout six mille livres qui ne portent point d'intérêt; et l'honnêteté veut que je les rende le plus tôt que je pourrai, pour n'être pas à charge à mes amis. J'espère que dans un autre temps je serai moins pressé, et alors je pourrai faire encore quelque petit présent à ma cousine.

Le cousin H...... est venu ici fait comme un misérable, et a dit à ma femme, en présence de tous nos domestiques, qu'il étoit mon cousin. Vous savez comme je ne renie point mes parents, et comme je tâche à les soulager mais j'avoue qu'il est un peu rude qu'un homme qui s'est mis en cet état par ses débauches et par sa mauvaise conduite vienne ici nous faire rougir de sa gueuserie. Je lui parlai comme il le méritoit, et lui dis que vous ne le laisseriez manquer de rien s'il en valoit la peine, mais qu'il buvoit tout ce que vous aviez la charité de lui donner. Je ne laissai pas de lui donner quelque chose pour s'en retourner. Je vous prie aussi de l'assister tout doucement, mais comme si cela venoit de vous. Je sacrifierai volontiers quelque chose par mois pour le tirer de la nécessité. Je vous recommande toujours la pauvre Marguerite, à qui je veux continuer de donner par mois comme j'ai toujours fait. Si vous croyez que l'autre parente soit aussi dans le besoin, donnezmois ce que vous jugerez à propos

lui

par

Je ne sais si je vous ai mandé que ma chère fille

aînée étoit entrée aux carmélites : il m'en a coûts beaucoup de larmes ; mais elle a voulu absolument suivre la résolution qu'elle avoit prise. C'étoit 'de tous nos enfants celle que j'ai toujours le plus aimée, et dont je recevois le plus de consolation : il n'y avoit rien de pareil à l'amitié qu'e 'elle me té moignoit. Je l'ai été voir plusieurs fois : elle est charmée de la vie qu'elle mène dans ce monastère, quoique cette vie seit fort austère ; et toute la maison est charmée d'elle. Elle est infiniment plus gaie qu'elle n'a jamais été. Il faut bien croire que Dieu la veut dans cette maison, puisqu'il fait qu'elle y trouve tant de plaisir. Votre petit neveu est toujours bien éveillé. Adieu, ma chère sœur: je suis entièrement à vous. Ne manquez pas de me tenir parole, et de m'employer dans toutes les choses où vous aurez besoin de moi.

1. Elle y étoit entrée en l'année précédente. Voyez la lettre du 27 juin 1697 à son fils.

LETTRE VI.

A MADAME DE MAINTENON.

Marly, 4 mars 1693.

MADAME,

J'avois pris le parti de vous écrire au sujet de la taxe qui a si fort dérangé mes petites affaires; mais n'étant pas content de ma lettre, j'avois simplement dressé un mémoire, dans le dessein de vous faire supplier de le présenter à sa majesté.... Voilà, madame, tout naturellement comment je me suis conduit dans cette affaire; mais j'apprends que j'en ai une autre bien plus terrible sur les bras... Je vous avoue que lorsque je faisois tant chanter dans Esther, Rois, chassez la calomnie, je ne m'attendois guère que je serois moi-même un jour attaqué par la calomnie. On veut me faire passer pour un homme de cabale et rebelle à F'église.

Ayez la bonté de vous souvenir, madame, combien de fois vous avez dit que la meilleure qualité que vous trouviez en moi, c'étoit une soumission d'enfant pour tout ce que l'église croit et ordonne, même dans les plus petites choses. J'ai fait par votre ordre près de trois mille vers sur des sujets.

de piété: j'y ai parlé assurément de toute l'abondance de mon cœur, et j'y ai mis tous les sentiments dont j'étois le plus rempli. Vous est-il jamais revenu qu'on y eût trouvé un seul endroit qui approchât de l erreur?...

Pour la cabale, qui est-ce qui n'en peut être accusé, si on en accuse un homme aussi dévoué au roi que je le suis, un homme qui passe sa vie à penser au roi, à s'informer des grandes actions du roi, et à inspirer aux autres les sentiments d'amour et d'admiration qu'il a pour le roi? J'ose dire que les grands seigneurs m'ont bien plus recherché que je ne les recherchois moi-même : mais dans quelque compagnie que je me sois trouvé, Dieu m'a fait la grace de ne rougir jamais ni du roi ni de l'évangile. Il y a des témoins encore vivants qui pourroient vous dire avec quel zèle on m'a vu souvent combattre de petits chagrins qui naissent quelquefois dans l'esprit de gens que le roi a le plus comblés de ses graces. Hé quoi! madame, avec quelle conscience pourrai-je déposer à la postérité que ce grand prince n'admettoit point les faux rapports contre les personnes qui lui étoient le plus inconnues, s'il faut que je fasse moi-même une si triste experience du contraire?

Mais je sais ce qui a pu donner lieu à une accusation si injuste. J'ai une tante qui est supérieure de Port-Royal, et à laquelle je crois avoir des obligations infinies; c'est elle qui m'apprit à connoître Dieu dès mon enfance; et c'est elle aussi

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