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dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage; aussi-bien ce seroit profaner une maison de bénéficier comme celle où je suis, que d'y faire de longs discours sur cette matière: Domus mea, domus orationis. C'est pourquoi vous devez vous attendre que je ne vous en parlerai plus du tout. On m'a dit : soyez aveugle. Si je ne le puis être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet. Car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers, comme j'ai été loup avec vous, et avec les autres loups vos compères. Adiousias.

LETTRE VIII.

'A M. VITART.

Usez, 15 novembre 1661

Il y a aujourd'hui huit jours que je partis du PontSaint-Esprit et que je vins à Usez, où je fus reçu de mon oncle avec toute sorte d'amitié. Il m'a

donné une chambre auprès de lui, et il prétend que je le soulagerai un peu dans le grand nombre de ses affaires. Je vous assure qu'il en a beaucoup; non seulement il fait toutes celles du diocèse, mais il a même l'administration de tous les revenus du

1 Racine étoit chez son oncle, chanoine de SainteGeneviève.

chapitre, jusqu'à ce qu'il ait payé quatre-vingt mille livres de dettes, où le chapitre s'est engagé. Il s'y entend tout-à-fait, et il n'y a point de 'dom Côme dans son affaire. Avec tout eet embarras, il a encore celui de faire bâtir. Il est fort fâché de ce que je n'ai point apporté de démissoire ; il m'auroit déjà mené à Avignon pour y prendre la tonsure; et la raison de cela est que le bénéfice qui viendra à vaquer est à sa nomination. Si vous pouviez me faire avoir un démissoire, vous m'obligeriez infiniment; il faudra l'envoyer demander à Soissons. Au reste, nous ne laisserons pas d'aller à Avignon, car mon oncle veut m'acheter des livres, et il veut que j'étudie. Je ne demande pas mieux, et je vous assure que je n'ai pas encore eu la curiosité de voir la ville d'Usez, ni quelque personne que ce soit. Il est bien aise que j'apprenne un peu de théologie dans saint Thomas, et j'en suis tombé d'accord fort volontiers. Enfin, je m'accorde le plus aisément du monde à tout ce qu'il veut : il me témoigne toutes les tendresses possibles. Il me demande tous les jours mon ode de la paix; et non seulement lui, mais tous les chanoines m'en demandent. J'avois négligé d'en apporter des exemplaires : si vous en avez encore, je vous prie d'en faire bien couper les marges et de me les envoyer.

'Moine dont Racine se plaint encore dans la suite, et qui le traversa dans la recherche d'un bénéfice.

On me fait ici force caresses a cause de mon oncle: il n'y a pas un curé ni maître d'école qui ne m'ait fait le compliment gaillard, auquel je ne saurois répondre que par des révérences, car je n'entends pas le françois de ce pays-ci, et on n'y entend pas le mien; ainsi je tire le pied fort humblement, et je dis, quand tout est fait, Adiousias. Je suis marri pourtant de ne les point entendre; car si je continue à ne leur point répondre, j'aurai bientôt la réputation d'un incivil, ou d'un homme non lettré. Je suis perdu si-cela est ; car en ce pays les civilités sont encore plus en usage qu'en Italie. Je suis épouvanté de voir tous les jours des villageois, pieds-nus, ou ensabotés ( ce mot doit bien passer, puisque encapuchonné a passé), qui font des révérences comme s'ils avoient appris à danser toute leur vie : outre cela ils causent des mieux; et j'espère que l'air du pays me va raffiner de moitié, car je vous assure qu'on y est fin et délié. J'ai cru qu'il falloit vous instruire de tout ce qui se passe ici une autre fois j'abuserai moins de votre loisir.

JE

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E ne me plains pas encore de vous, car je crois bien que c'est tout au plus si vous avez maintenant reçu ma première lettre; mais je ne vous réponds pas que dans huit jours je ne commence à gronder si je ne reçois point de vos nouvelles. Épargnezmoi donc cette peine, je vous supplie, et épargnezvous à vous-même de grosses injures que je pourrois bien vous dire dans ma mauvaise humeur. Nam contemptus amor vires habet.

J'ai été à Nîmes, et il faut que je vous en entretienne. Le chemin d'ici à Nîmes est plus diabolique mille fois que celui des Diables à Nevers, et la rue d'Enfer, et tels autres chemins réprouvés; mais la ville est assurément aussi belle et aussi polide, comme on dit ici, qu'il y en ait dans le royaume ; il n'y a point de divertissements qui ne s'y trouvent. Suoni, canti, vestir, giuocchi, vivande, Quanto può cor pensar, può chieder bocca.

J'allai voir le feu de joie qu'un homme de ma connoissance, avoit entrepris. Les jésuites avoient fourni les devises, qui ne valoient rien du tout: ôtez cela, tout alloit bien. Mais je n'y ai pas

pris assez bien garde pour vous en faire le détail; j'étois détourné par d'autres spectacles. Il y avoit tout autour de moi des visages qu'on voyoit à la lueur des fusées, et dont vous auriez bien eu autant de peine à vous défendre que j'en avoís; il n'y en avoit pas une à qui vous n'eussiez bien voulu dire ce compliment d'un galant du temps de Néron : Ne fastidias hominem peregrinum inter cultores tuos admittere: invenies religiosum, si te adorari permiseris. Mais pour moi je n'avois garde d'y penser, je ne les regardois pas même en sûreté 1; j'étois en la compagnie d'un révérend père de ce chapitre, qui n'aimoit point trop à rire,

E parea più ch' alcun fosse mai stato

Di conscienza scrupulosa e schiva.

Il falloit être sage avec lui, ou du moins le faire. Voilà ce que vous auriez trouvé de beau dans Nîmes; mais j'y trouvai encore d'autres choses qui me plurent fort, sur-tout les Arènes.

C'est un grand amphithéâtre un peu en ovale, tout bâti de prodigieuses pierres, longues de deux toises, qui se tiennent là depuis plus de seize conts ans sans mortier et par leur seule pesanteur. Il est tout ouvert en dehors par de grandes arcades, et en dedans ce ne sont autour que de grands sièges,

' Plusieurs traits répandus dans ces lettres font voir que Racine étoit, dans sa jeunesse, fort gai, et toujours fort sage.

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