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AVERTISSEMENT.

Lorsque je publiai pour la première fois ces deux grammaires, 1) je n'en connaissais pas tous les manuscrits, je n'avais à ma disposition qu'une copie défectueuse de deux d'entre eux, et je n'en pouvais voir de mes yeux qu'un seul, celui de Paris, qui est moderne et détestable. Aussi mon édition, j'en avais dès lors la conscience et le regret, laissait elle beaucoup trop à désirer. Malgré ses imperfections, elle a été favorablement accueillie par cinq ou six personnes en Europe. C'était plus qu'il n'en fallait pour m'imposer l'obligation de l'améliorer et de la rendre moins indigne du public choisi auquel elle s'adresse. J'ai longtemps désiré de m'acquitter de ce devoir; je m'estime heureux de pouvoir le remplir aujourd'hui.

Cette fois, tous les manuscrits connus des deux ouvrages ont passé sous mes yeux, et j'en ai extrait, par une collation patiente et minutieuse, les leçons

1) Dans la Bibliothèque de l'école des chartes, Iere Série,

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1840), avec tirage à part de 100 exemplaires.

qui m'ont paru les meilleures, les variantes que j'ai jugées de quelque intérêt. Je pourrais dire le temps que m'a demandé cette révision, car ici on ne saurait penser que le temps ne fait rien à l'affaire; mais j'aurais peur de m'attirer la compassion des grands esprits qui prennent en pitié ces modestes travaux de l'érudition. S'ils savaient ce que peut coûter de soins la publication d'un aussi mince volume, avec quel dédain cruel ils en souriraient. De quoi s'agit-il, en effet? de deux petites grammaires, et provençales encore, et du XIIIe siècle par dessus le marché. A quoi bon s'en aller à Milan? à quoi bon courir à Florence, de la bibliothèque Ambrosienne à la bibliothèque Riccardi et de celle-ci à la Laurentienne, pour revoir, pour épurer un texte que personne ne lira ou peu s'en faut? Voilà le compliment auquel je m'exposerais si j'avais l'indiscrétion de parler de mon temps et de ma peine. Et comment me justifier? En soutenant que ces deux grammaires sont fort dignes d'intérêt, qu'aucune des langues romanes n'en possède d'aussi anciennes, à deux siècles près, pour le moins? Je n'y gagnerais rien que de passer pour un de ces curieux desœuvrés qui vont se perdre dans les catacombes de l'histoire ou de la littérature, sous prétexte d'y étudier des questions d'origines. Belles questions, vraiment, et bien dignes de nous! C'est aux étrangers qu'il faut laisser le souci de les débrouiller et de les éclaircir. C'est

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aux Allemands que revient de droit cette tâche pénible et fastidieuse. Pendant qu'ils ont la sim

plicité de passer leur temps et d'user leur forces à déterrer les statues mutilées de nos anciens poëtes, à retrouver les règles perdues de nos anciens dialectes, la littérature et la librairie Françaises s'acquièrent une gloire immortelle par la publication des romans à quatre sous et des périodiques illustrés à tous prix!

Ah! je le vois bien, c'est là qu'est l'avenir littéraire de mon pays; mais que voulez-vous? quand on ne se sent point assez d'esprit pour aider à ce grand mouvement, assez de puissance pour s'associer à ces belles entreprises, il faut bien se rabattre sur les études d'outre Rhin. Voilà pourquoi je publie une nouvelle édition des grammaires de Hugues Faidit et du troubadour Raymond Vidal de Besaudun.

Si l'on veut bien prendre la peine de comparer cette édition à la première, on reconnaîtra aisément qu'elle a été, comme je l'annonce, revue, corrigée et considérablement augmentée. Cette promesse du titre n'est pas seulement la répétition d'une formule banale. Pour ne signaler que l'addition la plus notable, j'ai restitué au Donat provençal une longue nomenclature de verbes des diverses conjugaisons et un dictionnaire de rimes, qui font partie de cet ouvrage, mais qui ne se trouvent pas dans l'édition de 1840. Je n'avais pu alors les y comprendre, soit à cause des limites dans lesquelles j'étais contraint de me renfermer, soit surtout à raison de l'état du texte que j'avais entre les mains. Je ne me flatte pas encore de l'avoir rétabli à la

complète satisfaction du lecteur; mais à quelques taches près, que je n'ai su faire disparaître, il ne me semble plus indigne d'être publié. Si l'on ne considérait que l'usage auquel elles étaient destinées, ces deux parties du traité de Faidit pourraient paraître d'un fort-médiocre intérêt; mais comme à chaque mot provençal s'ajoute, dans l'une et dans l'autre, une traduction latine contemporaine, elles deviennent pour nous un précieux glossaire, d'une autorité qui pourra être très-utilement invoquée dans l'interprétation des textes provençaux.

Les additions de moindre étendue sont assez nombreuses pour ne pouvoir être indiquées. Il en est de même des corrections. Les meilleures m'ont été fournies par un manuscrit de la bibliothèque Riccardi dont je n'ai pris connaissance que depuis peu. Ce manuscrit, qui est loin d'être très-pur, n'en renferme pas moins d'excellentes leçons, et m'a été du plus grand secours pour améliorer les passages défectueux de mon texte.

Je publie ces deux grammaires sous un nouveau titre, plus exact et plus précis que le premier. 1) On est d'accord aujourd'hui pour ne plus employer seul, comme l'ont fait M. Raynouard et d'autres érudits, ce mot roman, qui s'applique également bien à tous les idiômes de l'Europe issus du latin, et qui, par cela même, ne saurait suffire pour en

1) La 1re édition portait ce titre: GRAMMAIRES ROMANES du XIe siècle etc.

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