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L'Autriche ayant parfaitement compris cette situation, rien ne fut plus facile que de déterminer après la chute de Sébastopol l'interprétation que les puissances alliées entendaient attacher d'une manière irrévocable aux quatre garanties. Le résultat de cette entente fut le memorandum du 14 novembre dernier, sur lequel nous nous sommes assez étendus en parlant de la troisième garantie.

Ce memorandum, après avoir disposé que la liberté du Danube sera efficacement assurée par des institutions européennes dans lesquelles les puissances-contractantes seront également représentées, sauf les positions particulières des riverains, lesquelles seront réglées sur les principes établis par l'acte du congrès de Vienne en matière de navigation fluviale, ajoute que chacune des puissances contractantes aura le droit de faire stationner un ou deux bâtiments de guerre légers, aux embouchures du fleuve, destinés à assurer l'exécution des règlements relatifs à la liberté du Danube.

Lorsque, dans la conférence tenue à Vienne le 23 mars 1855, le baron Prokesch-Osten développa pour la première fois l'idée d'assurer à chacune des puissances contractantes le droit de faire stationner un ou deux bâtiments de guerre aux embouchures du Danube, il s'engagea là-dessus une vive discussion entre les plénipotentiaires de la Russie et ceux des autres puissances. Les premiers soutinrent qu'ils devaient réserver leur opinion jusqu'à la discussion de la révision du traité du 13 juillet 1841, puisque le prin

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cipe de la fermeture des détroits, consacré par un traité, subsistait encore, et que ce principe s'opposait à ce que des bâtiments de guerre pénétrassent dans la mer Noiré par les Dardanelles.

Le baron de Bourqueney jugea néanmoins très-utile de déposer immédiatement au protocole le principe de la surveillance des bâtiments de guerre aux embouchures du Danube, sauf à mettre ce principe en har monie avec les traités. Les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne adhérèrent à l'opinion émise par le baron de Bourqueney.

Les plénipotentiaires de la Russie maintenant malgré cela leur réserve, les plénipotentiaires de l'Autriche firent observer que sa position géographique offrait à celle-ci le moyen de faire parvenir des bâtiments de guerre jusqu'aux embouchures du Danube sans qu'ils eussent besoin de passer par les Dardanelles, mais qu'ils n'en devaient pas moins se prononcer pour P'adoption du principe que toutes les puissances contractantes fussent à même de contrôler efficacement l'exécution des stipulations arrêtées.

Pour couper court à toute controverse ultérieure, le memorandum du 14 novembre décida que le princípe en question serait posé et compris dans l'ultimatum que l'Autriche allait se charger de présenter à l'acceptation de la cour de Pétersbourg.

Bien que celle-ci eût accepté sans réserve l'ultimatum autrichien, le comte Orloff essaya, lorsque le congrès de Paris, dans sa séance du 28 février, eut à

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s'occuper de la deuxième garantie, de mettre en avant l'observation que la présence aux embouchures du Da nube de bâtiments de guerre portant le pavillon de puissances non riveraines constituait une atteinte au principe de neutralisation de la mer Noire. Le comte Walewski répondit on ne peut plus justement, que l'on ne saurait donner à une exception convenue entre les puissances contractantes le caractère d'une infrac tion au principe. Le comte Buol, de son côté, tint à constater d'avance que les navires des puissances rive raines destinés à stationner aux embouchures du Da nube, pourront cependant librement circuler dans la mer Noire; que la nature et les exigences du service dont ils seront chargés ne permettraient pas qu'il subsistât un doute à cet égard.

Nous rapportons ces détails pour mieux faire ressortir, par l'opposition des plénipotentiaires de la Rus sie, la portée de l'avantage resté aux alliés du 2 dé cembre. Ce n'est pas une des moindres garanties. obtenues par eux, que la faculté dé posséder aux bou ches du Danube douze bâtiments de guerre appartenant aux puissances non riveraines, toujours prêts à se por ter d'un point à l'autre de la mer Noire, de cette mer, qui menaçait de n'être bientôt plus qu'un lac russe. Ce sont autant de sentinelles avancées que les signataires. de l'alliance du 2 décembre, én évacuant les territoires

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ottomans, laissent en Orient pour, au besoin, donner l'éveil à l'Europe, si, ce qu'à Dieu ne plaise, la Russie revenait jamais à sa politique agressive contre la Turquie.

Dans la séance du 6 mars du congrès de Paris, le premier plénipotentiaire de la France, rappelant que la conférence de Vienne avait étudié avec soin toutes les questions qui se rattachent à la navigation du Da⚫ nube, émit l'opinion qu'il y avait lieu de tenir compte des travaux qu'elle avait préparés. En conséquence le comte Buol donna immédiatement lecture de l'annexe

au protocole de Vienne, no V.

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Le comte Walewski proposa toutefois d'introduire dans le travail de la conférence de Vienne quelques changements de rédaction, motivés par l'interprétation plus large que le congrès de Paris entendait donner à la deuxième garantie.

Dans le développement du second point, dont l'annexe au protocole no V forme l'objet, les principes -établis par l'acte du congrès de Vienne, et destinés à régler la navigation des fleuves traversant plusieurs États, n'avaient été appliqués qu'au cours inférieur du Danube, à partir du point où ce fleuve devient com

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mun à l'Autriche et à l'empire ottoman, jusque dans la mer. Le comte Buol en expliqua les motifs au congrès de Paris, en faisant observer que la navigation du haut Danube n'avait soulevé aucun conflit entre les intéressés; c'est pourquoi la conférence de Vienne n'avait pas jugé nécessairé d'étendre la compétence de la com mission exécutive au delà du cours inférieur du fleuve. ***Préoccupé de l'opportunité et de l'utilité d'arrêter d'une manière définitive et complète les règlements. touchant la libre navigation du Danube, le premier

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plénipotentiaire de la France eut soin de relever que le congrès était saisi d'une question générale intéressant la navigation du fleuve, question posée ainsi dans le document servant de base à la négociation, et que, du moment où il était convenu que la commission dite exécutive devait être composée de délégués des puis sances riveraines, il y avait lieu d'inviter la Bavière à s'y faire représenter.

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La question ainsi posée impliquait, comme nous l'allons voir tout à l'heure, un principe que les plénipotentiaires de l'Autriche ne pouvaient résoudre au pied-levé, par la raison qu'il touchait non-seulement au domaine de la diplomatie, mais aussi à des intérêts économiques et financiers au sujet desquels le comte Buol et le baron de Hubner n'avaient pas de mandat pour engager leur gouvernement...

Se renfermant dans les limites de leur rôle purement diplomatique, les plénipotentiaires de l'Autriche exposèrent dans la séance du 12 mars « que les principes établis par le congrès de Vienne, et destinés à régler la navigation des fleuves qui traversent plusieurs États, posent comme règle principale que les puissances riveraines seront exclusivement appelées à se concerter sur les règlements de police fluviale, et à en surveiller P'exécution; que la commission européenne, dont il est fait mention dans la rédaction insérée au protocole n° V, comprend, outre les délégués des puissances riveraines du Danube, des délégués des puissances non riveraines; que la commission permanente qui lui sera

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