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Χ.

TRAITÉ DE GARANTIE SIGNÉ A PARIS LE 15 AVRIL 1856 ENTRE
L'AUTRICHE, LA FRANCE ET LA GRANDE-BRETAGNE..

Rien ne frappe et n'exalte l'imagination autant que l'attrait de l'imprévu.

Il n'y a aucune exagération à dire que la conclusion de la paix générale, à laquelle tout le monde s'attendait depuis l'ouverture du congrès de Paris, n'a pas com parativement produit une aussi profonde sensation en Europe que la signature du traité de garantie dù 15 avril, auquel personne ne songeait.

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Prise à l'improviste comme tout le monde, la presse périodique se sentit piquée au vif lorsque lord Clarendon déposa dans les premiers jours du mois de mai dernier le texte du traité de garantie, dont les ratifications avaient été échangées à Paris le 29 avril précédent. Aveo, une intarissable verve, que ne peuvent

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plus arrêter ni les déclarations officiélles des ministres anglais, ni les rectifications de la Gazette officielle de Vienne, les journaux se livrèrent à qui mieux mieux aux conjectures les plus hasardées et aux commentaires les plus ingénieux pour découvrir et déterminer la pensée secrète qui avait présidé à la conclusion de l'acte de garantie du 15 avril, dont ils se mirent en devoir de mesurer la portée politique, de peser les conséquences éventuelles.

Forts de la justice de la cause que les alliés du 2 décembre défendaient dans la question d'Orient, et fai: sant appel à l'opinion publique de l'Europe, ils lui ont régulièrement soumis les pièces du grand procès qui, en dehors du sort des armes, se jugeait devant le tribunal de l'histoire, entre l'ambition moscovite et le bon droit. De cette manière, la correspondance diplomatique échangée entre les grandes puissances, depuis la mission du prince Menschikoff, est tombée dans le domaine de la publicité, à l'exception toutefois de quelques documents qui, renfermant la pensée intime des alliés, n'auraient pu sans danger, et sans muire en tout cas aux négociations, être prématurément divul gués.

Il'en est résulté ainsi des lacunes dans les nombreuses pièces publiées depuis trois ans sur les complications orientales, lacunes qui, nous l'avouons, ne permettent pas de suivre toujours l'enchaînement des faits d'après lés actes diplomatiques livrés à l'appréciation du public. L'attention la plus soutenue, privée du fil conducteur,

finit par s'égarer dans le labyrinthe de la fiction. C'est absolument ce qui est arrivé au sujet du traité de garantie du 15 avril. On s'est demandé, tout étonné, ce que devait signifier un traité signé entre les alliés du 2 décembre, en dehors des autres contractants de la paix. La forme inusitée du traité de garantie paraissait surprendre même beaucoup de diplomatės.

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Sans vouloir atténuer en rien la portée de l'acte de garantie intervenu entre les alliés du 2 décembre, il nous paraît utile d'exposer et d'expliquer les circonstances qui ont précédé et accompagné la signature du traité du 15 avril. S'ils se rendent un compte exact des faits historiques, nos lecteurs seront à même de séparer la vérité de la fiction, de réduire à leur justé valeur les commentaires exagérés, et d'asseoir un jugement certain sur un acte qui, dans sa plus simple expression, est le complément de l'alliance du 2 décembre, et. partant l'anéantissement absolu de la sainte alliance.

Malgré la résolution irrévocable de l'Autriche de faire aboutir ses efforts, d'accord avec les puissances occidentales, à la réalisation efficace et complète des quatre garanties, le traité du 2 décembre n'avait que le caractère d'une alliance défensive, puisque l'article 5 réservait l'éventualité où par un accord ultérieur serait déterminé le casus belli, constituant l'alliance of fensive.

Depuis deux ans l'Autriche a été souvent accusée de faiblesse et de duplicité, pour avoir hésité à transformer son alliance défensive en offensive. Un écrivain

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indépendant, le baron suédois Sirtema de Grouestins, a publié il y a peu de mois une remarquable brochure1, dans laquelle il aborde les accusations portées contre l'Autriche, et s'exprime ainsi:

<< Pour bien apprécier la ligne de conduite du cabinet de Vienne, il faut examiner ce qu'il a fait.

>> Il a fait acte le plus ouvertement hostile à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, sans brûler une amorce, sans tirer un coup de canon, car il a supplanté la Russie dans les principautés, qu'elle considérait comme des annexes de son empire; il a ravi à la Russie le cours du Danube; il s'est placé entre la Russie et la Turquie comme un nec plus ultrà. L'Autriche a compris, dans cette circonstance, que le grand art en politique était de bien savoir choisir son heure, et cette heure propice était arrivée pour elle d'assurer le libre cours du Danube à l'Europe centralé: elle l'a fait avec un rare bonheur.

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» Il n'était guère possible de se montrer plus ouvertement hostile que ne l'a fait l'Autriche en agissant, ainsi à l'égard de la Russie. Si elle n'a pas tiré le canon contre les Russes, c'est que ceux-ci ont préféré plier bagage devant les Autrichiens; mais si les Russes. les avaient reçus dans les principautés comme ils ont reçu les Français et les Anglais en Crimée, il est probable que des coups de canon auraient été échangés entre eux, ce qui aurait parfaitement défini la position

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1 Le congrés de Vienné en 1814 et 1815, et le congrès de Paris

en 1856.

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