Après la signature de la convention du 13 juillet, M. Guizot avait adressé une note circulaire aux puissances signataires du traité du 15 juillet 1840, pour leur exprimer le vœu que l'adhésion de la France au principe sanctionné par l'article 4 dudit traité, et for mant l'objet de la convention du 13 juillet 1841, com tribuât à maintenir le concert des grandes puissances de l'Europe par rapport à l'Orient; l'archichancelier d'Autriche fit remarquer confidentiellement à M. Guizot que lorsque les cinq grandes puissances n'avaient en core pu s'entendre sur la régénération et la conserva tion de l'empire ottoman, il ne fallait pas parler d'un concert politique entre elles; mais dire tout au plus que la France était rentrée dans tes conseils de l'Europe. ! En effet, il y avait eu dans le point de départ auquel s'étaient placées les puissances signataires de la convention du 13 juillet trop de divergence entre elles pour établir une entente solide et durablé par rapport à la force et aux conséquences légales de la convention des détroits. La mission du prince Menschikoff ne fit d'abord que constater aux yeux de l'Europe la disparité des vues existant sur ce sujet entre la France et la Grande-Bretagne. : Le gouvernement de Napoléon III, fort de l'assentiment et du concours de la nation, pénétré de la nécessité de relever l'ascendant et la puissance de la France, en prenant en main la défense de la cause du droit et de la civilisation, releva le gant que l'autocrate de .. toutes les Russies venait de jeter dans le champ clos de Stamboul La dépêche que M. Drouin de Lhuys adressa le 31 mai 1853 au comte Walewski, pour charger l'ambassadeur français à Londres de presser le gouvernement de Sa Majesté Britannique de s'entendre avec la cour des Tuileries, afin de conjurer les périls qu'une agression violente dirigée contre l'empire ottoman ferait courir à l'équilibre européen, et en particulier aux intérêts communs de la France ef de l'Angleterre dans le bassin de la Méditerranée, réstera comme un des plus glorieux témoignages de l'énergie et de la fermeté avec lesquelles la France impériale aborda la solution définitive de la question orientale, devant qui la diplomatie européenne, par un amour excessif de paix, avait toujours reculé. M. Drouyn de Lhuys, se plaçant sur le terrain de la convention des détroits, pour y établir l'accord et Paction commune des puissances occidentales, disait : << Le cabinet de Londres n'a jamais pu douter de notre concours pour faire respecter l'esprit du traité du 13 juillet 1841, et pour rappeler, s'il le fallait, au cabinet de Saint-Pétersbourg que l'empire ottoman, placé par cette transaction sous une garantie collective, ne saurait, sans une grande perturbation des rapports, existant aujourd'hui entre les grandes puissances de l'Europe, être, de la part de l'une d'elles, l'objet d'une attaque isolée et aussi peu justifiée surtout que celle dont les apparences semblent la menacer. Revenant plus loin sur la convention des détroits, M. Drouyn de Lhuys ajoute dans la même dépêche : « Comment la France et l'Angleterre, dans le but de maintenir le traité de 1841, n'auraient-elles pas le droit de faire ce que l'une des puissances signataires de eette convention faisait dans des desseins si différents? >>> Le traité de 1841, Monsieur le comte, sur la portée 'duquel tout le monde est aujourd'hui d'accord, et vous vous rappelez qu'à cet égard l'opinion du gouvernement de Sa Majesté Impériale s'est produite il y a déjà longtemps, doit nous servir, si je puis ainsi parler, de base d'opérations. Toutes les puissances qui l'ont signé Font qualité pour l'invoquer, et ce serait, à mon avis, commettre une faute et affaiblir l'effet de nos démárches, sauf à faire connaître dès à présent nos impressions particulières, que de ne pas les combiner avec les cabinets de Vienne et de Berlin, quand tout nous indique qu'ils accueilleront nos ouvertures. » .... Le comte de Nesselrode ayant eu vent de la démarche qu'allait entreprendre M. Drouyn de Lhuys, pour associer la Grande-Bretagne à la politique que la France était résolue de suivre et de faire prévaloir en Orient, se hâta de prendre le devant à Londres, en faisant remettre à lord Clarendon le memorandum du 26 mai 1853, dans lequel la diplomatie russe, protestant des intentions pacifiques de l'empereur Nicolas, s'appliquait à démontrer que la mission du prince Menschikoff, loin d'impliquer une attaque contre la Sublime Porte, n'avait d'autre but que de mettre fin à toute querelle ultérieure entré la cour de Pétersbourg et le sultan, au sujet des coreligionnaires de la Russie. En terminant, le memorandum russe avait soin de jeter en l'air l'observation « que le préambule de la convention des détroits n'exprimait qu'une simple idée, ce qui constituait naturellement une différence immense avec un engagement obligatoire. » Malgré la précaution prise par le comte de Nesselrode pour atténuer d'avance l'effet de la dépêche de M. Drouyn de Lhuys, datée du 31 mai 1853, le cabinet anglais qui, jusque-là, était resté spectateur indifférent, alléguant que la question des lieux saints agitée entre la France catholique et la Russie orthodoxe n'affectait point les intérêts de l'Angleterre protestante, fut amené à envoyer deux jours après avoir reçu la dépêche de M. Drouyn de Lhuys (2 juin), l'ordre à l'amiral Dundas de se rapprocher avec sa flotte des Dardanelles, et d'y rester pour obtempérer aux réquisitions du représentant de Sa Majesté Britannique à Constantinople. Ce fut alors que le cabinet de Saint-Pétersbourg entra en lice contre la dépêche française, ouvertement et armé de pied en cap. A la date du 11 juin 1853, l'archichancelier adressa aux légations de la Russie au dehors une circulaire, dont le passage le plus saillant disait : « Avant que je termine, je dois mentionner un point où M. Drouyn de Lhuys voudra bien nous permettre de faire une réserve concernant la trop grande portée qu'il paraît vouloir attribuer au traité de 1841, én le représentant comme une garantie collective donnée par les puissances contractantes en faveur de l'intégralité de l'empire ottoman, et qui, par conséquent, nous engagerait aussi en notre qualité de co-signataires." >>Le traité de 1841 n'a pas cette portée; il ne l'a jamais eue. Son objet spécial était uniquement de constater en commun, 'de la part des puissances contractantes, « par un acte formel, leur détermination una>> nime de se conformer à l'ancienne règle de l'empire > ottoman, d'après laquelle le passage des détroits des >> Dardanelles et du Bosphore doit toujours être fermé >> aux bâtiments de guerre étrangers, tant que la Porte » se trouve en paix. » Qu'on relise les trois articles dont se compose le traité, on n'y trouvera rien autre. Les puissances contractantes, en donnant, d'après le texte du préambule, au sultan « une preuve mani>> feste du respect qu'elles portent à l'inviolabilité de >>> ses droits souverains, expriment en même temps aleur désir sincère de voir se consolider le repos de >> son empire. » Mais l'expression d'un désir consigné seulement dans le préambule d'un traité, ne saurait jamais étre l'expressión d'une obligation. » |