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minant de l'intérêt européen. La France et l'Angleterre, par un sentiment facile à comprendre, entendaient avant tout sauvegarder l'honneur de leurs armes, engagé en Crimée. Après la prise de Sébastopol, tous les alliés n'avaient plus à se préoccuper que de l'intérêt européen; l'honneur militaire de la France et de l'Angleterre se trouvait satisfait de la manière la plus.

éclatante.

Le retentissement de la prise de Sébastopol fut si immense et si général dans toute l'étendue de l'empire d'Autriche, qu'il égała presque l'enthousiasme éprouvě en France et en Angleterre; les rapports du baron dé Bourqueney sont là pour attester que nous n'exagérons rien, absolument rien.

En présence d'une manifestation aussi spontanée du sentiment national, le baron de Bruck, ministre des finances de l'Autriche, n'hésita pas à offrir à l'empereur François-Joseph les moyens d'entreprendre la guerre contre la Russie, pour contraindre celle-ci à rendre à l'Europe les bienfaits de la paix.

Le prince Gortschakoff, aujourd'hui ministre des affaires étrangères du czar, occupait alors le poste d'envoyé extraordinaire près la cour de Vienne. H savait que le baron de Bruck, quand il avait quitté les fonctions d'internonce impérial à Constantinople pour se charger de la pénible tâche de rétablir l'ordre dans les financés autrichiennes, avait représenté à son souverain l'ur gence de réduire le budget de la guerre, comme Pélément primordial de réformes ultérieures. Aussi,

lorsque le prince Gortschakoff s'aperçut que le ministre des finances d'Autriche, qui, tant par la nature de sa mission, que par les nécessités du trésor impérial, devait plus que tout autre désirer la paix, encourageait: au contraire l'empereur François-Joseph à déclarer la guerre à la Russie, ne se dissimula-t-il plus qu'à l'appel de l'Autriche, l'Allemagne allait au printemps prochain se lever comme un seul homme, dès que la flotte anglo-française aurait reparu dans la mer Baltique.

Ce fut le prince Gortschakoff qui, avec une franchise et une résolution des plus louables, entreprit d'éclairer l'empereur Alexandre II sur les dangers de prolonger la lutte, Juste appréciateur des services que le prince Gortschakoff avait dans un moment aussi critique rendus à son pays, l'empereur Alexandre II l'en récompensa dignement en lui conférant le portefeuille des affaires 'étrangères, devenu vacant par suite de la retraite volontaire du comte de Nesselrode.

Le prince Gortschakoff fut, vers la fin de septembre 1855, autorisé par son souverain à faire entendre à Vienne des paroles de paix et de réconciliation. «Le comte Valentin Esterhazy, ministre plénipotentiaire d'Autriche près la cour de Russie, qui avait quitté Pétersbourg vers la même époque pour venir passer un congé de quelques mois à Vienne, confirma les dispositions pacifiques du czar. Ces deux diplomates laissaient entrevoir que l'empereur Alexandre II désirait sincèrement la reprise des négociations. L'anéantissement de la flotte ennemie, dans le port de Sébastopol

ayant écarté le système de limitation des forces navales russes dans la mer Noire, il ne restait plus d'autre alternative que celle relative à la neutralisation de la mer Noire; le ezar se disait prêt à l'accepter comme base de la négociation, pourvu que, dans l'application du principe sur lequel elle reposait, on ne portat atteinte ni à ses droits souverains ni à la dignité de sa couronne.

Déjà, fidèle interprète du sentiment chevaleresque qui distingue la nation française entre toutes, Napoléon III avait, aussitôt après la prise de Sébastopol, fait insinuer au gouvernement britannique, que, pour ne pas aggraver les maux de la guerre au delà de ce qu'exigeraient l'équilibre politique de l'Europe et l'honneur militaire de la France et de l'Angleterre, il fallait, pour assurer la paix, la rendre possible à la Russie. Dans l'intérêt de l'humanité et de la civilisation, alliant la force à la modération, l'empereur des Français amena le cabinet de Saint-James à considérer, malgré la victoire, les quatre garanties comme le minimum invariable des conditions de la paix future....

Sur ces entrefaites, le baron de Bourqueney quittait, au commencement d'octobre dernier, la capitale de l'Autriche pour venir passer en France, un court congé. Son séjour à Paris favorisa si puissamment l'accord entre la cour des Tuileries et celle de Vienne, que, de retour à son poste dans les premiers jours de novembre, le représentant de la France parafa, conjointement avec le comte Buol, le memorandum du 14 novembre 1855.

Le but et la nature de cet acté diplomatique méritent d'être expliqués; c'est sur le memorandum du 14 novembre qu'ont roulé les négociations ultérieures jusqu'à la conclusion de la paix définitive. Nous ver-. rons aussi plus tard que le traité de garantie du 15 avril 1856, lequel à bon droit attire à un si haut degré l'attention de l'Europe, se trouve formellement stipulé et arrêté dans ledit memorandum.

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On se rappelle que, lorsqu'il s'était agi de déterminer l'application de la troisième garantie pendant les conférences de Vienne, la France et l'Angleterre en avaient consigné les principales dispositions dans un libellé signé à Londres, le 30 mars 1855. Le cabinet français, prêtant la main à une reprise des négociations avec la Russie, voulait éviter à tout prix que les nouvelles négociations, n'aboutissent à des résultats aussi stériles que ceux de la conférence de Vienne. D'autant plus que le ministère anglais, en présence des gigantesques préparatifs qu'il avait ordonnés pour continuer la guerre et de la responsabilité qu'il avait assumée par là vis-à-vis du parlement, ne pouvait que très difficilement se familiariser avec des propositions de paix, quelles qu'elles fussent.

Pour vaincre la répugnance du cabinet britannique, il fallait constater par des engagements solennels que l'Autriche ne prenait l'initiative des nouvelles négociations dans aucun autre but que celui d'intimer à la Russie sa ferme résolution de signer l'alliance offensive avec la France et l'Angleterre, si la cour de Pétersbourg

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ne profitait pas de la suspension des hostilités pendant la saison d'hiver pour rendre la paix à l'Europe.

C'est ici le lieu de faire observer que quand M. Drouyn de Lhuys et lord John Russell se chargèrent de recommander à l'adoption de leurs gouver nements respectifs les propositions autrichiennes du mois d'avril 1855, le comte Buol avait pris, au nom de l'empereur François-Joseph, l'engagement positif que, du moment où la cour de Pétersbourg aurait rejeté ces propositions, l'Autriche signerait immédiatement la convention militaire avec les puissances occidentales pour entrer, au jour nommé, en campagne contre la Russie. C'était formuler on ne peut plus nettement le casus belli.

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Le cabinet impérial autrichien ne pouvait après coup s'attribuer ni directement ni indirectement le rôle de médiateur entre les puissances bellígérantes. Il devait apporter son adhésion formelle et son concours actif au système des alliés, en s'engageant à rompre sur-le-champ ses relations diplomatiques avec la cour de Pétersbourg si, dans un délai de trois semaines, à dater de leur remise aux mains du comte de Nesselrode, la Russie n'avait sans réserve accepté les propositions de paix formulées par PAutriche, de concert avec la France et l'Angleterre. Tel était le but du memorandum proposé le 14 novembre dernier par le comte Buol et le baron de Bourqueney. Le memorandum renfermait donc les résultats acquis à l'entente pratique de l'Autriche et des puissances occidentales sur toutes les questions de

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