province conquisé avant d'en avoir obtenu la cession par un traité de paix, l'acquéreur resterait toujours exposé à la revendication; et que plus d'une fois même il s'est vu entraîné par là dans une guerre.» L'auteur en cite comme exemple l'achat de Dunkerque par la France avant la cession faite par l'Espagne. Il en est tout autrement dans les guerres maritimes, où la substitution de souveraineté est la base des droits des belligérants en cas de blocus1. Depuis le commencement de la guerre orientale, non-seulement le gouvernement russe n'était plus à même de remplir cette principale et essentielle condi tion du droit de souveraineté sur la mer territoriale; mais, en outre, les flottes alliées avaient tellement balayé l'Euxin que le pavillon moscovite en avait complétement disparu, et que toutes les côtes sur lesquelles s'étendait auparavant son empire territorial restaient désormais à la merci des flottes de la France et de l'Angleterre. Depuis que celles-ci avaient proclamé le blocus de la mer Noire, leur souveraineté s'était substituée partout à celle de la Russie sur l'espace des eaux territoriales, et aussi longtemps que, par la disposition de forces suffisantes, elles pouvaient empêcher les puissances neutres de traverser lesdites eaux, pour aborder aux côtes et aux ports de la Russie, elles avaient l'Euxin 1 ORTOLAN: Règles internationales et diplomatie de la mer, en leur pouvoir. Pour prolonger le blocus, et partant pour perpétuer la domination exclusive des puissances occidentales sur la mer Noire, il aurait suffi que la France et l'Angleterre, conjointement avec la Porte, fussent convenues d'établir une station maritime per manente, à l'aide de quatre bâtiments de guerre qu'aurait fournis chacune dés trois puissances contractantes. Ces douze croiseurs, disséminés à l'effet d'exercer la puissance physique d'où résulte l'occupation légale, auraient consolidé à perpétuité l'empire des puissances alliées sur la mer Noire, à l'exclusion absolue de la Russie... La question, réduite à sa plus simple expression, était donc celle-ci: La Russie n'ayant plus de droits souverains sur la mer Noire, it restait uniquement réservé à l'arbitre des puissances occidentales de décider si et à quelles conditions devait être accordée an pavillon moscovite la rentrée dans ces parages. D'après les règles internationales, les puissances occidentales auraient été parfaitement fondées à interdire même au pavillon de commerce de la Russie l'accès d'une mer sur laquelle elles exerçaient en fait et en droit une souveraineté exclusive. Elles firent incontestablement preuve de modération lorsque, en proposant de proclamer la neutralité de la mer Noire, elles ne visèrent qu'à en exclure le pavillon militaire de la Russie, et cela même d'une manièrequi n'a rien de blessant pour la dignité de la couronne des czars, attendu que la Porte et les puissances occidentales étendent la même interdiction à leurs pavil lons de guerre respectifs. : La Russie, moins que qui que ce soit, avait un motif plausible pour repousser un pareil arrangement, puisque, en dernière analyse, il repose sur le même principe qui a servi de base au traité d'Unkiar-Skelessy, imposé en 1833 par la cour de Pétersbourg au sultan Mahmoud II. Avec cette différence toutefois, que par ce traité elle se ménageait un privilége des plus dangereux pour l'empire ottoman, tandis que les règlements proposés par la France de concert avec l'Angleterre, fondés sur le principe de la plus parfaite égalité, donnent satisfaction à tous les droits, consolident l'intégrité et l'indépendance de la Turquie. D'après un faux bruit généralement répandu, lorsque le système de neutralisation de la mer Noire fut présenté aux conférences de Vienne, il aurait rencontré une opposition non moins sérieuse de la part des plénipotentiaires turcs..... Des renseignements puisés aux sources les plus authentiques nous permettent de rétablir la vérité sur ce sujet.. Le libellé du 30 mars 1855, dont nous avons reproduit le texte ailleurs, disait que quant à la mer de Marmara, on chercherait à se mettre d'accord avec Ia Porte, à l'effet de voir si elle était disposée à comprendre ces parages dans les mêmes arrangements, >> Lors de la conférence particulière qui eut lieu dans le cabinet du comte Buol, après l'arrivée de M. Drouyn de Lhuys et d'Aali-Pacha à Vienne, ce dernier ayant fait observer que l'application de la neutralité à la mer de Marmara imposerait à la Porte la nécessité de transporter ailleurs les arsenaux et autres établissements • maritimes de Constantinople, attendu que la flotte turque ne pourrait plus mouiller dans la Corne-d'Or, on comprit de suite qu'il ne serait pas équitable d'exiger un pareil sacrifice du sultan. La neutralité ayant été par conséquent restreinte à la mer Noire, le ministre des affaires étrangères de la Porte s'empressa d'y. adhérer, prenant, au nom de son gouvernement, l'engagement de transformer en ports de commerce les ports de guerre de Sinope et de Batoum, que la Túrquie possède sur la côté méridionale de l'Euxin. Le consentement du sultan au système de neutralisation de la mer Noire était donc un sait acquis à la solution de la troisième garantie, et, comme nous venons de le voir, la Porte, bien qu'elle ait été injustement attaquée, a donné, dans l'intérêt de la paix du monde, l'exemple de concessions auxquelles l'agresseur ne pouvait raisonnablement se refuser du moment qu'elles étaient mutuelles. Il n'est pas superflu de montrer que les concessions auxquelles a adhéré l'empereur Alexandre II, au moyen des stipulations contenues dans les articles 11, 12, 13 et 14 du traité général de paix, lesquelles ne forment que le développement naturel des principes posés par le libellé du 30 mars 1855, ne renferment aucune atteinte humiliante à sa dignité ou à ses droits de souveraineté. Il y a dans ce fait une garantie de plus pour la conso lidation et la durée de la paix. Quelques orateurs ont néanmoins manifesté au sein du parlement britannique l'appréhension que la Russie ne saisît la première occasion favorable pour s'affranchir des obligations trop dures que les alliés du 2 décembre lui avaient imposées., Le comte de Derby. nommément fit, dans la séance du 5 mai dernier, obser ver à la chambre des lords que le silence gardé par le traité de paix relativement à Sébastopol laissait à la Russie une grande latitude dans l'exécution des enga gements auxquels elle avait souscrit. 4 Essayons de rechercher avec une scrupuleuse impartialité, si Nicolaïeff se trouve dans les mêmes conditions que Sébastopol, au point de vue des arsenaux militaires maritimes, et si par conséquent les alliés du 2 décembre étaient en droit d'appliquer aux deux ports également cette disposition du protocole de Vienne du 1er février, « qu'il ne sera créé ni conservé d'arse-naux militaires maritimes dans ta mer Noire.» La première réponse du comte de Nesselrode au sujet de l'ultimatum autrichien, datée du 24 décembre dernier, adressée au prince Gortschakoff à Vienne, avait modifié la rédaction du troisième point de garantie en ce sens que la suppression des arsenaux militairesmaritimes ne devait comprendre que « les rives de la mer Noire. » L'archichancelier en expose dans la dépêche précitée le motif, faisant remarquer qu'il n'avait introduit |