Fait à tout l'Apennin répéter fes clameurs ; Leurs fronts font couronnés de ces fleurs que la Grèce Aux champs de Marathon prodiguait aux vainqueurs. C'eft là leur diadême; ils en font plus de compte Que d'un cercle à fleurons de marquis & de comte, Et des larges mortiers à grands bords abattus, Et de ces mitres d'or aux deux fommets pointus. On ne voit point ici la grandeur infultante Portant de l'épaule au côté
Un ruban que la vanité
A tiffu de fa main brillante,
Ni la fortune infolente
Repouffant avec fierté
La prière humble & tremblante De la trifte pauvreté.
On n'y méprise point les travaux néceffaires; Les états font égaux & les hommes font frères.
Liberté, liberté, ton trône eft en ces lieux. La Grèce où tu naquis, t'a pour jamais perdue, Avec fes fages & fes dieux.
Rome depuis Brutus ne t'a jamais revûe.
Chez vingt peuples polis à peine es-tu connue. Le Sarmate à cheval t'embraffe avec fureur; Mais le bourgeois à pied, rampant dans l'esclavage; Te regarde, foupire, & meurt dans la douleur. L'Anglais pour te garder fignala fon courage; Mais on prétend qu'à Londre on te vend quelquefois : Non, je ne le crois point; ce peuple fier & fage Te paya de fon fang, & foutiendra tes droits..
Aux marais du Batave on dit que tu chancelles; Tu peux te r'affurer: la race des Naffaux, Qui dreffa fept autels e) à tes loix immortelles, Maintiendra de fes mains fidelles,
Et tes honneurs & tes faifceaux.
Venise te conferve, & Gènes t'a reprise.
Tout à côté du trône à Stockholm on t'a mife; Un fi beau voifinage est souvent dangereux. Préfide à tout état où la loi t'autorife,
Et reftes-y, fi tu le peux.
Ne va plus, fous les noms & de Ligue & de Fronde; Protectrice funefte en nouveautés féconde,
Troubler les jours brillans d'un peuple de vainqueurs, Gouverné par les loix, plus encor par les mœurs :
Il chérit la grandeur suprême,
Qu'a-t-il befoin de tes faveurs,
Quand fon joug eft fi doux qu'on le prend pour toi-même? Dans le vafte Orient ton fort n'eft pas fi beau. Aux murs de Conftantin tremblante, confternée, Sous les pieds d'un vifir tu languis enchaînée, Entre le fabre & le cordeau.
Chez tous les Lévantins tu perdis ton chapeau. Que celui du grand TELL ƒ) orne en ces lieux ta tête. Defcen dans mes foyers en tes beaux jours de fête, Vien m'y faire un deftin nouveau.
Embelli ma retraite où l'amitié t'appelle,
e) L'union des fept Provinces.
f) L'auteur de la liberté Helvétique.
L'EGALITÉ
DES CONDITIONS.
U vois, fage Arifton, d'un œil d'indifférence La grandeur tyrannique & la fière opulence; Tes yeux d'un faux éclat ne font point abusės. Ce monde eft un grand bal, où des fous déguisés, Sous les rifibles noms d'éminence & d'alteffe, Penfent enfler leur être & hauffer leur baffeffe. En vain des vanités l'appareil nous furprend. Les mortels font égaux; leur mafque est différent. Nos cinq fens imparfaits, donnés par la nature, De nos biens, de nos maux, font la feule mefure. Les rois en ont-ils fix? & leur ame & leur corps Sont-ils d'une autre espèce? ont-ils d'autres refforts? C'eft du même limon que tous ont pris naiffance Dans la même faibleffe ils traînent leur enfance : Et le riche & le pauvre, & le faible & le fort, Vont tous également des douleurs à la mort. Eh quoi, me dira-t-on, quelle erreur est la vôtre !
N'est-il aucun état plus fortuné qu'un autre? Le ciel a-t-il rangé les mortels au niveau ? La femme d'un commis, courbé fur fon bureau Vaut-elle une princeffe auprès du trône affife? Neft-il pas plus plaifant pour tout homme d'église, D'orner fon front tondu d'un chapeau rouge ou verd, Que d'aller, d'un vil froc obfcurément couvert, Recevoir à genoux, après laude ou matine, De fon prieur cloîtré vingt coups de difcipline? Sous un triple mortier n'eft-on pas plus heureux, Qu'un clerc enfeveli dans un greffe poudreux ? Non; Dieu ferait injufte, & la fage nature Dans fes dons partagés garde plus de mesure. Penfe-t-on qu'ici - bas fon aveugle faveur Au char de la fortune attache le bonheur? Un jeune colonel a fouvent l'impudence De paffer en plaisirs un maréchal de France. Etre heureux comme un roi, dit le peuple hébété. Hélas, pour le bonheur que fait la majefté? En vain fur fes grandeurs un monarque s'appuie. Il gémit quelquefois, & bien fouvent s'ennuie. Son favori fur moi jette à peine un coup d'œil. Animal compofé de baffeffe & d'orgueil, Accablé de dégouts en inspirant l'envie, Tour à tour on t'encenfe & l'on te calomnie. Parle, qu'as-tu gagné dans la chambre du roi ? Un peu plus de flateurs & d'ennemis que moi. Sur les énormes tours de notre obfervatoire Un jour en confultant leur céleste grimoire, Des enfans d'Uranie un effaim curieux,
D'un tube de cent pieds braqué contre les cieux Obfervait les fecrets du monde planétaire. Un ruftre s'écria, ces forciers ont beau faire, Les aftres font pour nous, auffi-bien que pour eux. On en peut dire autant du fecret d'être heureux. Le fimple, l'ignorant, pourvû d'un instinct fage, En eft tout auffi près, au fond de fon village, Que le fat important qui penfe le tenir, Et le trifte favant qui croit le définir.
On dit, qu'avant la boête apportée à Pandore, Nous étions tous égaux; nous le fommes encore. Avoir les mêmes droits à la félicité,
C'est pour nous la parfaite & feule égalité.
Vois-tu dans ces vallons ces efclaves champêtres, Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres, Qui détournent ces eaux, qui, la bèche à la main, Fertilifent la terre en déchirant fon fein? Ils ne font point formés fur le brillant modelle- De ces pafteurs galans qu'a chanté Fontenelle. Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tircis, De roses couronnés, fous des myrtes affis,
Entrelaffans leurs noms fur l'écorce des chênes, Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines: C'eft Pierrot, c'eft Colin, dont le bras vigoureux Soulève un char tremblant dans un foffé bourbeux. · Perrette au point du jour eft aux champs la première. Je les vois haletans, & couverts de pouffière, Braver dans ces travaux, chaque jour répétés, Et le froid des hyvers, & le feu des étés. Ils chantent cependant; leur voix fauffe & ruftique
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