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Gaîment de Pellegrin a) détonne un vieux cantique.
La paix, le doux fommeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à fon cœur, affourdit fes oreilles :
Il ne défire point ces plaifirs turbulens;
11 ne les conçoit pas ; il regrette fes champs;
Dans fes champs fortunés l'amour même l'appelle :
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés, & vernis par Martin, b)..
Des intrigues du tems compofant fon destin,
Dupé par fa maitreffe, & haï par fa femme,
Prodigue à vingt beautés fes chanfons & fa flamme,
Quitte Eglé qui l'aimait, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le scandale & le bruit;
Colin, plus vigoureux, & pourtant plus fidelle,
Revole vers Lifette en la faison nouvelle.
Il vient, après trois mois de regrets & d'ennui,
Lui présenter des dons auffi fimples que lui.
Il n'a point à donner ces riches bagatelles
Qu'Hebert c) vend à crédit pour tromper tant de belles.
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un cœur ;

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Il n'en a pas befoin : C'est le fard du bonheur.
L'aigle, fière & rapide, aux ailes étenduës,
Suit l'objet de fa flamme, élancé dans les nuës.
Dans l'ombre des vallons le taureau bondiffant
Cherche en paix fa geniffe, & plait en mugiffant.
Au retour du printems la douce Philomèle
Attendrit par fes chants fa compagne fidèle ;
Et du fein des buiffons, le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux infectes de l'air.
De fon être content, qui d'entr'eux s'inquiète
S'il eft quelqu'autre espèce, ou plus ou moins parfaite?
Et qu'importe à mon fort, à mes plaifirs préfens,
Qu'il foit d'autres heureux, qu'il foit des biens plus grands?
Mais, quoi! cet indigent, ce mortel famélique,
Cet objet dégoûtant de la pitié publique,
D'un cadavre vivant trainant le refte affreux,
Refpirant pour fouffrir, eft-il un homme heureux?
Non, fans doute; & Thamas qu'un esclave détrône,
Ce vifir dépofé, ce grand qu'on emprisonne,
Ont-ils des jours fereins, quand ils font dans les fers?
Tout état a fes maux, tout homme a fes revers.
Moins hardi dans la paix, plus actif dans la guerre,
Charle aurait fous fes loix retenu l'Angleterre,
Et d) Dufréni, plus fage & moins diffipateur,
Ne fût point mort de faim, digne mort d'un auteur.
Tout

d) Louis XIV. difait, Il y a deux hommes que je ne pourrai jamais enrichir, Dufréni & Bontemps. Dufréni mourut

dans la mifère, après avoir diffipé de grandes richeffes. Il a laiffé de jolies comédies.

:

Tout est égal enfin la cour a fes, fatigues :
L'églife a fes combats : la guerre a fes intrigues:
Le mérite modefte eft fouvent obfcurci.

Le malheur eft partout, mais le bonheur auffi.
Ce n'eft point la grandeur, ce n'eft point la baffeffe,
Le bien, la pauvreté, l'âge mûr, la jeuneffe,
Qui fait, ou l'infortune, ou la félicité.

Jadis le pauvre Irus, honteux & rebuté,
Contemplant de Créfus l'orgueilleufe opulence,
Murmurait hautement contre la providence.
Que d'honneurs! difait-il; que d'éclat! que de bien!
Que Créfus eft heureux ! il a tout, & moi rien.
Comme il difait ces mots, une armée en furie
Attaque en fon palais le tyran de Carie.
De fes vils courtifans il eft abandonné;
Il fuit, on le pourfuit; il eft pris, enchaîné;
On pille fes tréfors, on ravit ses maîtresses;
Il pleure; il aperçoit, au fort de fés détreffes,
Irus, le pauvre Irus, qui parmi tant, d'horreurs,
Sans fonger aux vaincus boit avec les vainqueurs.
O Jupiter! dit-il; ô fort inéxorable!

Irus eft trop heureux, je fuis feul miférable.

Ils fe trompaient tous deux, & nous nous trompons tous.
Ah! du deftin d'autrui ne foyons point jaloux.
Gardons-nous de l'éclat qu'un faux déhors imprime.
Tous les cœurs font cachés; tout homme eft un abîme.
La joye eft paffagère, & le rire eft trompeur.

Hélas! où donc chercher, où trouver le bonheur? En tout lieu, en tout tems, dans toute la nature, Nulle part tout entier, partout avec mesure,

Mélanges &c.

B

Et

Et partout paffager, hors dans fon seul auteur.
Il est femblable au feu, dont la douce chaleur
Dans chaque autre élément en fecret s'infinuë,
Defcend dans les rochers, s'élève dans la nuë,
Va rougir le corail dans le fable des mers,
Et vit dans les glaçons qu'ont durci les hivers.
'Le ciel en nous formant mêlangea notre vie,
De défirs, de dégouts, de raison, de folie,
De momens de plaifir, & de jours de tourmens.
De notre être imparfait voilà les élémens.

Ils compofent tout l'homme, ils forment fan effence;
Et DIEU nous pesa tous dars la même balance.

VARIANTES DU DISCOURS.

Sur l'égalité des conditions.

E ne fut qu'en 1738. que ce difcours parut

CE

la première fois imprimé à Paris, ainfi que le fecond & le troifiéme, fous le titre général d'Epîtres fur le bonheur. Le commencement du premier difcours a été plufieurs fois refondu. Voici les différentes leçons jufqu'à l'édition de 1757 exclufivement.

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Eh bien! jeune Hermotime, en province élevé,
Avec un cœur tout neuf, à Paris arrivé,

Tu

Tu ne fais pas encor quel parti tu dois fuivre :
Tu voudrais des leçons fur le grand art de vivre ;
Il faut prendre un état incertain dans tes vœux,
Tu veux choifir, dis-tu, le fort le plus heureux :
Mais ce fort quel eft-il? Tu ne fais: tu peux être
Magiftrat, financier, courtisan, guerrier, prétre ;
Ton goût doit décider. Ce n'eft pas ton.emploi
Qui doit te rendre heureux : ce bonheur, eft dans toi.
Les états font égaux, mais les hommes différent :
Où l'imprudent périt, les habiles prospèrent
Le bonheur eft le port où tendent les hümains';
Les écueils font fréquens, les vents font incertains;
Le ciel, pour aborder cette rive étrangère
Accorde à tout mortel une barque légère.
Ainfi que les fecours, tes dangers font égaux.
Qu'importe quand l'orage a foulevé les flots,
Que ta poupe foit peinte, & que ton mât déploye
Une voile de pourpre & des cables de foye?
Le vent eft fans refpect, il renverse à la fois,
Les batteaux des pêcheurs & les barques des rois.
Si quelque heureux pilote échapé de l'orage

Près du port arrivé, gagne au moins le rivage,

Son vaiffeau, plus heureux, n'était pas mieux conftruit :
Mais le pilote eft fage, & Dieu l'avait conduit.
Eh quoi! me dites-vous, &c.

SECONDE LEÇON.

Ami, dont la vertu, toujours facile & pure,
A fuivi par raifon l'inftinet de la nature,
Qui fais à ton état conformer tes défirs
B 2

2

Satisfair

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