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TROISIEME DISCOURS.

Si l'hom

DE L'ENVIE.

l'homme eft créé libre, il doit fe gouverner: Si l'homme a des tyrans, il les doit détroner.. On ne le fait que trop; ces tyrans font les vices. Le plus cruel de tous dans fes fombres caprices, Le plus lâche à la fois & le plus acharné, Qui plonge au fond du cœur un trait empoisonné, Ce bourreau de l'efprit, quel eft-il? C'eft l'envie. L'orgueil lui donna l'être au sein de la folie; colum Rien ne peut l'adoucir, rien ne peut l'éclairer : Quoiqu'enfant de l'orgueil, il craint de fe montrer. Le mérite étranger eft un poids qui l'accable; Semblable à ce géant fi connu dans la fable, Trifte ennemi des dieux, par les dieux écrasé, Lançant en vain les feux dont il eft embrafé; Il blafphême, il s'agite en fa prifon profonde; H croit pouvoir donner des fecouffes au monde. Il fait trembler l'Etna, dont il eft oppreffè; L'Etna fur lui retombe, il en est terrafsė. J'ai vu des courtifans, yvres de fauffe gloire, Détefter dans Villars l'éclat de la victoire. Ils haïffaient le bras qui faifait leur appui. Il combattait pour eux, ils parlaient contre lui. Ce héros eut raifon, quand cherchant les batailles, Il difait à Louis: Je ne crains que Versailles; Contre vos ennemis je marche fans effroi :

Défen

Defendez-moi des miens, ils font près de mon roi.

Coeurs jaloux! à quels maux êtes-vous donc en proie Vos chagrins font formés de la publique joie. Convives dégoûtés, l'aliment le plus doux, Aigri par votre bile, eft un poison pour vous. O vous qui de l'honneur entrez dans la carrière, Cette route à vous feul appartient-elle entière? N'y pouvez-vous fouffrir les pas d'un concurrent? Voulez-vous reffembler à ces rois d'Orient, Qui de l'Afie efclave oppreffeurs arbitraires, Penfent ne bien régner qu'en étranglant leurs frères Lorsqu'aux jeux du théâtre, écueil de tant d'efprits, Une affiche nouvelle entraîne tout Paris : 99 Quand Dufréne a) & Goffin, d'une voix attendrie, Font parler Orofmane, Alzire, Zénobie, Le spectateur content, qu'un beau trait vient faifir, Laiffe couler des pleurs, enfans de fon plaisir : Rufus defefpéré, que ce plaifir outrage, Pleure auffi dans un coin, mais fes pleurs font de rage.

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Hé bien! pauvre affligé, fi ce fragile honneur, Si ce bonheur d'un autre a déchiré ton cœur, Mets du moins à profit le chagrin qui t'anime: Mérite un tel fuccès, compose, efface, lime. Le public applaudit aux vers du Glorieux; Eft ce un affront pour toi? Courage, écri, fai mieux; Mais garde-toi furtout, fi tu crains les critiques,

D'en

a) Du Fresne, célèbre ac- Goffin actrice pleine de grateur de Paris. Mademoiselle ces, qui joua Žayre.

D'envoyer à Paris tes ayeux chimériques 6):
Ne fai plus grimacer tes odieux portraits,

Sous des crayons groffiers, pillés chez Rabelais.
Tôt ou tard on condamne un rimeur fatyrique,
Dont la moderne mufe emprunte un air gothique,
Et dans un vers forcé que furcharge un vieux mot,
Couvre fon peu d'efprit des phrafes de Marot. c)
Ce jargon dans un conte eft encor supportable;
Mais le vrai veut un air, un ton plus refpectable.
Si tu veux, faux dévot, féduire un fot lecteur,

Au miel d'un froid fermon mêle un peu moins d'aigreur:
Queiton jaloux orgueil parle un plus doux langage; I
Singe de la vertu, mafque mieux tón vifage.
La gloire d'un rival s'obstine à t'outrager;
C'est en le furpaffant que tu dois t'en venger.
Erige un monument plus haut que fon trophée;
Mais pour fifler Rameau l'on doit être un Orphée;
Il faut être Pfyché pour cenfurer Vénus.
Eh! pourquoi cenfurer? Quel trifte & vain abus!
On ne s'embellit point en blâmant fa rivaled
Qu'a fervi contre Bayle une infame cabale do
Par le fougueux Jurieu d) Bayle perfécuté,
Sera des bons efprits à jamais respecté.

b) Mauvaise comédie, qui n'a pu être jouée.

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rait dans l'erreur les étrangers qui apprennent le Français.

c) Il eft à remarquer que Mr. d) Jurieu était un ministre de Voltaire s'eft toujours élevé proteftant, qui s'acharna contre contre ce mêlange de l'ancien- Bayle & contre le bon fens ; il ne langue & de la nouvelle. écrivit en fol, & il fit le prophêCette bigarrure eft non feule-te: Il prédit,que le royaume de ment ridicule, mais elle jette-France éprouverait des révolu

Et le nom de Jurieu, fon rival fanatique,
N'eft aujourd'hui connu que par l'horreur publique.
Souvent dans fes chagrins un miférable auteur
Defcend au rôle affreux de calomniateur.
Au lever de Séjan, chez Neftor, chez Narciffe,
Il diftile à longs traits son abfurde malice.
Pour lui tout eft fcandale, & tout impiété.
Affurer que ce globe, en fa course emporté,
S'élève à l'équateur, en tournant fur lui-même,
C'est un rafinement d'erreur & de blafpheme.
Malbranche eft Spinofifte, & Locke, en fes écrits,
Du poifon d'Epicure infecte les efprits.
Pope eft un fcélérat, de qui la plume impie
Ofe vanter de DIEU la clémence infinie,
Qui prétend follement, ô le mauvais chrêtien !
Que DIEU nous aime tous, & qu'ici tout est bien.
Cent fois plus malheureux, & plus infâme encore,
Et ce fripier d'écrits, que l'intérêt dévore,
Qui vend au plus offrant fon encre & fes fureurs;
Méprifable en fon goût, détestable en fes mœurs;
Médifant, qui se plaint des brocards qu'il effuye;
Satyrique ennuyeux, difant que tout l'ennuye;
Criant que le bont goût s'eft perdu dans Paris,

tions, qui ne font jamais arrivées. Quant à Bayle, on fait que c'eft un des grands - hommes que la France ait produits. Le parlement de Touloufe lui a fait un honneur unique, en faifant valoir fon testament, qui devait être annullé comme

Mélanges &c.

Et

celui d'un réfugié, felon la rigueur de la loi, & qu'il déclara valide, comme le teftament d'un homme, qui avait éclairé le monde, & honoré fa patrie. L'arrêt fut rendu fur le rapport de Mr. de Senaux, confeiller.

C

Et le prouvant très bien, du moins par fes écrits.
On peut à Defpréaux pardonner la fatyre;

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Il joignit l'art de plaire au malheur de médire.
Le miel que cette abeille avait tiré des fleurs,
Pouvait de fa piquûre adoucir les douleurs.
Mais pour un lourd frêlon, méchamment imbécile,
Qui vit du mal qu'il fait, & nuit fans être utile,
On écrafe à plaifir cet infecte orgueilleux,
Qui fatigue l'oreille, & qui choque les yeux.
Quelle était votre erreur, ô vous, peintres vulgaires !
Vous, rivaux clandeftins, dont les mains téméraires,
Dans ce cloître où Bruno femble encor refpirer,
Par une lâche envie ont pû défigurer e)
Du Zeuxis des Français les favantes peintures?
L'honneur de fon pinceau s'accrut par vos injures:
Ces lambeaux déchirés en font plus précieux;
Ces traits en font plus beaux, & vous plus odieux.
Déteftons à jamais un fi dangereux vice.
Ah! qu'il nous faut chérir ce trait plein de justice,
D'un critique modefte, & d'un vrai bel-efprit,
Qui, lorfque Richelieu follement entreprit
De rabaiffer du Cid la naiffante merveille,
Tandis que Chapelain ofait juger Corneille,
Chargé de condamner cet ouvrage imparfait,
Dit, pour tout jugement, Je voudrais l'avoir fait: f)
C'eft ainfi qu'un grand coeur fait penfer d'un grand-homme.

A

e) Quelques peintres, jaloux de le Sueur, gâtèrent fes tableaux qui font aux chartreux.

f) Habert da Cerifi, de l'académie.

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