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pendant on met Ciceron entre les mains de la jeuneffe; on fe déchaine contre Bayle: Pourquoi? C'est que les hommes font inconféquens, c'eft qu'ils font injuftes.

c) Que fuis-je? où fuis-je? où vai-je ? & d'où fuis-je tiré ?

Il eft clair que l'homme ne peut par lui-même être inftruit de tout cela. L'efprit humain n'acquiert aucune notion que par l'expérience; nulle expérience ne peut nous apprendre ni ce qui était avant notre existence, ni ce qui eft après, ni ce qui anime notre existence préfente. Comment avons-nous reçu la vie? quel reffort la foutient? comment notre cerveau a-t-il des idées & de la mémoire? comment nos membres obéiffent-ils incontinent à notre volonté ? &c. nous n'en favons rien. Ce globe eft-il feul habité? A - t - il été fait après d'autres globes, ou dans le mème inftant? Chaque genre de plantes vient - il ou non d'une première plante? Chaque genre d'animaux eft-il produit ou non par deux premiers animaux ? Les plus grands philofophes n'en favent pas plus fur ces matières que les plus ignorans des hommes. Il en faut revenir à ce proverbe populaire : La poule a - t - elle été avant l'œuf, ou l'œuf avant la poule ? Le proverbe eft bas mais il confond la plus haute fageffe, qui ne fait rien fur les premiers principes des chofes fans un fecours furnaturel.

d) Mais il pouvait encor ajouter l'espérance.

La plupart des hommes ont eu cette efpérance, avant même qu'ils euffent le fecours

de

de la révélation. L'efpoir d'ètre après la mort, est fondé fur l'amour de l'etre pendant la vie ; il eft fondé fur la probabilité que ce qui penfe penfera. On n'en a point de démonstration, parce qu'une chofe démontrée eft une chofe dont le contraire est une contradiction, & parce qu'il n'y a jamais eu de difputes fur les vérités dé montrées. Lucrèce pour détruire cette espérance apporte dans fon troifiéme livre des argumens dont la force afflige; mais il n'oppofe que des vraisemblances à des vraisemblances plus fortes. Plufieurs Romains penfaient comme Lucrèce; & on chantait fur le théatre de Rome; Poft mortem nihil eft, Il n'eft rien après la mort. Mais l'inftinct, la raifon, le befoin d'être confolé, le bien de la focieté prévalurent; & les hommes ont toujours eu l'efpérance d'une vie à venir: efpérance, à la vérité, fouvent accompagnée de doute. La révélation détruit le doute, & met la certitude à la place.

PRE

PREFACE

SUR LE POEME

DE LA

LOI NATURELLE.

O

N fait affez que ce poëme n'avait point été fait pour être public: c'était depuis trois ans un fecret entre un grand roi & l'auteur. Il n'y a que trois mois qu'il s'en répandit quelques copies dans Paris, & bientôt après il y fut imprimé plufieurs fois d'une manière auf fi fautive que les autres ouvrages qui font tis de la mème plume.

par

Il ferait jufte d'avoir plus d'indulgence pour un écrit fecret tiré de l'obfcurité où fon auteur l'avait condamné, que pour un ouvrage qu'un écrivain expofe lui-mème au grand jour. Il ferait encor juste de ne pas juger le poème d'un laïque comme on jugerait une thèse de théologie. Ces deux poëmes font les fruits d'un arbre tranfplanté. Quelques uns de ces fruits peuvent n'être pas du goût de quelques perfonnes ils font d'un climat étranger; mais il n'y en a aucun d'empoifonné, & plufieurs peuvent être falutaires.

Il faut regarder cet ouvrage comme une lettre où l'on expofe en liberté fes fentimens. La plupart des livres reffemblent à ces converfa

tions générales & gênées, dans lesquelles on dit rarement ce qu'on penfe. L'auteur a dit ici ce qu'il a penfé à un prince philofophe auprès duquel il avait alors l'honnenr de vivre. Il a appris que des efprits éclairés n'ont pas été mécontens de cette ébauche: ils ont jugé que le poëme fur la loi naturelle est une préparation à des vérités plus fublimes. Cela feul aurait déterminé l'auteur à rendre l'ouvrage plus complet & plus correct, fi fes infirmités l'avaient permis. Il a été obligé de se borner à corriger les fautes dont fourmillent les éditions qu'on en a faites.

Les louanges données dans cet écrit à un prince qui ne cherchait pas ces louanges, ne doivent furprendre perfonne: elles n'avaient rien de la flaterie, elles partaient du cœur ; ce n'eft pas là de cet encens que l'intérêt prodigue à la puiffance. L'homme de lettres pouvait ne pas mériter les éloges & les bontés dont le monarque le comblait ; mais le monarque méritait la vérité que l'homme de lettres lui difait dans cet ouvrage. Les changemens furvenus depuis dans un commerce fi honorable pour la litté rature n'ont point alteré les fentimens qu'il avait fait naître.

Enfin puifqu'on a arraché au fecret & à l'obfcurité un écrit deftiné à ne point paraître il fubfiftera chez quelques fages comme un monument d'une correfpondance philofophique qui ne devait point finir; & on ajoute que fi la faibleffe humaine fe fait fentir partout, la vraie philofophie domte toujours cette faibleffe.

Au

Au refte ce faible effay fut compofé à l'occafion d'une petite brochure qui parut en ce tems-là. Elle était intitulée, Du Souverain Bien, & elle devait l'être, Du Souverain mal. On y prétendait qu'il n'y a ni vertu, ni vice, & que les remords font une faibleffe d'éducation qu'il faut étouffer. L'auteur du poëme prétend que les remords nous font auffi naturels que les autres affections de notre ame. Si la fougue d'une paffion fait commettre une faute, la nature rendue à elle-même fent cette faute. La fille fauvage trouvée près de Châlons avoua que dans la colère elle avait donné à fa compagne un coup dont cette infortunée mourut entre fes bras. Dès qu'elle vit fon fang couler, elle fe repentit, elle pleura, elle étancha ce fang, elle mit des herbes fur la bleffure. Ceux qui difent que ce retour d'humanité n'eft qu'une branche de notre amour propre, font bien de l'honneur à l'amour propre. Qu'on appelle la raifon & les remords comme on voudra, ils exiftent, & ils font les fondemens de la loi naturelle.

LA

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