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ploi des richeffes, cette ame d'un grand état, qu'on nomme luxe, font néceffaires pour la circulation de l'espèce & pour le maintien de l'induftrie; je vous regarde, madame, comme un des grands exemples de cette vérité. Combien de familles de Paris fubfiftent uniquement par la protection que vous donnez aux arts? b) Que l'on ceffe d'aimer les tableaux les estampes les curiofités en toute forte de genre; voilà vingt mille hommes, au moins ruinés tout - d'un - coup dans Paris, & qui font forcés d'aller chercher de l'emploi chez l'é tranger. Il eft bon que dans un canton Suiffe on faffe des loix fomptuaires, par la raison qu'il ne faut pas qu'un pauvre vive comme un riche. Quand les Hollandais ont commencé leur commerce, ils avaient befoin d'une extrême frugalité mais à préfent que c'eft la nation de l'Europe qui a le plus d'argent, elle a befoin de luxe, &c.

b) Madame la comteffe de Verrue, mère de madame la princeffe de Cari-, gnan, dépenfait cent mille francs par an en curiofités : elle s'était formé un des beaux cabinets de l'Europe en raretés & en ta

DÉ.

bleaux. Elle raffemblait chez elle une fociété de philofophes, auxquels elle fit des legs par fon teftament.

Elle mourut avec la fermeté & la fimplicité de la philofophie la plus intrépide.

DEFENSE

DU MONDAIN,

A

O U

L'APOLOGIE DU LUXE.

Table hier, par un trifte hazard, J'étais affis près d'un maître caffard, Lequel me dit: Vous avez bien la mine D'aller un jour échauffer la cuifine De Lucifer; & moi, prédeftiné, Je rirai bien quand vous ferez damné. Damné! comment? pourquoi ? Pour vos folies. Vous avez dit en vos œuvres non pies, Dans certain conte en rimes barbouillé, Qu'au paradis Adam était mouillé, Lorfqu'il pleuvait fur notre premier père; Qu'Eve avec lui buvait de belle eau claire ; Qu'ils avaient même, avant d'être déchus La peau tannée & les ongles crochus. Vous avancez dans votre folle yvreffe, Prêchant le luxe, & vantant la molleffe,

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Qu'il vaut bien mieux, ô blafphêmes maudits!

Mélanges &c.

F

Vivre

Vivre à préfent qu'avoir vécu jadis,
Parquoi, mon fils, votre mufe polluë
Sera rôtie, & c'eft chofe concluë.

Difant ces mots, fon gofier altéré
Humait un vin, qui d'ambre coloré,
Sentait encor la grape parfumée,
Dont fut pour nous la liqueur exprimée.
Un rouge vif enluminait fon teint;

:

Lors je lui dis Pour DIEU, monfieur le faint,
Quel eft ce vin? d'où vient-il, je vous prie?
D'où l'avez-vous? Il vient de Canarie :
C'est un nectar, un breuvage d'élû;
DIEU nous le donne, & DIEU veut qu'il foit bû.
Et ce caffé, dont, après cinq fervices,
Votre eftomac goûte encor les délices ?
Par le feigneur il me fut deftiné.

Bon. Mais avant que DIEU vous l'ait donné,
Ne faut-il pas que l'humaine industrie
L'aille ravir aux champs de l'Arabie ?
La porcelaine & la frêle beauté

De cet émail à la Chine empâté,
Par mille mains fut pour vous préparée.
Cuite, recuite, & peinte & diaprée :
Cet argent fin, cifelé, gaudronné,
En plat, en vafe, en foucoupe tourné,
Fut arraché de la terre profonde,

Dans le Potofe, au fein d'un nouveau monde. Tout l'univers a travaillé pour vous,

Afin qu'en paix, dans votre heureux couroux,
Vous infultiez, pieux atrabilaire,

Au monde entier épuifé pour vous plaire.
O faux dévot, véritable mondain
Connaiffez vous ; & dans votre prochain
Ne blâmez plus ce que votre indolence
Souffre chez vous avec tant d'indulgence.
Sachez furtout que le luxe enrichit
Un grand état, s'il en perd un petit.
Cette fplendeur, cette pompe mondaine,
D'un règne heureux eft la marque certaine.
Le riche eft né pour beaucoup dépenser,
Le pauvre eft fait pour beaucoup amaffer.
Dans ces jardins regardez ces cascades,
L'étonnement & l'amour des Nayades ;
Voyez ces flots, dont les napes d'argent
Vont inonder ce marbre blanchiffant ;
Les humbles prés s'abreuvent de cette onde;
La terre en eft plus belle & plus féconde.
Mais de ces eaux fi la fource tarit,
L'herbe eft féchée & la fleur fe flétrit.
Ainfi l'on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l'abondance

Le goût du luxe entre dans tous les rangs;

Le pauvre y vit des vanités des grands.
Et le travail gagé par la molleffe,

S'ouvre à pas lents la route à la richeffe.
J'entens d'ici des pédans à rabats

Triftes cenfeurs des plaifirs qu'ils n'ont pas,
Qui me citant Denis d'Halicarnaffe,
Dion, Plutarque, & même un peu d'Horace,
Vont criaillant qu'un certain Curius,
Cincinnatus, & des confuls en Us,

Béchaient la terre au milieu des allarmes;
Qu'ils maniaient la charuë & les armes ;
Et que les bleds tenaient à grand honneur
D'être femés par la main d'un vainqueur.
C'est fort bien dit, mes maîtres: je veux croire
Des vieux Romains la chimérique hiftoire.
Mais, dites moi, fi les dieux par hazard
Faifaient combattre Auteuil & Vaugirard,
Faudrait-il pas au retour de la guerre,
Que le vainqueur vint labourer fa terre ?
L'augufte Rome, avec tout fon orgueil,
Rome jadis était ce qu'eft Auteuil,
Quand ces enfans de Mars & de Sylvie,
Pour quelque pré fignalant leur furie,

De

* Une poignée de foin au bout d'un bâton, nommée Manipulus, était le premier étendart des Romains.

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