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de Vénus, que j'ai composé pour me prêter au désir de quelques-uns de mes confrères. Vous sentez bien que, si je l'avais renvoyé à une autre année, ce n'aurait plus été que de la moutarde après dîner. Quoiqu'il reste encore beaucoup de Mémoires d'Euler à imprimer, j'espère que les Volumes de 1762 et 1763, qui sont encore à paraître, pourront nous en débarrasser, de sorte que j'aurai pour les miens autant de place que je voudrai dans les Volumes de 1767 et des années sui

vantes.

Je n'ai pas encore reçu les Livres que vous m'annoncez; je les attends avec la plus grande impatience. Les recherches des autres me font autant et peut-être encore plus de plaisir que les miennes propres; mais tout ce qui vient de vous m'est doublement précieux.

Je suis charmé que le prix de la Lune ait été remis ('); je ne désespère pas de concourir, et j'ai déjà quelques vues sur ce sujet dont je pourrai peut-être tirer un bon parti. Nous avons choisi les lunettes achromatiques pour le sujet de prix qui doit se proposer dans la prochaine assemblée publique. Il sera conçu dans ces termes : Quelles sont les dimensions des objectifs, composés de deux matières telles que le verre commun et le cristal d'Angleterre, les plus propres à détruire entièrement ou au moins sensiblement les aberrations de réfrangibilité et de sphéricité tant pour les objets placés dans l'axe que pour ceux qui sont hors de l'axe, et quels sont le nombre et l'arrangement des oculaires qu'il faudrait adapter à de tels objectifs pour avoir les lunettes les plus parfaites qu'il est possible? Je souhaiterais, pour l'honneur de l'Académie, que les premiers géomètres de l'Europe ne dédaignassent point d'y travailler, et vous avez déjà pour cela une si grande avance, qu'il ne vous en coûterait guère que la peine d'écrire.

Je ne sais si c'est par représailles que M. Fontaine a attaqué ma méthode des isopérimètres, à cause que j'ai osé toucher à ses tautochrones (2). Videbimus et cogitabimus.

Je ne doute pas qu'on ne fût charmé de vous voir à Berlin cette

(1) Voir plus haut la note i de la page 57.

(2) Voir plus haut, p. 95.

XIII.

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année, et je doute encore moins que ce voyage ne fùt entièrement utile à votre santé; il n'y a certainement rien de tel que les voyages pour ceux qui sont accoutumés à mener une vie sédentaire et qui sont sujets, en conséquence, aux maladies qui viennent de ce genre de vie : je vous en parle d'après ma propre expérience, et je vous assure qu'il n'y a pas de comparaison entre la santé dont je jouis depuis quelques années et celle que j'avais avant mon premier voyage de Paris. S'il n'y a done point d'autre considération qui vous retienne que celle de votre santé, vous avez, ce me semble, doublement tort de vous refuser ainsi aux instances de vos amis; mais je crains beaucoup que toutes les raisons que vous apportez ne soient que des défaites, et, malgré l'extrême envie que j'ai de vous revoir et de vous embrasser, je n'ose encore me flatter si tot de cette espérance. Je joins ici un papier pour M. Bailly ('), en réponse à celui que vous m'avez envoyé de sa part. Je crois avoir donné la véritable théorie des équations séculaires de Jupiter et de Saturne, et je serais charmé que quelqu'un voulût bien prendre la peine de la comparer avec les observations. Adieu, mon cher et illustre ami; il ne me reste de papier que pour vous embrasser.

49.

D'ALEMBERT A LAGRANGE.

A Paris, ce 7 août 1767.

Mon cher et illustre ami, je suis charmé que vous n'ayez pas été mécontent de mon Mémoire sur les tautochrones (2), et je vous suis obligé d'avoir réveillé d'anciennes idées que j'avais sur ce problème

(1) J.-Sylvain Bailly, membre de l'Académie française, de l'Académie des Sciences et de l'Académie des Inscriptions, astronome, littérateur, homme politique, né à Paris en 1736, mort sur l'échafaud le 12 novembre 1793.

(2) Voir plus haut, p. 93.

et que je n'aurais peut-être jamais développées sans l'occasion que vous m'en avez donnée. Depuis ce Mémoire, je n'ai presque rien fait qui mérite votre attention; ma tête est devenue presque absolument incapable de travail, quoique d'ailleurs le fond de ma santé ne soit pas mauvais. Dites-moi, je vous prie, des nouvelles de vos travaux et de ce que vous faites; je suis comme les vieux gourmands, qui, ne pouvant plus digérer, ont encore du plaisir à voir manger les autres. Toute l'espérance de la Géométrie est actuellement en vous, s'il est vrai, comme vous me le marquez, que le pauvre Euler soit aveugle; c'est un malheur dont je suis vraiment touché, et par rapport à lui, et par rapport aux sciences. Ménagez bien, mon cher ami, votre santé et vos yeux, et croyez, comme je l'ai bien appris à mes dépens, que la Science et la gloire ne viennent qu'après.

Je voudrais bien que vous eussiez travaillé à notre prix sur la théorie de la Lune : je ne doute point que vous ne l'emportassiez, à votre ordinaire, sur vos concurrents. J'ai un peu travaillé sur cet objet, et il me semble que j'ai trouvé des méprises importantes dans la théorie de Clairaut, qui cependant, par un hasard heureux, n'ont point influé considérablement sur son dernier résultat, parce que ces méprises se compensent à peu près. Elles consistent en ce qu'il n'a pas, ce me semble, assez fait d'attention à la double courbure de l'orbite de la Lune, en conséquence de quoi il a mal évalué la distance réelle de la Lune au noeud qui entre dans l'expression des forces perturbatrices. Il a pris aussi mal à propos pour le mouvement moyen celui qui résulte du mouvement réel de la Lune dans son orbite. Le vrai mouvement moyen est celui qui résulte du mouvement de la Lune rapporté à l'écliptique, et ce mouvement moyen n'est pas le même que l'autre, à cause du mouvement du noeud.

J'ai reçu les deux Volumes de 1759 et 1760 de vos Mémoires, ainsi que le Tome de Pétersbourg (') où il est question des tautochrones, mais je n'ai fait encore que les parcourir légèrement. Pour ne pas me

(1) C'est le Tome X des Mémoires de l'Académie de Pétersbourg.

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pendre d'ennui dans l'espèce d'épuisement où est ma tête, j'ai pris le parti de revoir différents Mémoires que j'ai faits depuis longtemps et dont je vous avais communiqué la plus grande partie; je les fais actuellement imprimer, ce qui produira le quatrième et probablement le dernier Volume de mes Opuscules. Adieu, mon cher et illustre ami; vivez, travaillez, effacez-nous tous, et surtout portez-vous bien. Voulez-vous bien assurer l'Académie de mon dévouement et de mon respect? Donnezmoi, je vous prie, de vos nouvelles.

A Monsieur de la Grange,

directeur de la Classe mathématique de l'Académie des Sciences, à Berlin.

50.

D'ALEMBERT A LAGRANGE.

A Paris, ce 21 septembre 1767.

Mon cher et illustre ami, on m'écrit de Berlin que vous avez fait ce qu'entre nous autres philosophes nous appelons le saut périlleux et que vous avez épousé une de vos parentes que vous avez fait venir d'Italie ('); recevez-en mon compliment, car je compte qu'un grand mathématicien doit avant toutes choses savoir calculer son bonheur et qu'après avoir fait ce calcul vous avez trouvé le mariage pour solution. Ce qu'on ajoute dans les mêmes Lettres ne me fait pas autant de plaisir : on me mande que votre santé est fort dérangée, que la vie que vous menez en est vraisemblablement la cause, que vous prenez trop de café et de thé, que vous vivez trop en solitaire. Au nom de Dieu, mon

(1) Dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale (n° 2273) qui fait partie des papiers de Lalande, on lit ce qui suit (p. 199 bis): « Lagrange aime à thésauriser. Il avait fait venir à Berlin une cousine à qui il achetait lui-même des rubans pour qu'elle dépensât moins. On l'obligea à l'épouser.» Je dois la communication de cette note à l'obligeance de M. Henry.

cher ami, je vous prie, par le tendre intérêt que je prends à vous et par celui de la Géométrie, dont vous êtes la ressource, de ménager une santé aussi précieuse que la vôtre pour vos amis et pour les sciences. Croyez-moi, ne vous excédez point de travail et ne vous détruisez pas par une vie trop sédentaire. Personne peut-être n'a observé dans le travail plus de régime que moi; cependant je m'en ressens aujourd'hui au point de ne pouvoir presque plus m'occuper. Lisez le Livre que vient de donner M. Tissot, médecin de Lausanne, De morbis litteratorum ('), et conformez-vous, comme je fais, à ce qu'il prescrit. Il n'est plus guère temps pour moi, mais il l'est encore pour vous, qui avez vingt-cinq ans de moins.

Je vous annonce d'avance et de bonne heure que nous remettrons sûrement à l'année 1770 le prix sur la théorie de la Lune; il sera double, c'est-à-dire de 5000: cela vaut bien la peine de vous tenter, surtout depuis votre mariage, et vous aurez tout le temps de faire cette besogne à votre aise.

Avez-vous des nouvelles d'Euler? Je serais bien affligé qu'il fût devenu aveugle.

Je crois vous avoir dit que je fais imprimer le quatrième Volume de mes Opuscules; la plupart des choses qui doivent y entrer vous sont connues; j'y ai fait seulement quelques changements et quelques additions; je compte qu'il paraîtra dans le courant de l'année 1769. Vous trouverez dans les Volumes de l'Académie, à mesure qu'ils paraîtront, la suite de mes recherches sur les verres. Je m'occupe actuellement à quelques recherches analytiques sur la théorie de la Lune, que je donnerai aussi dans les Volumes de l'Académie. Au reste, je vous prie de ne faire part à personne de la remise que je vous annonce du prix à l'année 1770; je crois seulement devoir vous en avertir, par le désir que j'ai que vous le remportiez. Adieu, mon cher ami; donnez-moi des

(1) Simon-André Tissot, né à Grancey (pays de Vaud) en 1728, mort en 1797. L'Ouvrage si connu dont parle d'Alembert parut à Lausanne, 1766, in-8°, sous le titre de De valetudine litteratorum et fut traduit par Tissot lui-même en français sous le titre de De la santé des gens de lettres, 1768, in-12, souvent réimprimé.

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